Haïti se retrouve sans aucun élu: Pour le Professeur Rosny Desroches, c’est comme un soulagement pour la majorité des citoyens
5 min readHaïti, pays s’inscrivant dans un régime démocratique depuis le départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986, se retrouve sans élus choisis par le peuple en ce début d’année 2023. Le mandat du dernier tiers du Sénat est arrivé à terme le lundi 9 janvier. Interviewé à ce sujet par le journal Le Quotidien News, le Professeur Rosny Desroches affirme que la majorité des gens voit le départ des Sénateurs comme un soulagement.
Le Quotidien News (LQN) : Aujourd’hui, c’est un constat : le pays se retrouve sans élus choisis par le peuple. Le dernier Tiers du Sénat s’en va. C’est la fin du mandat des dix derniers Sénateurs ce lundi 9 janvier. Et cela plonge le pays encore davantage dans une crise politique aiguë marquée par des lendemains incertains car il n’y a aucune autorité étatique en poste actuellement à la tête du pays ayant été élue par le biais du suffrage universel direct. Quelle est votre réaction?
Rosny Desroches (R. D) : Mon premier commentaire, c’est le manque de culture démocratique de nos dirigeants politiques. Les Présidents René Préval, Joseph Martelly et Jovenel Moïse n’ont pas organisé à temps les élections législatives et locales, avec l’assentiment ou la complicité des Parlementaires, ce qui a causé des dysfonctionnements, puis le vide au niveau du Parlement. À part quelques voix qui se sont élevées contre ces violations des règles du jeu démocratique, la société haïtienne a accepté cet état de fait sans protester. Il faut espérer que désormais, les différents secteurs de la nation accorderont plus d’importance au respect du calendrier électoral.
En ce qui concerne le départ des dix derniers sénateurs, cela a une conséquence sur l’image du pays, mais aucun impact réel sur la vie politique, étant donné que, faute de quorum, les dix Sénateurs n’avaient aucun pouvoir réel ni sur le plan législatif c’est-à-dire pour le vote des lois, ni sur le plan de contrôle de l’action gouvernementale.
Finalement, quand on fait le bilan des Sénateurs en fonction durant cette dernière législature, on peut dire qu’il aura été plutôt négatif. S’il est vrai qu’ils ont élaboré un premier rapport sur les fonds Petro-Caribe qui a mis à nu le scandale de la gestion de ces ressources nationales, on peut regretter une faible performance sur le plan législatif et des comportements qui ne sont guère dignes de Parlementaires. Tout ceci nous indique la nécessité pour les citoyens et les citoyennes de se mobiliser pour envoyer au Parlement des hommes et des femmes responsables, intègres et soucieux de l’intérêt général.
LQN : La fin du mandat des Parlementaires est-elle bénéfique pour le pays ?
R. D: La fin du mandat des dix Sénateurs met en évidence la faillite de notre État. Le seul bénéfice qu’on pourrait en tirer, c’est au cas où le peuple haïtien prendrait conscience de l’état déplorable de notre nation et que nous devons faire un effort pour reconstruire cet État et renforcer la Nation, par un dialogue sincère et un civisme agissant.
LQN : Pourquoi à votre avis nombreux sont ceux qui se réjouissent de la fin du mandat du dernier tiers du Sénat haïtien ?
R. D : D’après une enquête menée par l’OCID, les Parlementaires représentent la catégorie de citoyens dans laquelle la population place le moins de confiance. La majorité des citoyens voit leur départ avec soulagement.
LQN: Les mandats des derniers élus du pays sont arrivés à terme. Et l’organisation des élections n’est pas pour demain. À cet effet, nombreux sont ceux qui s’interrogent réellement sur le régime politique adopté par le pays depuis mars 1987, à savoir la démocratie. L’une des caractéristiques fondamentales de la démocratie est le renouvellement des élus politiques à travers des élections démocratiques. Or, dans le cas d’Haïti, il n’y a plus aucun élu, et ce, depuis 9 janvier 2023. Dans ce contexte, peut-on réellement parler de l’existence de la démocratie en Haïti ?
R. D : La démocratie est un processus, une construction qui prend du temps et qui demande beaucoup d’efforts continus. Des progrès ont été réalisés dans ce sens. Les élections ne sont pas régulières, ni toujours crédibles, mais nous n’avons plus de régime à vie. Ce qu’il nous faut aujourd’hui c’est une plus grande mobilisation de la société civile pour promouvoir et renforcer la démocratie, c’est la constitution de quatre ou cinq partis politiques dotés d’une base sociale conséquente, d’un programme réaliste, d’une organisation solide et de cadres compétents et bien formés sur le plan politique. Il nous faut aussi réduire le pouvoir démesuré de l’argent dans les élections (particulièrement de l’argent issu des trafics de toutes sortes : stupéfiants, contrebande, etc.) Nous devons faire respecter les dispositions de la législation électorale qui fixe des plafonds pour les individus et les entreprises en matière de financement des campagnes des partis et des candidats aux différents postes électifs.
LQN: Aujourd’hui, quelle solution ou stratégie doit être adoptée pour sortir le pays de cette crise multidimensionnelle dans laquelle il se trouve depuis plus d’un an ?
R. D : On doit poursuivre le dialogue afin d’arriver à un Gouvernement plus équilibré, qui puisse faire une place aux différentes familles politiques du pays. On doit également négocier avec la communauté internationale un appui adéquat à la Police nationale pour rétablir la sécurité. Alors, on pourra prendre les dispositions nécessaires en vue d’élections honnêtes et crédibles, susceptibles de voir émerger des élus plus intègres, plus compétents et plus soucieux du bien commun.
LQN : La réalisation des élections est-elle possible dans le contexte actuel où l’insécurité bat son plein dans le pays alors que la PNH, selon toute vraisemblance, fait preuve d’impuissance face aux agissements des bandes armées ?
R.D : La réponse a été fournie précédemment. L’établissement de la sécurité est une condition sine qua non. Les sanctions initiées par les Nations Unies et certains pays, un meilleur contrôle des douanes et de la frontière, le renforcement de la Police Nationale et de l’Armée avec le concours de la communauté internationale peuvent nous permettre d’y arriver dans un délai raisonnable. Nous devons reconnaître que nous avons commis des erreurs dans un passé récent, que nous avons failli et que nous avons besoin d’un appui pour nous relever. Mais le facteur le plus important ce sera notre unité, notre mobilisation et notre détermination à changer nos pratiques sociales, politiques et économiques.
Propos recueillis par : Jackson Junior Rinvil
rjacksonjunior@yahoo.fr