Lettre de Walky TIJIN à son Excellence l’Empereur Jacques 1er
5 min readEn ce jour si spécial qui marque le 220e anniversaire de notre indépendance, c’est avec un cœur brisé, rempli de chagrin et d’amertume que je prends l’initiative de vous écrire pour vous présenter mes excuses cher aîné, père de la nation haïtienne.
Avant tout, je tiens à vous exprimer ma gratitude pour avoir fait de moi un homme libre et fier. Par la même occasion, je sollicite votre pardon.
Pardon de ne pas marcher sur les mêmes pas que vous, vous mon valeureux ancêtre. Malheureusement je fais partie des lâches, ce que vous ne vouliez pas voir tout au long de votre vie.
Pardon de fuir au lieu de prendre les armes et de lutter devant toutes les forces qui veulent détruire l’idéal dessalinien, qui nous font patauger dans la misère, qui nous humilient comme si nous étions à l’époque où vous avez vécu il y a plus de 200 ans.
La couleur de la misère nous est méconnaissable car nous avons subi tellement de martyres avec les yeux ouverts. Notre vision est devenue floue. C’est pourquoi je ne vous dirai pas que nous vivons une misère noire, puisque rien ne dit qu’elle n’a pas déjà changé de couleur.
Je dois surtout attirer votre attention sur un fait qui, malheureusement est devenu notre quotidien. Nos frères qui ont pris les armes ne se rallient pas à nos côtés pour combattre et sauvegarder l’intégrité de notre indépendance, mais plutôt pour nous mettre des bâtons dans les roues et pour nous refuser une vie sereine sur le sol que vous nous avez légué, le sol de notre chère Haïti.
Ils ne cessent de faire couler le sang de nos concitoyens, ils nous chassent comme des sauvages, nous tuent, nous étripent comme du gibier, tel un feu qui consume un corps en incinération, ils anéantissent la joie, l’espoir et l’envie de vivre du peuple.
Depuis 2018, on constate une expulsion massive qui se fait sentir notamment dans la capitale, ainsi que dans certaines zones avoisinantes. Nos frères sont délogés de chez eux, les maisons inhabitées par leurs propriétaires deviennent des repères de fouilles, de viols, et de séquestrations. La plupart des sinistrés de cet ouragan d’insécurité se voient donc obligés de trouver refuge sur les places publiques.
Ils se sont appelés bandits, ils contrôlent tout, et l’État ne dit mot. L’espoir juvénile s’effrite, la population est abandonnée à son sort, nous ne pouvons assurer l’avenir de notre postérité.
La majeure partie des jeunes du ghetto est livrée à la rue, aux places publiques, à la drogue et pire, ils se font même recruter dans la fleur de l’âge dans les bases des bandits.
Face à des dirigeants neutres, je me demande même si l’État n’est pas un fidèle acolyte de ces malfaiteurs.
Parlant de l’État, il faut bien vous dire que celui-ci s’est affaissé lamentablement, le pays n’a pas connu un chef d’État digne de ce nom depuis des années, les locataires de nos institutions étatiques, sans aucun état d’âme, ne viennent qu’assurer la santé économique de leur avarice et se fichent de l’indigence dans laquelle vit la population. D’ici peu, nos progénitures ne pourront plus accéder à une éducation fiable comme cela devrait être, nous ne pourrons plus répondre aux besoins de nos familles, la communauté universitaire ainsi que l’élite intellectuelle se tait sur la situation, elles observent comme la population, personne n’a jusqu’à présent fait preuve de sens des responsabilités.
Nos routes principales sont barricadées par les gangs qui terrorisent la population, où est l’État au milieu de ce chaos?
L’État n’existe plus, son seul souci est de voir les bottes internationales fouler une énième fois le sol de nos ancêtres. Les actuels locataires de nos institutions sont au service de tous les citoyens du monde, sauf de la population haïtienne.
J’allais oublier de vous dire que le pays est devenu le lieu d’un “sauve qui peut” général. On nous offre des programmes partout et ailleurs dans l’objectif de vider cette terre paradisiaque qui est la mère de la liberté. On nous offre des pseudos opportunités pour utiliser nos forces. Hélas! Nos autorités ne nous laissent pas d’autre choix que celui d’accepter de déserter notre patrie sans pouvoir anticiper les conséquences.
Je ne sais vraiment pas comment qualifier une telle mascarade.
Je ne terminerai pas sans vous dire que nous sommes tous, les uns autant que les autres, responsables car nous avons choisi la voix de la facilité, nous avons accepté la résignation sans poser la moindre question, n’en déplaise à ceux qui ont lutté, qui ont donné une bonne partie de leur vie pour le bien-être de tous.
Nos actions ne sont pas significatives parce que la volonté de se battre pour le bien-être collectif nous est enlevée à force de nous utiliser même quand la plupart du temps nous leur avons offert nos capacités, juste pour trouver une vie plus ou moins stable.
Je sais que vous n’êtes plus fiers de moi mais je tiens à partager mes salutations avec les autres ancêtres. Encore une fois, merci pour cet héritage sacré. Malheureusement, je ne peux pas vous promettre une amélioration de la situation la prochaine fois que je vous écrirai.
Je ne veux pas clore cet échange sans vous dire qu’une phrase remarquable a fait de moi un homme déterminé, motivé et me permet de croire qu’un jour ce peuple finira par sortir de sa zone de confort pour défendre l’intégrité de l’indépendance et les acquis de la démocratie. Cette phrase que vous avez su prononcer le lendemain de l’indépendance: « Et toi, peuple trop longtemps infortuné, rappelle-toi, que j’ai tout sacrifié pour voler à ton secours, parents, enfants, fortunes. Que mon nom est devenu une horreur pour tous les peuples qui veulent l’esclavage et que les despotes et les tyrans ne le prononcent qu’en maudissant le jour qui m’a vu naître ». Vos mots forts nous enseignent sur la façon dont nous devrions nous accrocher à la matrice ancestrale dont vous êtes l’initiateur.
Je vous prie de bien vouloir accepter, Excellence, mes salutations patriotiques.
Walky TIJIN