La présence des zones de non-droit contrôlés par les gangs armés rendrait impossible la réalisation des élections, selon le professeur James Boyard
5 min readDans un système démocratique, l’organisation des élections est une nécessité. À cela, il faut qu’il y ait bien entendu un climat sécuritaire stable et un contexte politique favorable. «Il serait certainement impossible d’organiser des élections crédibles avec la présence de zones de non-droit contrôlés par les gangs armés », a affirmé le professeur James Boyard lors d’une interview accordée au Journal Le Quotidien News ce jeudi 14 juillet 2022.
Le train de l’insécurité roule à vive allure, ce, avec la prolifération des gangs armés dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Et cette situation risque d’avoir des impacts négatifs sur une éventuelle réalisation du processus électoral en Haïti. Car, selon le professeur Jean Boyard, « l’espace occupé actuellement par les principaux gangs armés en activité dans la zone métropolitaine représente plus de 60% de l’électorat de tout le Département de l’Ouest. Il serait certainement impossible d’organiser des élections crédibles avec la présence de ces zones de non-droit contrôlées par les gangs armés. La nature démocratique de ces élections sera d’autant plus incertaine que tous les candidats n’auront pas les mêmes droits d’accès à l’électorat de ces zones durant les périodes de campagne électorale ».
Selon l’auteur de l’ouvrage intitulé « le Procès de l’insécurité : Problèmes, Méthodes et Stratégies », il serait irresponsable de penser installer dans ces zones des centres ou bureaux de vote, sachant que ces gangs risqueraient de détourner le vote des électeurs locaux au profit de leur propre candidat». « La possibilité d’aménager des « méga centres » de vote dans un autre quartier plus sécuritaire, comme cela l’a été en 2006, est aujourd’hui inutile, vu qu’avec l’extension des gangs armés, on serait obligé de forcer la population d’un quartier ou d’une commune à se déplacer massivement vers une autre commune très éloignée pour remplir son devoir d’électeur le jour du scrutin», explique-t-il.
L’organisation des élections est sans doute l’un des objectifs du gouvernement en place. Alors que, selon le politologue James Boyard, les gangs armés les plus violents de Port-au-Prince gagnent en puissance grâce au soutien politique, financier et matériel dont ils ont bénéficié de la part de certains responsables politiques. « Il serait difficile d’organiser des élections dans les conditions actuelles sans prendre le risque de reproduire ce même modèle de gouvernance responsable de la gangstérisation du pays. D’où, la nécessité de procéder au préalable sur la base d’une mobilisation générale de la société civile à un grand coup de balai au sein de la classe politique», a-t-il souligné.
En revanche, d’un point de vue sécuritaire, il est impossible d’organiser des élections avec autant des zones dites de non-droit dans le pays. Eu égard à cela, l’expert en sécurité explique par quel moyen doivent procéder les autorités pour pacifier ces zones de non-droit. « En dehors de la nécessité d’opérations musclées et soutenues des Forces de l’ordre pour neutraliser les chefs de gangs et détruire leurs infrastructures, la pacification de ces zones et un retour durable de la paix et de la sécurité dans ces quartiers ne seront possibles que par le biais d’un ensemble de politiques publiques », soutient M. Boyard.
Ce dernier préconise en ce sens, trois types de politique : une « politique de jeunesse : pour donner de nouvelles opportunités aux jeunes des quartiers défavorisés, soit en termes de crédit à l’investissement, de formation professionnelle, d’emplois jeunes, etc. » ; une « politique d’aménagement du territoire : destinée à transformer du point de vue physique et social ces quartiers par la construction de grandes avenues, d’importantes infrastructures publiques et la modernisation de l’habitat » ; une « politique démographique : visant à assurer un contrôle des naissances par le biais d’actions éducatives ou de mesures d’autorégulation […]».
Il souligne également la nécessité de définir les zones de non-droit comme des « zones qui se caractérisent par un contrôle monopolistique des gangs armés, le développement d’un haut degré de violence urbaine et de proximité et surtout l’incapacité de la Police à y accéder sans s’exposer à des attaques meurtrières de la part de ces gangs. C’est le cas aujourd’hui des quartiers,comme Village de Dieu, Gran Ravin, Ti Bois, Belecou, Boston, Canaan, Torcel, Ganthier, Tomazo, Delmas 6 […]».
Quelle définition peut-on attribuer aux ‘’zones de non-droit’’ ? Le professeur James Boyard répond. « À l’origine, dit-il, les zones de non-droit sont des quartiers ou des bidonvilles caractérisés par le chômage massif chez les jeunes, la misère de la population locale, l’absence d’infrastructures sociales de base de l’État, tels centres de santé, écoles, distribution d’eau potable, etc. Ce sont ces conditions physiques et sociales désastreuses qui tendent justement à être exploités par certains activistes politiques ou des jeunes délinquants, quitte à transformer ces zones en foyers criminogènes, voire carrément en bases arrière ou foyers de recrutement pour les gangs armés ». Il ajoute que la cause de ce phénomène est « un déficit de gouvernance politique et économique accumulé sur plusieurs décennies, qui est à la base de l’émergence des « zones de non-droit ».
Pour le professeur Boyard, « la sociogenèse de ces « zones de non-droit » remonte au milieu du XXème siècle, lorsque la faillite provoquée de l’économie rurale par le trafic des prix des denrées agricoles sur le marché international a poussé des milliers de paysans, habitant notamment les côtes Sud du pays, dans une dynamique d’exode vers les côtes Sud et Sud-Est de Port-au-Prince pour servir de main-d’œuvre aux ‘’factories’’ naissantes ou aux industries de sous-traitance. Dépourvus de grands moyens de subsistance et d’un salaire respectable, ces populations d’origine rurale ont d’abord commencé à s’établir pêle-mêle à Cité Simone (Cité Soleil), Drouillard, puis Carrefour feuilles, Martissant, La Saline, […]».
Jackson Junior Rinvil