« Si on applique les mêmes solutions que par le passé, il ne faut pas s’attendre à un résultat différent », prévient l’ambassadeur du Canada en Haïti
5 min readL’intervention étrangère en Haïti occupe l’actualité nationale depuis maintenant plusieurs semaines, et le Canada revient en boucle comme nation la mieux placée pour mener la coalition. Pour Sébastien Carrière, ambassadeur du Canada en Haïti, son pays serait le mieux placé pour guider les efforts de la communauté internationale qui viendrait aider à résoudre la crise haïtienne. Toutefois, le diplomate reste vague quant à l’implication de son pays dans une éventuelle intervention militaire.
La crise haïtienne qui sévit depuis près d’une décennie n’arrête pas de gagner en profondeur. Sécurité, économie, catastrophes naturelles, politique, tous les indicateurs sont au rouge, et la situation ne va pas en s’arrangeant. Cinq ans après le départ des forces de la MINUSTAH – Opération de Maintien de la Paix en Haïti –, les discussions au Conseil de Sécurité de l’ONU tournent autour d’une nouvelle intervention militaire dans le pays, suite aux recommandations du Secrétaire Général de l’ONU, et la demande adressée par le Gouvernement provisoire du Dr Ariel Henry.
Cité de plus en plus par les États-Unis et le Mexique pour prendre la tête d’une force d’intervention, le Canada pourrait être amené à jouer un plus grand rôle sur la scène politique haïtienne. Pour Sébastien Carrière, ambassadeur du Canada en Haïti qui répondait ce lundi 31 octobre aux questions du Comité permanent des affaires et du développement international du Canada, son pays serait le mieux placé pour conduire les initiatives de la communauté internationale en Haïti à cause des liens de solidarité existant entre les deux pays. Selon lui, contrairement aux pays comme les États-Unis d’Amérique ou la France qui ont des contentieux historiques avec Haïti, le Canada ne charrie aucun fantôme du temps passé.
Le Canada veut une assistance pacifique
Aux grands maux, les grands remèdes, disent certains. À l’ONU, des diplomates haïtiens plaident en faveur d’un « appui robuste », une force militaire capable de contrer la force de frappe des gangs dans le pays. La prolifération des armes est bien connue de tous. « Les gangs sont lourdement armés. L’entrée en Haïti de toutes sortes d’armes en provenance notamment des États-Unis est extrêmement problématique, l’entrée des munitions aussi. Il y a tout un trafic clandestin d’armes qui se fait dans toute la Caraïbe, en Amérique Centrale aussi », a déclaré l’ambassadeur du Canada ce lundi. Cependant, le diplomate plaide en faveur d’une assistance sécuritaire, sans pour autant livrer bataille, pendant que le Gouvernement canadien ne parle que de l’aide humanitaire. « Ça doit être la priorité absolue. On a eu assez de violence, il y a eu assez de souffrance ici, donc il faut mettre tous les moyens en œuvre pour que l’assistance sécuritaire qui est à amener ici se fasse de la façon la plus pacifique possible », plaide Sébastien Carrière.
Selon lui, les sanctions prises lors de la résolution 2653 du Conseil de Sécurité contre les chefs de gangs et leurs soutiens contribueront à affaiblir les réseaux criminels dans le pays. Pour lui, l’un des principaux soutiens aux activités criminelles est la bourgeoisie locale, faible en nombre, mais qui contrôle l’essentiel des activités économiques du pays, et dont les façons de faire ne sont pas toujours propres. C’est un problème qui, selon lui, devrait être prise en compte lors de l’édiction des sanctions. Par ailleurs, seul un chef de gang a été spécifiquement nommé par la Résolution, mais cette nomination n’a qu’une portée symbolique selon le diplomate, vu que l’individu en question n’a pas de comptes à l’étranger et fonctionne dans l’économie du cash.
Des élections qui n’apparaissent toujours pas à l’horizon
La crise socio-sécuritaire a tendance à faire oublier la crise politique, et l’absence de processus électoral dans le pays près d’un an et demi après la transition. Pour l’ambassadeur Carrière, il faudra encore un accord politique sur la transition pour pouvoir mettre sur pied un conseil électoral, et organiser des élections. « Pour avoir des élections, il faudrait d’abord avoir un accord politique sur la transition. Le Premier Ministre Ariel Henry en a un, mais il a besoin de plus de partenaires pour pouvoir aller de l’avant avec la prochaine étape qui est la nomination d’une commission électorale provisoire », a-t-il déclaré par-devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international du Canada. Selon lui, pour la durée du processus électoral, les « experts électoraux » disent qu’il faut compter à peu près un an pour la réalisation des élections. À partir de novembre de cette année, il faudrait donc attendre novembre 2023.
Les problèmes sont connus, ainsi que les causes de la crise actuelle. Pour l’ambassadeur Carrière, certains défis fondamentaux doivent être relevés par le peuple haïtien afin d’avoir un succès à long terme. « Les diagnostics sont établis, nous connaissons tous les causes qui ont conduit à cette situation. Nous savons également que pour avoir un succès à long terme en Haïti, il faut passer par une restructuration de l’économie, que les gens payent leurs taxes, et qu’un système judiciaire efficace existe pour renforcer tout ceci. Le système judiciaire s’est presqu’entièrement effondré. Afin de parvenir à ce stade, il faut être prêt à affronter l’un des plus grands défis depuis la dictature : l’impunité. Tout part de l’impunité ».
Le Premier Ministre Justin Trudeau a convoqué une deuxième réunion du Groupe d’intervention en cas d’incident
L’évolution de la situation en Haïti était au cœur d’une réunion convoquée par le Premier Ministre Justin Trudeau avec des ministres et des hauts responsables. Dans un compte-rendu publié le 3 octobre 2022, il est noté que le Groupe d’intervention a écouté Daniel Jean, « représentant du sous-ministre des Affaires étrangères et ancien conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du Premier Ministre, qui a dirigé la récente mission interministérielle d’évaluation que le gouvernement a effectuée en Haïti du 26 au 29 octobre 2022 ». M. Jean a indiqué que la situation sécuritaire et humanitaire est toujours précaire en Haïti.
Il est dit que « les membres du groupe ont souligné qu’il est urgent de rétablir la sécurité et l’accès humanitaire dans le pays et ont discuté de la façon dont le Canada et ses partenaires, y compris la Communauté des Caraïbes (CARICOM), les Nations Unies, les États-Unis d’Amérique, les organisations de la société civile et d’autres, soutiennent le peuple haïtien en cette période difficile ».
De son côté, M. Trudeau a « souligné l’importance d’assurer un accès sans entrave pour l’acheminement de l’aide humanitaire aux personnes touchées, de demander des comptes aux personnes responsables de ces troubles et de travailler avec les partenaires afin de favoriser l’atteinte d’une solution dirigée par les Haïtiens à la situation actuelle ».
Clovesky André-Gérald PIERRE
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