À quelques jours de la rentrée scolaire fixée officiellement au 1ᵉʳ octobre par le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), de nombreuses familles capoises se retrouvent plongées dans une grande incertitude. Alors que les établissements s’apprêtent à rouvrir leurs portes, des milliers de parents n’ont pas encore les moyens d’acheter des fournitures, des uniformes et de garantir le transport quotidien de leurs enfants. La cherté de la vie, déjà insupportable pour une grande partie de la population, transforme cette rentrée en un véritable casse-tête.
C’est une rentrée qui va se faire sous le signe de l’angoisse. Traditionnellement, le mois de septembre est marqué par l’effervescence : marchés bondés, rues animées, étalages de cahiers, sacs d’école et uniformes flambant neufs. Mais cette année, l’ambiance au Cap-Haïtien est différente. Beaucoup de familles n’ont ni la joie ni la sérénité habituelles. À la place, on perçoit angoisse, inquiétude et désarroi.
« Comment envoyer trois enfants à l’école quand on ne peut même pas couvrir les dépenses quotidiennes ? », se lamente Marie-Josée, une mère célibataire rencontrée au marché Cluny. Elle explique qu’elle a dû renoncer à acheter plusieurs livres imposés par l’école : « Les cahiers ont presque doublé de prix depuis l’année dernière, les uniformes sont hors de portée et même le coût du transport scolaire est devenu exorbitant ».
Le coût des fournitures, un fardeau pour les familles
Selon une enquête menée par des organisations locales, le budget nécessaire pour envoyer un enfant à l’école primaire en Haïti varie entre 35 000 et 50 000 gourdes pour l’année académique 2025-2026. Pour le secondaire, la facture peut atteindre 75 000 gourdes et plus, sans compter les frais supplémentaires tels que les activités parascolaires ou les examens.
Au Cap-Haïtien, où le salaire minimum reste fixé à 770 gourdes par jour pour les ouvriers industriels, beaucoup de parents doivent travailler plusieurs mois pour espérer couvrir les dépenses d’un seul enfant. « J’ai deux enfants. Rien que pour les uniformes et les fournitures de base, j’ai déjà dépensé plus de 60 000 gourdes. Et je ne parle même pas des frais de scolarité », témoigne Jean-Robert, chauffeur de taxi-moto à Charrier.
La vie chère, un mur infranchissable
Cette crise scolaire s’inscrit dans un contexte économique plus large. Les prix des denrées alimentaires de première nécessité ont flambé ces derniers mois. Selon les chiffres publiés par l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI), l’inflation annuelle avoisine près de 45 % en 2025, un record historique. Le prix du riz, produit de base dans l’alimentation haïtienne, a augmenté de 30 % en un an, tandis que l’huile comestible et le sucre connaissent des hausses respectives de 25 % et 28 %.
Dans ce contexte, beaucoup de familles sont contraintes de faire des choix douloureux : réduire les repas quotidiens pour acheter un uniforme, retarder le paiement du loyer pour se procurer des manuels scolaires, ou encore sacrifier la scolarité d’un enfant au profit de ses frères et sœurs.
Transport et cantine : des dépenses additionnelles
Au-delà des frais scolaires directs, les dépenses liées au transport et à l’alimentation des élèves pèsent lourdement sur les ménages. « Chaque jour, il faut prévoir au moins 300 gourdes pour le transport et 500 gourdes pour la collation de l’enfant. Pour une famille de trois enfants, c’est près de 2500 gourdes par jour, soit 50 000 gourdes par mois », explique Yoline une commerçante à Vaudreuil.
Cette réalité pousse certains parents à envisager de garder leurs enfants à la maison. « Si je dois choisir entre les nourrir et les envoyer à l’école, je préfère qu’ils mangent », confie, les larmes aux yeux, une mère rencontrée dans le quartier de Petite-Anse.
Le MENFP fixe la rentrée, mais les familles crient à l’impossible
Le MENFP maintient pourtant la date du 1er octobre pour la reprise officielle des cours. Dans une circulaire publiée début septembre, le ministère a rappelé aux directeurs d’école que la rentrée doit se dérouler normalement, malgré les difficultés économiques.
Cependant, aucune mesure concrète n’a été annoncée pour accompagner les familles les plus vulnérables. Pas de programme de subvention élargi, pas de distribution massive de kits scolaires, ni de plan de soutien spécifique pour les parents frappés de plein fouet par la crise.
Des syndicats d’enseignants et des associations de parents dénoncent cette absence d’accompagnement. Pour eux, imposer une rentrée sans tenir compte de la misère généralisée, c’est « déconnecter l’éducation de la réalité sociale du pays ». Est-ce que le MENFP va attendre les derniers moments pour agir ?
Une menace pour l’avenir de toute une génération
La situation actuelle risque d’avoir des conséquences dramatiques. Des milliers d’enfants pourraient ne pas reprendre le chemin de l’école cette année, aggravant un phénomène déjà préoccupant. D’après l’UNICEF, près de 500 000 enfants haïtiens étaient déjà hors du système scolaire en 2024, un chiffre qui pourrait encore grimper en 2025.
Chaque année de scolarité perdue se traduit par un appauvrissement accru et une fragilisation de la société. « Quand un enfant ne va pas à l’école, ce n’est pas seulement sa famille qui est affectée, c’est toute la nation qui recule », rappelle un pédagogue capois.
Un appel à la solidarité et à l’action
À quelques jours de la rentrée, l’incertitude plane toujours sur des milliers de familles capoises. Entre la volonté d’offrir un meilleur avenir à leurs enfants et l’impossibilité financière d’assumer les frais scolaires, les parents se retrouvent pris au piège d’une situation intenable.
Cette rentrée 2025-2026 ne devrait pas être seulement une question de calendrier fixé par le MENFP. Elle devrait surtout être l’occasion de poser un vrai débat national sur l’accès équitable à l’éducation en Haïti.
Sans un soutien massif de l’État, des partenaires internationaux et de la société civile, la promesse d’une école pour tous, risque de rester un mirage. Et pendant ce temps, au Cap-Haïtien comme ailleurs, ce sont les enfants, l’avenir même du pays, qui paient le prix le plus lourd.
Olry Dubois
Olrydubois@gmail.com