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L’éternel mendiant finit toujours sous les quolibets et le mépris de la rue.

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Quand je dis à certains camarades, qu’en diaspora, on se sent mal à l’aise quand on apprend des évènements douloureux qui déchirent notre terre natale, ce n’est nullement une chimère. Nous souffrons réellement dans notre peau, nous souffrons dans notre âme, souvent, sans nul courage de nous protéger quand l’étranger nous place devant nos tares, nos déficiences et nos couardises. On dirait que les mots pour nous défendre ont perdu de leur sens, de leur force, tant la stupeur nous subjugue.
Vendredi dernier, le Canada a déclaré qu’il ferait une aumône de 100 millions de dollars à Haïti. Déjà, les « P’tits transits », perclus d’arrogance, sabrent le champagne. Allez les admirer dans les hôtels huppés, loin des barricades en train de se congratuler. Ils ont touché le jackpot, le casino est ouvert. Toutefois, j’appréhendais la réaction du contribuable canadien.

En effet, dans le Journal de Montréal (1), l’un des plus lus au Québec, le journaliste Loïc Tassé, d’entrée de jeu soutient avec condescendance, dans son édito, que : « L’argent qui y sera déversé sera en bonne partie détourné par les crapules qui sont à la tête d’Haïti… » (2).

Que répondre ? Sans malice et sans nuances, le journaliste traite nos dirigeants de « crapules ». Il introduit son texte rédhibitoire par une cinglante rebuffade à damner un saint. En fait, je prie Dieu pour qu’un voisin ne vienne me glisser cette indécence à l’oreille, car je serais d’une humeur massacrante, quitte à m’excuser plus tard.
Suite à une corruption débridée et innommable, nous sommes devenus la risée du monde entier. Tous les adjectifs ont été utilisés par nos moralistes pour décrire nos faiblesses et lutter contre les biais inconscients du mal en vue de nous rappeler à l’ordre et de soulager la nation. Rien n’y fit ! Les avertissements, le chaos appréhendé, rien ne dérange les filous. Tous sont nés pour voler, piller, faire disparaître. Ils continuent sans vergogne, comme si demain n’existait pas !
Haïti a tellement perdu de son prestige au niveau international que tous les Chefs d’État le fuient. Aucune visite depuis des lustres. Tous connaissent les faiblesses de nos dirigeants. Avec leur mine patibulaire, ceux-ci se mettent toujours en position de quémandeurs. Leurs courbettes traduisent tout haut ce qu’ils désirent tout bas. N’oublions pas celui qui tirait sur la manche de veston d’Obama au passage. Geste disgracieux et non protocolaire de petit mendiant.

 Néanmoins, ils n’étaient pas tous des fripouilles. Il existe quelques souvenirs historiques à ressasser où un Président d’Haïti, par le passé, était reçu avec les fastes et les honneurs dus à son rang. Mais c’est très loin tout ça.

 Dans les années 50, la ville de New York avait salué l’un de nos dirigeants avec une pluie de confettis sur Broadway. Des balcons, des bureaux, ces paillettes multicolores pleuvaient au passage acclamé d’un nègre irradiant dans une Amérique raciste en 1955 : c’était le Président Paul E. Magloire, en visite aux États-Unis.

 Il en fut de même pour lui au Canada où le Premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, le présenta à ses Députés au Parlement comme le Chef d’État d’un pays à imiter. Haïti avait ébloui l’Occident avec l’Exposition universelle du Bicentenaire et le Barrage hydro-électrique de Péligre, ce que le Québec allait vraiment reproduire moins de dix années plus tard. Pour son retour à Port-au-Prince, la reine Élizabeth II mit à sa disposition le porte-avions Triumph (3). C’était un chef d’État respecté et adulé.

« Au cours de son bref exil à Paris, l’ex-Président Estimé est allé assister à une représentation à la Comédie Française. Sans l’avertir, quelqu’un est monté sur la scène pour annoncer sa présence à l’assistance… Tout le monde s’est alors levé pour l’ovationner » (4). Nos dirigeants ne furent pas tous des écorcheurs ! Ces souvenirs semblent irréels. Ils représentent, en effet, la mémoire d’une époque révolue que s’amuse à revisiter une génération d’Haïtiens nostalgiques et tristes.
Ce qui va surprendre la jeunesse actuelle, c’est qu’Haïti a connu aussi des Présidents honnêtes. Le plus célèbre d’entre eux fut le dénommé Élie Lescot. Avant de partir en exil pour le Canada en janvier 1956, «  Lescot a remis à la junte militaire l’intégralité des 1,2 million de dollars de la cassette présidentielle » (5). Et, pour son malheur, on a omis de lui payer sa pension. Il a vraiment connu, avec sa famille, la détresse et la faim au Québec, jusqu’à se résoudre à concevoir et à vendre des cravates sur la rue de Lorimier à Montréal (6). Haïti n’est-il pas le seul coin où l’on punit l’honnêteté ?

Aujourd’hui, le monde nous regarde de travers en murmurant. Sous les assauts de la corruption et de l’incompétence, l’île est méconnaissable. Alors, ne jouez pas à l’autruche quand les journaux du monde vous traitent de crapules, d’escrocs, de petits vicieux !

Max Dorismond

—NOTES —

1 — L’article du Journal de Montréal : https://www.journaldemontreal.com/2023/03/25/100-millions-daide-pour-haiti-une-perte-de-temps-et-dargent

2 — AU TEMPS OÙ NOS CHEFS D’ÉTAT NE QUÉMANDAIENT …

3-4-5-6 : Charles Dupuis — Une histoire populaire d’Haïti 

1 thought on “L’éternel mendiant finit toujours sous les quolibets et le mépris de la rue.

  1. Pourquoi les intellectuels haitiens sont réticents à lancer une grande conférence sur Haiti aumoment où les autres prennent l’habitude parler pour eux ?

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