L’idéal dessalinien, comment peut-il inspirer dans le contexte  actuel ?

 « Il a voulu mettre de l’ordre dans l’administration publique, il s’attaquait au vol, au pillage, parce qu’il voulait avoir le contrôle des richesses pour pouvoir les repartir à l’ensemble de la  population », tels sont les mots de la professeure d’histoire Marie Codlèce Joseph à l’Université d’État d’Haïti et socio-démographe en parlant de Jean-Jacques Dessalines, dans un entretien accordé à notre rédaction. Pour la professeure, il ne fait aucun doute : le rêve de Dessalines était de créer une nation juste et équitable, empreinte de justice sociale.

En effet, dans la Constitution impériale du 20 mai 1805, Dessalines pose les bases d’une société égalitaire où tous les citoyens jouissent des mêmes droits et avantages, indépendamment de  leurs statuts. D’où l’idéal dessalinien. Toutefois, l’assassinat de l’empereur, survenu le 17 octobre 1806, marquera un tournant dans cette volonté d’établir une société paritaire.

Où en est-on aujourd’hui avec l’idéal dessalinien ?

La mort de Jean-Jacques Dessalines marquera un coup d’arrêt tout aussi brutal que sa disparition au rêve du père de la nation. En effet, l’instabilité politique et les luttes fratricides qui ont suivi l’assassinat de l’Empereur n’ont pas permis aux élites haïtiennes de se mettre d’accord  sur ce projet de société, et encore moins sur la réalisation du rêve de Dessalines. Aujourd’hui, l’idéal dessalinien a presque totalement disparu.

« À part quelques intellectuels, professeurs d’université et activistes politiques qui écrivent et organisent des débats sur l’idéal dessalinien, aucun pouvoir politique ne s’est approprié le projet de société de l’Empereur Dessalines », souligne Marie Clodèce Joseph. Pour la professeure, cet effacement de l’idéal dessalinien est dû en partie au fait que cet idéal va l’encontre des intérêts de certains groupes de personnes dans la société. « Les quelques efforts de relance faits par certains gouvernements ont été vite combattus par des groupes sociaux ayant des intérêts particuliers », ajoute-t-elle.

Les jeunes et l’idéal dessalinien

La réalité semble refléter l’image du pays. L’idéal dessalinien semble être méconnu de cette catégorie de la population. Rares sont les organisations et structures de jeunes qui, aujourd’hui, travaillent à la résurgence de cet idéal perdu. Il faut dire que le personnage de Dessalines est encore  mal connu des jeunes. Le programme scolaire haïtien ne permet pas de comprendre et de saisir le père de la Nation dans toutes ses dimensions. À côté de l’école, peu d’activités sont consacrées au personnage de Dessalines et à ses œuvres. Même les traditionnelles activités du 17 octobre ont connu une forte baisse ces dernières années à cause du climat politique. Cette année, faut-il le souligner, le Gouvernement en place a tout de même marqué cette date en sa façon.

Faire revivre l’idéal dessalinien : une urgence dans le contexte actuel

Aujourd’hui, la société haïtienne est en proie à une crise multidimensionnelle. Du point de  vue social et économique notamment, la situation est dramatique. Le pays est profondément divisé. Et le pays est marqué, entre autres, par une profonde inégalité entre ses différents groupes sociaux et économiques. Un fait qui va à l’encontre de la volonté du père de la Nation.

Aussi, un retour à l’idéal dessalinien semble être une bonne option pour une meilleure société, plus juste et plus équilibrée. Pour la professeure Marie Clodèce Joseph, ce retour à l’idéal dessalinien nécessite une « prise de conscience collective sur notre situation de peuple à tous les niveaux : social, économique, spatial, etc. ». Une démarche qui nécessiterait, selon elle, un « ensemble d’efforts en matière de partage et de redistribution des richesses ».

Faire revivre l’idéal dessalinien pourrait être un pas important dans le combat contre la pauvreté, en faveur d’une meilleure répartition des richesses du pays, la mise en commun des forces vives de la Nation pour un réel développement social et économique du pays. Pas sûr cependant que la société soit préparée à un tel changement de paradigme, souligne Mme Joseph.

Roobens Isma