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Une excursion avec l’ULCC dans les arcanes de la corruption

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Par Max Dorismond

« Voyons, tu es un moins que rien! Ton nom ne se trouve nulle part. Même pas sur la liste de l’ONA ni sur celle de l’ULCC. Donc, vois-tu, tu n’es même pas une crotte de chien! ». C’était la dispute de deux de nos compatriotes, sur la plage de Decameron en 2019. Voilà les nouvelles valeurs d’Haïti.

L’absence de ton nom sur la liste des escrocs est une tare, un vide à combler, une faiblesse génétique à corriger dans ton curriculum. Sinon, tu n’es qu’un sous-fifre, un minus. Certains vont jusqu’à payer des fonctionnaires pour ajouter leur nom sur ces « palmarès dorés des lauréats de la corruption », ou payer des médias pour les citer aux fins d’une certaine publicité, parce que c’est très, très rentable. Dans leur optique, le respect public sera automatique.

Tout en demeurant avec ce sentiment d’impuissance, je reste persuadé que plusieurs Haïtiens et surtout ceux de la diaspora, se mordent le pouce, en pensant qu’ils avaient fréquenté la mauvaise école au temps de leurs études classiques, car leurs 14 années de durs apprentissages furent une pure perte de temps, puisqu’on ne leur avait pas enseigné à voler, comme semblerait le souligner le rapport d’enquête de l’ULCC avec des centaines de noms.

Respectant certains codes d’honneur oubliés, nos congénères de la diaspora avaient pris leur courage à deux mains, pour aller manger la vache enragée au pays des blancs, à suer eau et sang pour joindre les deux bouts. Tandis que chez nous, les ignares, les incompétents, les incultes, les analphabètes… se la coulent douce, aux frais de la princesse et rient dans leur barbe, de ces imbéciles émigrants, qui préfèrent redevenir esclaves dans les bas-fonds de l’Amérique ou de l’Europe.

Pour comprendre la mécanique de la tromperie de chez nous, il faut saisir le paramètre dans le dictionnaire, dans lequel vous aviez cherché l’explication. Dans le Larousse ou le Petit Robert, les mots « voleurs, gangsters, vicieux, fraudeurs, pillards… » signifient exactement ce que vous connaissez de ces titres dégradants. Mais, dans la psyché haïtienne, c’est une tout autre histoire. Dans le lexique national, ces mots dégagent une portée contraire, enrobée de fierté, suintant le prestige de la réussite. Il existe aussi des expressions clés pour définir l’état d’âme de l’autre ou sa propension à être adroit à tirer profit de toute éventualité, ou à tout siphonner avec avidité.

Par exemple, chez nous, dire de quelqu’un en chantonnant, « un tel est un intelligent », est différent de « un tel est intelligent ». L’article « un » devant le mot « intelligent » a tout un poids dans l’expression pour désigner un super voleur, un excellent ratoureux, un parfait vaurien.

Dire de quelqu’un qu’il est « un chatt sou tè », c’est comme une note de noblesse. Ici, l’expression créole dérivée d’une connotation anglaise, « sharp shooter » pour « franc-tireur », se définit en Haïti comme un usurpateur rapide, qui ne souffre d’aucun complexe. Il est vite sur ses patins.

Dire à un Européen qu’il est un « Maître d’armes », c’est un titre accolé à quelqu’un qui enseigne l’escrime ou les arts martiaux selon le dictionnaire. Allez dire la même chose à un Haïtien, c’est un « Mèt dam », c’est de le sacrer comme un intelligent, c’est-à-dire une fripouille, un maître chanteur, un profiteur.

Par contre, dire de quelqu’un en Haïti qu’il est un « idiot, un imbécile », c’est tout à fait le contraire dans un dictionnaire classique. Cette expression, chez nous, est accolée à 95% à un individu honnête, respectueux des normes, un élément qui ne veut point succomber à la tentation de la bêtise. Et très vite, il est vu comme un chien dans un jeu de quilles, un empêcheur de danser en rond qui se prend pour Saint-Pierre, un « gaté pati », un citoyen à éliminer, à détruire, à écarter de l’équipe. Il faut lui tailler une chemise sur mesure, avec l’écriteau du vrai filou, en guise de leçon, si on ne l’envoie pas ad patres avec une balle dans la tête.

 Souvenons-nous en 2010 de l’enlèvement et de l’assassinat du fonctionnaire Robert Marcelo qui rechignait à cautionner les premiers chèques de Petro-Caribe. Une balle et puis, instantanément, le carnaval des contrats bidons a trouvé son rythme de croisière. Adieu Petro !

Autre preuve récente : tout un corps de police était bouche cousue pendant un mois, jusqu’à l’assassinat du premier citoyen de la nation. La loi du « Nou tout ap jwen » a été appliquée à la lettre. Aucun « idiot » ne s’était signalé.

Ces gens-là qui parlent de nous de la diaspora avec dédain, qui rient dans leur moustache, à nous voir nous échiner, de peine et de misère, dans les galères d’outre-mer, n’ont pas d’états d’âme face à leur exploit du « tout pou yo ».

À éplucher le rapport de l’ULCC, toutes les couches sociales s’y trouvent. On aurait dit l’annuaire téléphonique d’Haïti. En effet, devant ce déferlement de noms de pickpockets patentés, juste pour une année (2020-2021), on tombe des nues. Il ne manque que leurs coordonnées téléphoniques. C’est un carnaval de crimes, de brigandages, de grabuges organisés. Un don de 283 449 sacs de riz du Japon a été volatilisé par les rapaces, le temps d’un clin d’œil. C’était « Rapido presto – Totalitaire Tato ». Le riz du Japon a ri jaune! (voir page 8 à 10 du rapport)

Toutefois, je ne m’en fais pas trop, car, ce n’est pas la première fois. C’est une tradition de lister les cambrioleurs. « L’enkèt fink kare se pouswi ». Au contraire, pour vous démontrer l’inutilité de la démarche de blâmer ces gentlemen sans moralité, il y en a plusieurs autres qui vont s’offusquer de ce que leurs noms ne s’y trouvent pas. Car pour eux, il y a une certaine fierté à tirer, de voir figurer son identité sur ce fameux rapport. C’est la preuve de leur réussite, de leur super intelligence. Ce sont des « Grand Nèg ».

De l’autre côté du miroir, ils ont particulièrement raison. Parmi les noms qui s’y trouvent, on rencontre des politiciens de haute voltige qui font et défont les gouvernements, des hommes d’affaires qui interpellent le pouvoir à leur guise et sans ménagement.

Par conséquent, c’est un rapport à conserver, un souvenir littéraire à classer, si vous voulez connaître les prochains ministres et présidents d’Haïti. Cet annuaire des célèbres coquins indexés se révèle être la future liste des présidentiables à venir. Souvenez-vous du procès de la Consolidation (1903- 1904), sous Nord Alexis? Trois (3) des condamnés de cette rafle, Cincinatus Leconte, Tancrède Auguste et Vilbrun Guillaume-Sam, étaient devenus présidents d’Haïti entre 1911 et 1915.

Ainsi va l’Histoire chez nous : la tradition continue.

Max Dorismond

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