Gouvernements de transition en Haïti au 21e siècle : mécanisme d’exclusion du vote populaire par les élites (Première Partie)
4 min readLe renversement inédit du Premier Ministre Ariel Henry fait poindre la nécessité d’un nouveau gouvernement de transition en succession à un autre qui, en réalité, faisait du surplace durant 31 mois. Une fois de plus, le contribuable haïtien va avoir la tâche ingrate d’entretenir des sinécures qu’il n’a pas mandatées. Le pire, c’est que ce peuple dont les rangs sont continuellement décimés par la violence des groupes armées peine à retrouver tout espoir d’un lendemain meilleur. Pendant que les propositions de gouvernement transition et les accords politiques fusent de toute part, les exécutions sommaires, le kidnapping, le pillage, le rançonnement, le vol à main armée, le viol demeurent le lot quotidien des Haïtiens. Vu qu’on est cloîtré chez soi, point n’est besoin de signaler que la réouverture des classes sur toute l’étendue du territoire est plus que jamais compromise. Bernée de toute part, la population haïtienne entend mener en son nom une révolution qui vandalise les écoles, les facultés, les hôpitaux, les pharmacies qui desservent les plus humbles de ses membres. Dans leur délire de destruction, les pseudos révolutionnaires n’ont même pas eu le bon sens d’épargner l’unique stade du pays. Pendant que la population est abandonnée à son sort, la formule fourre-tout de « changement de système » sert de rhétorique à une classe politique revendiquant le pouvoir politique sans passer par les élections. Le bel euphémisme « de partage de responsabilités » est une tournure de langage utilisé par des politiciens pour détourner l’attention du public sur leur volonté de se répartir les postes de l’administration publique entre eux. Dindon de la farce, la population haïtienne est prise dans un étau qui fait penser à la formule faisant du peuple « un éternel perdant ».
Presque dysfonctionnel depuis le 7 février 2024, Haïti s’enlise dans un chaos pouvant déboucher sur une crise humanitaire. Inhumains, cyniques et désirant le pouvoir seulement pour les jouissances que cela procure, les politiciens haïtiens ne s’émeuvent guère du quotidien terrible de leurs concitoyens. Bizarrement, la consécution des faits fait penser à une situation pourrie par la classe politique et la société civile dans le but d’empêcher au peuple haïtien de choisir ses dirigeants par son bulletin de vote. En fait, la moindre évocation du « mot » élection fait rouspéter les politiciens haïtiens. En ce sens, l’insécurité comme élément de langage fait l’affaire de ceux qui nourrissent l’espoir qu’un jour ce sera le tour de leur accord politique d’être au pouvoir. Ce qui est étonnant, c’est que des hommes politiques qui se disent démocrates sont beaucoup plus enclins à prendre le pouvoir à partir de documents signés en parentèle au lieu de se soumettre à l’arbitrage du peuple. Après avoir mis la population haïtienne devant le fait accompli de la gouvernance par la transition, la classe politique et la société civile haïtiennes font main basse sur le pouvoir politique et entendent le conserver le plus longtemps possible par-devers elles. Mêlant candeur et naïveté, la population haïtienne attend la sécurité de ceux dont l’insécurité conditionne la prise, l’exercice et la conservation du pouvoir. De ce qui précède, il importe de comprendre à la lumière de certains faits historiques, comment les gouvernements de transition passent d’un simple mécanisme faisant le pont à très court terme entre un pouvoir déchu et un nouveau au 19e et au 20e siècle avant de devenir au 21e siècle une forme de prise de pouvoir plus ou moins durable par la classe politique et la société civile en dehors de l’expression du vote populaire.
Dans la tradition politique haïtienne, la transmission du pouvoir d’un chef d’État élu à un autre est l’exception au lieu d’être la règle. Deux explications peuvent être avancées : les choix de « chefs d’État à vie » et les récurrentes émeutes accompagnées de prises d’armes pour renverser la majorité des « premiers citoyens » de la nation. D’où la nécessité d’un groupe d’hommes réunis invariablement sous l’appellation de gouvernement provisoire, gouvernement de salut public ou comité révolutionnaire pour réaliser les élections et élaborer une nouvelle Constitution (si les forces politiques en présence l’exigent) dans un très court terme.
Jefferson N. Pierre Louis