La République Dominicaine durcit sa politique migratoire contre Haïti, le Gouvernement haïtien fait le sourd
5 min readLes Haïtiens sont victimes de mauvais traitements dans plusieurs pays de la région. Que ce soit dans les Antilles, à Cuba, chez le voisin dominicain où chez les « amis » américains, les Haïtiens en situation irrégulière sont refoulés dans le pays au mépris des droits humains, une situation dénoncée par plus d’un, mais le Gouvernement haïtien semble ne pas s’en soucier.
Les déportations massives d’Haïtiens depuis la République Dominicaine se poursuivent, s’intensifient au cours de ces derniers mois. Les politiques se durcissent, de nouvelles lois y sont établies, la police migratoire est renforcée. Chaque mois, ce sont des milliers d’Haïtiens en situation irrégulière qui sont déportés depuis la République Dominicaine. Sans aucune forme de procès, le régime du Président Luis Abinader Corona semble bien décidé à nettoyer son pays de la présence haïtienne. Malgré les recommandations du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, de mettre un terme aux expulsions et discriminations, les autorités dominicaines n’en démordent pas, la déportation à tout prix. « La politique migratoire de chaque pays relève de la compétence de chaque gouvernement, ce qui rend ces déclarations inacceptables et irresponsables », lui avait répondu le Président dominicain.
Le Gouvernement haïtien fait la sourde oreille
La diplomatie haïtienne semble inexistante quand il s’agit de défendre les intérêts des ressortissants haïtiens. Cependant, la frustration est palpable du côté des Haïtiens. Le 18 novembre 2022, jour de la commémoration du 219e anniversaire de la bataille de Vertières et de la victoire de l’armée indigènes sur les forces coloniales, des foules en colère ont tenté d’incendier deux consulats dominicains dans le Nord du pays, l’un au Cap-Haïtien et l’autre dans le Nord-est dans la ville de Ouanaminthe.
Par ailleurs, l’ex Premier Ministre et ex-Chancelier haïtien Claude Joseph a adressé une correspondance au Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme afin de dénoncer les pratiques dominicaines, ainsi que les violations de droits humains fondamentaux à l’encontre des ressortissants haïtiens. « La chasse collective à l’encontre des Haïtiens en République Dominicaine s’est totalement intensifiée et tous les jours, des centaines d’Haïtiens sont systématiquement traqués, illégalement arrêtés, arbitrairement détenus et sauvagement reconduits dans les points officiels comme non officiels de la frontière haïtiano-dominicaine », a-t-il relaté dans sa correspondance.
« Pour la seule année 2022, plus de 108 000 Haïtiens ont été expulsés. 50% de ces expulsions ont été réalisées entre le mois d’août 2022 et le mois d’octobre 2022. Pour le seul mois d’octobre 2022, près de 15 000 Haïtiens ont été touchés par ces mesures arbitraires et discriminatoires », peut-on lire dans cette correspondance adressée au patron des droits de l’Homme, en rappelant que ces déportations se font en violation des accords bilatéraux qui sont en vigueur entre les deux pays en matière de migration.
« Le secrétariat de l’Ex Premier Ministre Claude JOSEPH demeure convaincu que les expulsions forcées et expéditives des Haïtiens en République Dominicaine constituent une manœuvre politicienne du Président Luis Abinader visant à aggraver davantage la crise haïtienne afin de tenter d’en tirer des retombées tant sur la scène dominicaine que sur le plan régional et de s’ériger en porte-parole imaginaire de l’Ile d’Haïti », poursuit-elle.
« Luis Abinader joue la carte de la diversion »
Dans une interview accordée à la rédaction du journal Le Quotidien News, le professeur et géographe Ismaël P. Volcymus dit comprendre que la vague de déportation massive des Haïtiens depuis la République Dominicaine ne serait qu’un moyen utilisé par le Président Abinader afin de se soustraire aux préoccupations et revendications de la masse populaire dominicaine. « Luis Abinader joue la carte de la diversion, s’en prendre aux Haïtiens pour cacher les faiblesses de son régime. Un classique des régimes de droite », a-t-il précisé. Un avis partagé par le Vice-Président du Parti Révolutionnaire Dominicain (PRD), Fernando Ramírez, qui soutient que le Président dominicain « essaie de plaire aux égos nationalistes ».
Selon le professeur Volcymus, entre les déportations massives et les violations systématiques des droits humains, le Chef d’État dominicain entretient une « haïtianophobie », et provoque la montée des discours haineux. Pour lui, les deux pays sont actuellement en conflit, et les bourgeoisies locales des deux pays en sont les seules bénéficiaires. « Haïti est en pleine guerre froide. Une guerre commerciale, politique, culturelle, qui est menée de manière permanente contre elle », a-t-il déclaré.
Pour lui, toutes les forces vives de la nation devront se mobiliser pour remettre le pays sur les rails, et les dirigeants haïtiens devront également être à la hauteur de leur tâche afin de protéger les intérêts haïtiens, et pour cela, il faut des dirigeants progressistes. « Haïti a besoin d’un dirigeant progressiste, d’un dirigeant populaire, qui aura à cœur de porter les aspirations du peuple. Des dirigeants placés par l’international communautaire, la République Dominicaine y contribue à un certain niveau également. Il faut que cela cesse. Un pays ne peut pas être souverain avec ce genre de pratique ».
Les déportations se poursuivront
Les autorités dominicaines ne prévoient pas de limites à leurs opérations de déportation. L’inspectrice des migrations, María Mercedes, après les opérations menées le 16 novembre contre les Haïtiens, a bien prouvé le caractère massif de la chasse aux migrants haïtiens. « Nous les emmenons à Haina (ville dans le sud du pays) pour les purifier. Nous libérons ceux qui sont légaux, mais il y en a qui ont de faux papiers », a déclaré Mme Mercedes.
Toutefois, ces pratiques ne font pas l’unanimité chez les Dominicains. Pour le Parti Révolutionnaire Dominicain, une des principales forces politiques du pays, le Président Abinader installe un régime de terreur, cachant ainsi les mauvais résultats de son Gouvernement. « Ici, nous vivons dans un système terroriste. Les gens ne se sentent pas en sécurité pour sortir. Ceux qui nous gouvernent sacrifient l’économie dominicaine dans des questions secondaires, au lieu d’utiliser cet argent et les militaires, pour attaquer le crime », a affirmé Fernando Ramírez.
Clovesky André-Gérald PIERRE