Périple du Premier ministre haïtien Henry pour retourner dans son pays
5 min readAbsent du pays depuis le 25 février, cela fait maintenant plus de 13 jours que le Dr Ariel Henry se retrouve en territoires étrangers, incapable de remettre les pieds dans le pays, jusqu’à ce samedi 9 mars 2024. C’est le Ministre de l’économie et des finances, Michel Patrick Boisvert, qui assume l’intérim. Entretemps, la population haïtienne, en particulier dans le département de l’Ouest, vit un enfer sous une pluie interminable de balles, l’état d’urgence d’un mois a dû être décrété.
« Qui va au Kenya perd sa place ! », reprennent de façon sarcastique des Haïtiens sur les réseaux sociaux, faisant allusion au Premier Ministre Ariel Henry maintenu hors des frontières du pays. Après la dégradation du climat socio-sécuritaire en Haïti et la non-gouvernance, l’incapacité du Premier Ministre de retourner dans le pays intervient comme un argument de poids pour ceux qui considèrent que le chef du Gouvernement, après plus de deux ans, n’a pas la capacité de mener à bien la barque du pays. En son absence, les gangs ont largement renforcé leur influence à Port-au-Prince et ses environs, en faisant s’évader plus de 4000 prisonniers de deux centres carcéraux, parmi les plus dangereux du pays.
Hors de son pays, le Dr Henry n’est aujourd’hui Premier Ministre que par le titre, et aucune solution ne semble se dessiner pour son retour dans le pays. Après son voyage au Kenya qui a pris fin, le Chef du Gouvernement aurait vainement tenté d’atterrir en République Dominicaine le mardi 5 mars. En effet, le Gouvernement dominicain a fermé ses frontières avec la République d’Haïti peu après les nouvelles de l’évasion des prisonniers.
« Nous avons reçu l’information selon laquelle cet avion n’est pas entré dans l’espace aérien de la République Dominicaine et n’avait pas le plan de vol pour venir vers nous », a par ailleurs fait savoir Héctor Porcella, le Directeur exécutif de l’Institut dominicain de l’aviation civile.
Après avoir transité aux États-Unis d’Amérique, le Premier Ministre haïtien a finalement atterri mardi sur le territoire de l’État américain de Porto Rico. Selon les informations véhiculées par les médias locaux, ce sont les agents des douanes et de la protection des frontières des États-Unis à Porto Rico qui l’ont accueilli à San Juan. Un échec notoire pour le dirigeant haïtien dont le retour en Haïti a été annoncé lundi par le Département d’État américain.
Protestations à San Juan
Le séjour du Premier Ministre Ariel Henry n’est pas sans turbulence dans la capitale portoricaine. Ce vendredi 8 mars, des mouvements de protestation de la communauté haïtienne sur l’île américaine ont eu lieu devant l’hôtel Isla Verdi Beach, une destination luxueuse appartient au groupe Marriott. Selon les protestataires, le gouvernement local doit cesser d’héberger le Dr Henry. Ils ont appelé « tous les Haïtiens vivant à Porto Rico et aux États-Unis à se rassembler pour protester et dénoncer cette honte », a déclaré Leonard Prophil, porte-parole de cette communauté de la diaspora haïtienne. Des appels à la démission ont été lancés contre l’actuel chef du Gouvernement. « La demande est qu’Ariel Henry quitte le pays parce qu’il est incompétent, il ne peut rien faire. Le peuple ne peut pas respirer. Nous avons besoin qu’il quitte Haïti maintenant parce qu’il a soutenu des groupes armés », a lancé un autre porte-voix de cette communauté. Et malgré tous ces événements, aucune communication officielle n’a été faite par le Gouvernement, alors que des appels à la démission abondent, ainsi que des préparatifs qui s’apparentent fortement à un putsch.
La presse internationale s’en donne à cœur joie
Cette situation a malheureusement remis les projecteurs sur le pays qui s’est désormais octroyé une place de premier plan au rang des pays les plus dangereux et les plus instables au monde. Avec le Dr Ariel Henry, la presse internationale n’est pas tendre. « Il ne donne pas sa démission, mais en tant qu’acteur politique, il n’y a plus de rôle à jouer pour lui », pouvait-on lire cette semaine dans les colonnes de France Info en Martinique. Le Miami Herald a titré mercredi dernier, « le Premier ministre haïtien subit des pressions de la part des États-Unis pour qu’il démissionne ». De son côté, le journal des Amériques de RFI a publié un article avec un titre des plus sarcastiques, « Où se trouve le Premier Ministre haïtien Ariel Henry? »
Cependant, il est vraisemblable que le Premier Ministre soit désormais en très mauvaise posture, surtout avec l’absence de support clairement exprimé par son plus grand allié, Washington. « Au cours de la semaine dernière, la crise politique en Haïti, combinée à l’escalade de la violence et aux troubles civils, a créé une situation intenable qui menace les citoyens et la sécurité du pays », s’est exprimé le porte-parole du Département d’État américain, Matthew Miller, rapporté par le Miami Herald.
Le Département d’État et l’Ambassade des États-Unis en Haïti ont renforcé le doute en informant que, lors d’un entretien téléphonique, le chef de la diplomatie américaine a « exprimé son soutien à une proposition élaborée en partenariat avec la CARICOM et les parties prenantes haïtiennes, qui vise à accélérer la transition politique par la création d’un collège présidentiel indépendant et largement représentatif, chargé d’orienter le pays vers le déploiement d’une Mission multinationale d’appui à la sécurité et la tenue d’élections libres et régulières ».
Signalons que le fait que des bandes armées ayant attaqué par balles le principal aéroport du pays (Aéroport Toussaint Louverture), les compagnies aériennes, avec certaines mises en garde, ont décidé de suspendre (temporairement) leurs vols sur Haïti, n’a pas joué aussi en faveur de M. Henry. Ce 9 mars 2024, le Président dominicain, Luis Abinader, a même pris une grande décision en déclarant M. Henry « persona non grata » dans son pays. De quoi détériorer davantage les relations diplomatiques entre les deux pays?
Clovesky A.-G. PIERRE