14 décembre 2025

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« Quand l’humiliation devient un électrochoc national : Haïti face au devoir de se refonder »

Les propos attribués au président américain Donald Trump, qualifiant Haïti et d’autres pays de « shithole countries », ont provoqué une vague d’indignation légitime. Mais au-delà de l’émotion et de la colère, cette déclaration brutale agit comme un révélateur : elle expose la fragilité de l’État haïtien et l’urgence d’un sursaut national. Car si l’insulte blesse, elle interroge surtout notre capacité collective à construire un pays digne, respecté et souverain.

Une phrase qui choque, un monde qui observe

Lorsque les médias internationaux rapportent que Donald Trump aurait demandé pourquoi les États-Unis devraient accueillir des migrants venant de pays comme Haïti ou la Somalie, qualifiés de « trous à merde », la réaction ne se fait pas attendre. Sur les réseaux sociaux, dans la diaspora comme en Haïti, l’indignation est immédiate. Beaucoup y voient un mépris raciste, d’autres une insulte à l’histoire d’un peuple qui a payé le prix fort de sa liberté.

Mais dans les chancelleries étrangères, ces mots sont aussi interprétés comme l’expression crue d’un rapport de force mondial où les pays faibles subissent le regard condescendant des puissants.

« Ce type de déclaration n’est possible que lorsqu’un pays n’arrive plus à imposer le respect par ses institutions », analyse Jean-Robert Saintil, politologue haïtien basé à Montréal. « Le mépris international prospère toujours sur le vide étatique ».

Une humiliation nationale, pas seulement diplomatique

Il serait réducteur de considérer ces propos comme une simple maladresse verbale. Pour de nombreux Haïtiens, il s’agit d’une humiliation collective, ressentie comme une négation de leur dignité.

« Ce n’est pas uniquement Haïti qui est insultée, ce sont les Haïtiens en tant qu’êtres humains », souligne Dr. Mireille Auguste, sociologue. « Mais cette blessure révèle aussi une crise plus profonde : celle de l’estime nationale ».

Car un pays sûr de lui, stable et respecté, provoque rarement ce type de discours sans réaction ferme et coordonnée.

L’image d’Haïti : un miroir de sa réalité interne

La perception internationale d’Haïti ne se construit pas seulement à travers les préjugés. Elle est alimentée par des réalités tangibles : insécurité généralisée, institutions paralysées, services publics inexistants, crises politiques répétées.

« Le monde ne juge pas Haïti sur sa révolution de 1804, mais sur son fonctionnement actuel », affirme Laurent Desmoulins, ancien diplomate français en poste dans la Caraïbe. « L’histoire inspire le respect, mais seule la gouvernance contemporaine le maintient ».

Aussi douloureux que cela puisse être, la déclaration de Trump agit comme un miroir brutal, reflétant les failles d’un État qui peine à assurer ses fonctions régaliennes.

La tentation du victimisme : un piège récurrent

Face à ce type d’attaque, la tentation est grande de se réfugier dans un discours purement victimaire, accusant exclusivement le racisme, l’impérialisme ou l’ingérence étrangère. Ces facteurs existent, certes. Mais s’y limiter empêche toute réforme en profondeur.

« Le victimisme est devenu un alibi politique », estime Frantz Pierre-Louis, analyste en gouvernance publique. « Il permet d’éviter les vraies questions : pourquoi l’État ne fonctionne-t-il pas ? Pourquoi la corruption est-elle systémique ? Pourquoi la jeunesse est-elle livrée à elle-même » ?

Un pays qui refuse de se regarder en face condamne sa propre renaissance.

Former le caractère national : une urgence oubliée

L’un des points centraux de la refondation nationale réside dans la formation du caractère citoyen. Une nation forte repose sur des valeurs partagées : discipline, responsabilité, respect de la loi, sens du bien commun.

« Haïti a longtemps formé des diplômés, mais rarement des citoyens », regrette sœur Évelyne Charles, éducatrice et directrice d’école depuis plus de trente ans. « Sans éducation civique et morale, les diplômes seuls ne bâtissent pas un État ».

L’école, l’université, la famille et même les médias doivent redevenir des espaces de construction du caractère national, et non de simple survie sociale.

Un État sans autorité ne peut exiger le respect

L’autre chantier majeur est celui de l’autorité de l’État. Là où l’État recule, les gangs avancent. Là où la loi est absente, l’arbitraire s’installe.

« La souveraineté ne se proclame pas, elle s’exerce », rappelle Me Ricardo Alvarez, juriste spécialisé en droit international. « Un pays incapable de garantir la sécurité de ses citoyens ne peut espérer être traité comme un égal sur la scène mondiale ».

La lutte contre la corruption, l’indépendance de la justice et le renforcement des forces de l’ordre sont des préalables non négociables à toute reconstruction nationale.

La diplomatie haïtienne face à ses responsabilités

Les propos de Trump posent également la question de la diplomatie haïtienne. Où était la réponse officielle forte, structurée, stratégique ?

« Trop souvent, la diplomatie haïtienne est réactive et émotionnelle, alors qu’elle devrait être stratégique et offensive », estime Nadia Toussaint, consultante en relations internationales. « Le silence ou les réactions timides renforcent l’idée que le pays accepte l’humiliation ».

Une diplomatie moderne doit défendre l’image du pays, déconstruire les narratifs dégradants et bâtir des alliances solides.

Trump, symptôme plus que cause

Il faut le reconnaître sans détour : Donald Trump n’est pas la cause première du mal haïtien. Il en est un révélateur brutal.

« Trump dit tout haut ce que certains pensent tout bas », affirme Samuel Dorvil, éditorialiste. « Le vrai scandale, ce n’est pas sa phrase, c’est notre incapacité collective à lui donner tort par les faits ».

Tant que l’État restera faible, d’autres Trump surgiront, avec d’autres mots, tout aussi blessants.

Transformer l’insulte en sursaut national

L’histoire offre parfois des moments de rupture. Cette déclaration peut en être une. À condition qu’elle ne se dissolve pas dans l’oubli.

« Les nations se construisent souvent après une humiliation », rappelle Dr. Alain Moreau, historien. « Le Japon, l’Allemagne, la Corée du Sud ont connu des moments de honte avant de se relever. La question est : Haïti est-elle prête à faire ce choix» ?

Le respect se construit

Les propos de Donald Trump resteront comme une tâche dans l’histoire diplomatique. Mais ils peuvent aussi devenir un point de départ. Un signal d’alarme.

Haïti n’a pas besoin de compassion internationale, ni de discours enflammés sans lendemain. Elle a besoin d’un État fort, de citoyens responsables et d’une vision nationale claire.

L’humiliation est réelle.

Mais elle peut devenir féconde.

Car le respect ne se mendie pas.

Il se construit, pierre par pierre, institution par institution, caractère par caractère.

Olry Dubois

Olrydubois@gmail.com

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