L’insécurité alimentaire en Haïti est planifiée, mais rien n’est fait par l’État, estime le professeur Jean Michel CASTOR
5 min readLa situation économique du pays se dégrade de jour en jour, sous l’œil impuissant de la population haïtienne. Ce ne sont pas moins de 4,5 millions de personnes qui nécessitent une assistance alimentaire urgente pour la période de mars à juin 2022, selon la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA). Pour le professeur Jean Michel CASTOR, le constat est funeste, l’État haïtien est au courant, mais refuse d’agir.
La société haïtienne fait face aujourd’hui à la pire crise de son histoire. Près d’un Haïtien sur deux a besoin d’une aide d’urgence pour s’alimenter. Cette situation ne va pas aller en s’arrangeant, compte-tenu des catastrophes naturelles qui ne cessent de frapper des zones de plus en plus vulnérables, à l’image du séisme du 14 août 2021, ou encore des événements météorologiques extrêmes qui ne cessent de s’abattre sur la région de l’Atlantique. La Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) a certes observé une légère baisse au niveau du pourcentage des personnes en insécurité alimentaire, mais l’institution ne croit pas que cela constitue une remontée de la pente.
« Une légère amélioration de la situation est observée car le pourcentage de personnes en insécurité alimentaire est passée de 46% (4.6 millions) en 2021 à 45% ».« 4.5 millions de personnes ont besoin d’une assistance urgente pour la période de mars à juin 2022 », écrit la CNSA dans une publication datée du 23 mars 2022 (Alerte sur la situation de la sécurité alimentaire & proposition de points d’action mars-juin 2022). Pour la CNSA, cette amélioration est d’ordre conjoncturel et ne constitue aucunement un début de stabilisation.
« L’amélioration de la sécurité alimentaire est particulièrement observée au niveau des départements ayant été touchés par le séisme, en raison d’une bonne couverture de l’assistance alimentaire, à l’exception de la zone côtière du département du Sud dont la classification a été actualisée d’une Phase 3 de l’IPC (Crise) à une Phase 4 de l’IPC (Urgence). Toutefois, même avec l’assistance alimentaire, les données de l’enquête de suivi de sécurité alimentaire de janvier 2022 (Grand Sud) ont montré que l’érosion des moyens d’existence des ménages s’accélère. En ce sens, cette amélioration est très fragile si l’on tient compte des facteurs déterminants de la situation actuelle qui sont susceptibles d’être amplifiés par un ensemble de facteurs de risque, » précise la CNSA.
L’insécurité alimentaire, résultante de l’addition de nombreuses crises
Contacté par la rédaction du journal Le Quotidien News, le professeur Jean Michel CASTOR, professeur à l’Institut National d’Administration, de Gestion et des Hautes Études Internationales (INAGHEI) de l’Université d’État d’Haïti (UEH) pense que cette situation est principalement due au manque d’intérêt que porte l’appareil étatique au bien-être de la population. Pour lui, il est inconcevable que « l’État haïtien planifie et expose aux yeux de tous l’insécurité alimentaire qui règnera dans le pays pour les années à venir ».
Selon le professeur, l’insécurité alimentaire vient en partie du fait que l’État haïtien ne dresse aucun constat concernant les besoins alimentaires des citoyens afin de déterminer quoi produire, quoi importer et comment nourrir correctement sa population. « Lorsque nos institutions prévoient le nombre de personnes qui seront dans un an ou dans cinq ans en situation d’insécurité alimentaire sans pour autant prévoir leur alimentation ou un plan de redressement, nous sommes en droit de dire très clairement que l’État haïtien planifie l’insécurité alimentaire dans le pays ».
De plus, pour le professeur, la forte présence des Organisations Non-Gouvernementales dans le pays contribue largement à affaiblir les structures économiques, tant en encourageant le laxisme chez les dirigeants et en alimentant la corruption dans le pays. « Comment concevoir que, dans plusieurs communes du pays, des ONG exécutent des projets agricoles sans même consulter les autorités municipales qui, elles non plus, ne semblent pas avoir un début de plan pour nourrir leur population », s’interroge-t-il. Pour celui qui défend activement les causes environnementales et d’insécurité alimentaire tant sur le terrain que sur les réseaux sociaux, une part énorme de la responsabilité revient au Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) qui n’incite plus les Haïtiens à s’intéresser aux affaires agricoles en affichant une « absence quasi-totale de politique agricole, et en ayant aucun plan de vulgarisation agricole dans le pays ».
Les populations qui ne sont pas classées dans les différents niveaux d’insécurité alimentaires dans le pays, ne sont pas pour autant en dehors des problèmes liés à l’alimentation, toujours selon le professeur CASTOR. « En important des produits étrangers destinés à la consommation sans vérification de leur qualité, nous importons également des maladies dues aux produits de mauvaise qualité. Et il n’y a aucun contrôle, aucune politique publique en matière d’alimentation, de santé publique liées aux produits d’importation, et de ce fait, la population reste exposée à tous les risques».
Que ce soit pour le professeur CASTOR ou pour la CNSA, l’état d’insécurité créé par les gangs armés surtout au niveau de la sortie sud de la capitale constitue un facteur d’accroissement du phénomène dans les deux régions concernées. Toutefois, la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire liste trois facteurs qui, selon elle, risquent d’aggraver la situation pour la période mars-juin 2022. Il s’agit notamment du conflit russo-ukrainien qui pourrait avoir des retombées sur les coûts de production ; mais aussi de la pluviométrie qui, d’une part avec « une insuffisance et/ou retard de la pluviométrie au démarrage de la saison risque de réduire les superficies emblavées », et d’autre part avec « des excès des pluies, particulièrement au moment des récoltes de haricot, risquent d’affecter la performance de la campagne » ; et enfin de la réduction des mouvements de personnes et de marchandises à la frontière terrestre entre Haïti et la République Dominicaine.
Clovesky André-Gérald PIERRE