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À la rencontre de  Franciyou Germain, le maître à penser de MagHaïti

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Dans ce numéro de « Moun Ou Dwe Konnen » cette semaine, Le Quotidien News retrace le parcours de Franciyou Germain, exilé aux États-Unis depuis 2019. PDG de MagHaïti et membre fondateur de l’Association Haïtienne des Médias en Ligne, le journaliste originaire de Port-au-Prince a toujours lutté pour préserver l’intégrité de la presse en Haïti. Il affirme avoir le mal de son pays, et souhaite continuer à travailler pour son développement.

Il est connu dans le secteur médiatique haïtien comme un journaliste aguerri, autodiscipliné, qui fait preuve de rigueur dans son travail. Fils unique de sa mère, commerçante au bas de la  capitale, Franciyou a grandi à Sans Fil, un petit quartier logé entre Bel-air et la Rue Saint Martin. Dans ce quartier défavorisé, il a connu une enfance ordinaire marquée par des journées privées de nourriture. « Ce n’était pas toujours facile. Parfois, je revenais de l’école sans rien trouver à manger sur la table », confie Franciyou, passionné de sport. Mais, cela ne l’empêchait pas d’être performant à l’école.

Dans ce coin très politisé de la capitale, Franciyou a été témoin dans son enfance d’actes de barbaries, brutaux pour son âge. « J’ai grandi dans un ghetto où j’ai vécu pas mal d’horreurs comme le « dechoukaj » et le coup d’État de 1991, témoigne-t-il dans une interview avec Le Quotidien News. J’ai vu des choses auxquelles les enfants de mon âge ne devaient pas assister. J’ai vu des gens lyncher et manger un ‘’macout’’, un dénommé Gros Gérard, qui habitait tout près de chez nous », se souvient Franciyou, qui a connu la jeunesse de Amaral Duclona, chef de gang notoire à Cité Soleil.

Exposé aux vagues incessantes d’influences toxiques, dont sa mère, chrétienne, voulait le protéger, Franciyou a toujours suivi les voies de l’instruction. Il a enchaîné ses classes primaires au Collège Dominique Savio (situé en ville). Même s’il obtenait de bons résultats au secondaire, il n’a jamais pu enchaîner deux années de suite dans un même établissement, tant il était turbulent durant son adolescence. « Chaque année on me mettait à la porte malgré mes bons résultats au niveau académique », affirme avec une pointe d’humour le journaliste de trente-huit ans, qui, déjà en primaire, prenait plaisir à participer à des combats programmés tous les vendredis après les cours avec ses camarades du Petit Séminaire Collège Saint-Martial, du Collège Frère André ou de Jean Marie Guilloux. « C’est après l’exil de ma mère qui faisait aussi de la politique à l’époque, que j’ai commencé à prendre ma vie en main », révèle l’ancien élève du Collège Le Normalien.

En raison de ses positions politiques sous le règne du Président Jean Bertrand Aristide en 2003, sa mère a vu partir en fumée son entrepôt. Suite à cet événement malheureux, elle est partie pour l’exil aux États-Unis, si l’on s’en tient aux témoignages de Franciyou. « La vie était de plus en plus difficile pour moi après le départ de ma mère. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que je prenne ma vie en main. Je devais travailler pour m’en sortir », se rappelle le PDG de Mag-Haïti. C’est ainsi qu’il a commencé à multiplier des petits travaux lui permettant d’épargner assez pour payer l’université. Il a en effet passé cinq ans à étudier la gestion des affaires à l’Université de Port-au-Prince. Mais, il n’a jamais obtenu sa licence à cause d’un terrible événement qui l’a complètement traumatisé. En 2010, le bâtiment hébergeant l’université s’est effondré avec quasiment tous ses camarades de promotion. Depuis, il ne s’en est jamais remis. « J’étais trop fatigué la veille du séisme pour me rendre en salle ce jour-là, car j’étais à une fête dans un studio d’enregistrement qu’on venait d’inaugurer. Sinon, on aurait dénombré mon cadavre parmi mes amis. C’est une catastrophe qui m’a complètement traumatisé », témoigne Franciyou Germain au téléphone, d’une voix maussade. Depuis cet événement, il évite de fréquenter la ruelle Rivière où se trouvait l’établissement.

La création de MagHaïti, son média en ligne

De concert avec un ancien collègue de travail à la Digicel, avec qui il partageait sa passion pour la musique, Franciyou Germain a lancé un studio d’enregistrement. Il a voulu par la suite offrir à ses jeunes artistes, en plus de la production musicale, un coup de projecteur médiatique pour mieux promouvoir leurs œuvres. C’est ainsi que lui est venue l’idée de créer son média en ligne. « C’est justement dans un contexte de promotion de nos jeunes artistes au studio, qu’est né MagHaïti, affirme le PDG. « Au départ, nous n’étions que deux à produire tous les articles. J’étais à la fois graphiste, photographe, rédacteur. C’était comme ça pendant environ trois ans », se rappelle M. Germain, se remémorant des moments inoubliables.

Sur les conseils du brillant journaliste, Milo Milfort, il a commencé à traiter des sujets de société dans ses numéros, en plus de ses articles culturels. 10 ans plus tard, MagHaïti est devenu une référence dans la presse en ligne. « Il faut souligner que MagHaïti a fait ce long chemin dans la presse sans aucun sponsor », révèle le directeur, qui n’a jamais souhaité mettre aux enchères sa liberté d’expression, en acceptant les financements dans des mauvaises conditions. Car selon lui, il y a une tendance fâcheuse en Haïti à vouloir commander celui qu’on finance. En ce sens, « je n’ai jamais voulu qu’on décide de ce qu’on a à écrire, de nous priver de notre liberté d’expression », déclare le journaliste, précisant plus loin que MagHaïti est un mouvement pour la démocratie.

Le média qu’il dirige est souvent comparé à un centre de formation où les autres médias aux portefeuilles mieux remplis viennent recruter des jeunes journalistes compétents. « Nous n’avons pas toujours de quoi augmenter nos journalistes qui, au passage, font un travail extraordinaire. Mais nous leur offrons beaucoup de formations et d’opportunités d’apprendre et de faire des expériences dans ce milieu, même si la plupart d’entre eux ne vont pas rester longtemps chez nous », explique M. Germain, fier de son parcours avec cette agence de presse.

Selon Franciyou Germain, membre fondateur de l’Association Haïtienne des Médias en Ligne, l’abondance des plateformes divulguant des informations sur les réseaux sociaux représente un problème majeur pour le secteur médiatique. « Sur les réseaux de nos jours, les gens sans aucune formation se prennent pour des journalistes. C’est un danger le fait que des gens non qualifiés informent la population », s’alarme l’ancien Vice-président de l’AHML, qui a toujours défendu l’intégrité du secteur dans lequel il évolue depuis une dizaine d’années. À en croire ses dires, c’est une mauvaise tendance qui menace la crédibilité des médias en ligne professionnels. Pour lui, c’est à l’État de réguler ce secteur pour éviter ces dérives.

«Dès qu’on commence à poser les bonnes questions en menant des enquêtes pertinentes, on devient une menace pour certaines personnes », déclare Franciyou, qui a été victime d’une tentative d’assassinat il y a trois ans de cela, à quelques encablures de chez lui. « J’ai été attaqué par trois hommes armés à Nazon, à quelques pas de ma maison. C’était une attaque ciblée, révèle le journaliste expérimenté. Ils m’ont tabassé. N’était-ce la présence de quelques militants qui se sont lancés à mon secours, ils m’auraient exécuté », se remémore le rédacteur de Mag-Haïti connu pour ses positions radicales face aux pouvoirs en place.

« Nous affirmons notre position : Mag-Haïti est contre le système de corruption, contre la mauvaise gouvernance, contre le gaspillage… », soutient l’entrepreneur, en exil aux États-Unis, critiquant les autorités d’avoir armé les jeunes des quartiers défavorisés qui, aujourd’hui, terrorisent la population. « Vu l’ampleur de l’insécurité avec la prolifération des gangs partout dans la capitale, je ne vois pas comment on va s’en sortir », confie le leader, qui se montre sceptique quant à la capacité ou la volonté des acteurs à pouvoir se mettre d’accord dans un dialogue patriotique.

 Toutefois, le patron de « Alo lakay Tv » nourrit le désir de revenir sur sa terre natale. Il a le mal de son pays. « J’ai tout laissé en Haïti, ma famille, mes entreprises. Je ne peux pas rester indéfiniment là où je suis. Ce n’est pas mon pays. Plus les années passent, plus je me sens affaibli dans ce pays. Je dois revenir sur ma terre natale pour me ressourcer», avoue Franciyou Germain, nostalgique. Il ne souhaite pas revenir les mains vides toutefois. Il chérit déjà le rêve de continuer à servir son pays en instaurant dans son groupe médiatique une chaîne de télévision moderne pour mieux former, informer et divertir la société. « J’y pense déjà  et je travaille pour réunir les fonds nécessaires », informe M. Germain, qui ne perd pas de temps.

Amoureux des outils technologiques et passionné de séries télévisées, Franciyou Germain peut se targuer d’être un journaliste intègre doté de vrais sentiments patriotiques. « Je porte mon pays dans mon cœur. C’est ce que j’aime le plus après ma famille », confie le rédacteur, invitant les jeunes à faire la différence en se mettant au service du pays.

Statler LUCZAMA

Luczstadler96@gmail.com

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