Faute de leaders, le peuple dans la rue hurle sa misère
4 min readFrères, essayons de réfléchir un instant sur l’état de la situation actuelle en Haïti, par rapport aux révolutions passées enregistrées dans le monde. Jamais telle opportunité, avec autant de motifs pour attiser les brasiers de ces époques révolues, ne fut offerte avec autant de réalisme à aucun de ces pays qui ont changé le cours de leur histoire. Il leur suffisait moins que cela, simplement une poignée de citoyens motivés et sincères, pour allumer la mèche salutaire. Leurs leaders convaincus et convaincants n’avaient nullement besoin de ces tristes tableaux, comme actuellement chez nous : une cohorte de pauvres en guenilles, criant leur famine à tue-tête, des criminels qui ne donnent pas cher de la vie de leurs congénères, un chômage endémique dont le taux est absent des statistiques, une mer de corruption où flottent tous les requins de la République, etc…etc.
Présentement, près de 10 millions de voix, fatiguées de végéter dans la fange de la déshumanisation, hurlent leurs souffrances, en attendant la venue d’un sauveur hypothétique pour l’ultime révolution, avec l’espoir de voir poindre enfin une nouvelle Haïti. Résignés et lassés de compiler le nombre de jours chanceux gagnés sous les balles assassines des gangs, le ventre vide, ils descendent dans la rue à qui mieux mieux, sans aucun guide, pour bloquer l’île, car les meneurs d’hier se sont volatilisés.
Qu’est-ce qui freine l’émergence des leaders, cette espèce en voie de disparition ? Où sont passés tous ceux qui désiraient la peau de Jovenel en répétant sans cesse aux jeunes que leur avenir se trouve derrière les barricades ? Et pourtant, aujourd’hui, la prolifération des armes à feu, en veux-tu, en voilà, laisse à désirer. Elles courent les rues à la queue leu leu. Pour une poignée de dollars, on pourrait construire un arsenal. Même l’Église peut vous en fournir (hic). Allons-nous mettre en doute l’épopée de 1804, comme certains compatriotes échevelés ont tendance à le faire ?
Avant de dénoncer ces faux jetons, ces grandes gueules d’hier, maintenant hors-jeu et inutiles, décortiquons la raison de leur absence !
Chez nous, tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir ! Cette boutade répétée assez souvent avait coiffé une chansonnette dans les années 70. Par « aller au ciel », pour nos leaders, ou de préférence nos dealers, on entend un lit de dollars verts sur lequel ils se voient déjà en train de se trémousser, entourés de parasites et d’assoiffés au paradis quisqueyen, délectant leur whisky au banquet des vendeurs de patrie.
Pour rien au monde, ils ne vont provoquer une révolution, au risque de perdre la vie et de laisser à d’autres opportunistes l’occasion de boire le lait à l’hydromel ou, encore, de crainte de froisser l’Oncle Sam et le Core Group, et dire adieu aux avantages tant rêvés.
En conséquence, la nation entière peut gémir, pleurnicher ou vociférer à fendre une pierre, c’est le cadet de leur souci. « Ce bwi sapat », l’insurrection peut attendre. Le détenteur du pouvoir actuel, le Premier ministre de facto, se sentant confortablement logé, malgré l’effervescence et l’écho des menaces entendues à droite et à gauche, a pris l’avion avec sérénité, pendant le premier week-end de septembre, accompagné de ses petits « zamis » et s’en est allé se la couler douce au champagne et caviar doré sur les plages de la Floride, après avoir reçu, selon la rumeur, les directives de ses maîtres au Département d’État. À son retour, le dimanche, 30 voitures VUS étaient venues le recueillir à l’aéroport, tandis qu’au même moment 4 autos étaient suffisantes pour emmener le corps de la Reine d’Angleterre de Balmoral à Édimbourg en Écosse. Le monde à l’envers !
Qui dit mieux ! Pensons simplement à la paranoïa des Duvalier, père et fils, qui, pendant près de 30 ans au pouvoir, n’avaient jamais osé franchir le seuil du palais pour un voyage de détente ou de travail à l’étranger. La fragilité de leur siège ne souffrait d’aucune exception. Tandis que pour notre Ariel national, c’est « la balade des gens heureux ». Avait-il reçu des garanties qu’il ne risquait pas d’être éjecté de son fauteuil ? Son assurance nous confirme la réponse ! Et le voilà de retour frais et dispos, le crâne au vent, pour reprendre ses tâches là où il les avait laissées.
« Pèp, barikad nou, se aveni nou ». C’était le slogan des leaders d’hier. Depuis un an, ils se sont évaporés derrière le rideau de la transition, le « p’tit transit » qui n’échappait pas aux ricanements des badauds. Victimes de la vie et de la malchance, il vous revient de défier le destin. Ne comptez plus sur ces grands mangeurs pour une quelconque révolte. D’ailleurs, vous convenez qu’ils sont des gens bien élevés. Avant ils emmerdaient Jovenel, aujourd’hui, la plupart s’acoquinent avec Ariel. On leur a appris à ne jamais parler la bouche pleine. Ils sont tous muets comme des carpes.
Le temps passe et les heures se ressemblent. Faute de leaders, le peuple hurle sa rage en attendant l’éclatement de la révolution finale tant espérée pour se débarrasser de tous les vampires de la République. Devant le néant, il lui incombe de saisir l’occasion, de trouver la clé pour stopper la descente aux enfers et de changer la trajectoire de son étoile. En passant, qu’il ne l’oublie jamais, il a pour lui la force du nombre.
Max Dorismond