Cap-Haïtien, l’une des plus belles villes historiques d’Haïti, souffre en silence d’un ennemi sournois qui dévore tout sur son passage : les déchets qui s’accumulent partout. Où que l’on aille – des marchés aux grandes artères, en passant par les abords de la mer – les ordures se présentent comme une aube étouffante et sans fin. La situation est si grave qu’elle met en péril l’environnement, la santé publique et l’image même de la ville.
Cap-Haïtien est une ville qui s’enlise dans la pollution. Depuis plusieurs mois, les citoyens ne cessent de se plaindre de la quantité croissante de déchets abandonnés sans aucune gestion claire. Les canaux sont bouchés, l’eau ne circule plus, et à chaque pluie, tout déborde. Dans des zones comme le Marché La Fossette, Marché Rue 9 ou les abords du littoral, les ordures et les eaux usées se mélangent.Gustave Fritznel, 35 ans, marchand au marché rue 10, témoigne :« Chaque matin, je dois balayer devant mon petit espace, car les ordures l’envahissent. Quand il pleut, ce sont les eaux sales et les mauvaises odeurs qui déferlent. Il y a tellement de déchets que les clients ont peur de venir acheter. Je vis dans l’inconfort permanent ».Cap-Haïtien n’est pas qu’une ville habitée : c’est aussi un patrimoine historique mondial, un lieu que des touristes viennent visiter pour y découvrir l’histoire et la culture haïtienne. Mais à cause de cette prolifération de déchets, la ville perd peu à peu ce qui faisait sa fierté nationale.Un environnement qui suffoque en silenceCes déchets ne rendent pas seulement la ville sale – ils ont des conséquences graves sur la nature. Les plastiques bouchent les voies d’eau et finissent dans la mer, où ils tuent les poissons et autres espèces marines. Les déchets organiques libèrent du méthane, un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO₂, qui accélère le réchauffement climatique. Les sols s’appauvrissent, la végétation disparaît et la qualité de l’air se détériore jour après jour.Notre santé en danger quotidienPersonne n’est épargné. Les moustiques se multiplient dans les eaux stagnantes, augmentant le risque de maladies comme le paludisme. Les gens marchent parmi les ordures, respirent des odeurs nauséabondes, mangent à proximité de déchets. Les cas de diarrhée, d’infections cutanées et de troubles digestifs deviennent fréquents, notamment chez les enfants.Yoline, 49 ans, mère de trois enfants à Cité du peuple, confie :« Mes enfants ont eu la diarrhée plusieurs fois. Quand je suis allé à l’hôpital, le docteur m’a dit que c’était à cause de l’eau contaminée. Mais quelle autre eau pouvons-nous utiliser, si tout le quartier est envahi par les ordures ? Je me sens impuissant ».Cette situation devient une crise sanitaire en pleine progression.Les autorités seules ne peuvent pas tout : chacun a un rôle à jouerCertes, l’État a un rôle crucial : collecter les déchets, installer des bennes, assainir les canaux. Mais en tant que citoyens, nous avons aussi notre part de responsabilité. Il est inacceptable de continuer à jeter les ordures dans la rue, à la mer, ou de brûler du plastique devant chez soi. La conscience doit être collective. Chaque geste compte.Des initiatives locales émergent : des organisations communautaires collectent les déchets, des jeunes mènent des campagnes de sensibilisation, des écoles organisent des ateliers sur le recyclage. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin.Des solutions existent, mais il faut agir vitePour répondre à cette crise, plusieurs pistes d’action sont possibles :Sensibiliser la population par la radio, les écoles, les réseaux sociaux ;Mettre en place une gestion rigoureuse des déchets avec des bennes, des camions et des collectes régulières ;Encourager le tri, le recyclage et le compostage, pour éviter que tout soit mélangé ;Adopter une véritable politique environnementale et exiger des comptes aux responsables.L’avenir du Cap dépend des décisions que nous prenons aujourd’huiCap-Haïtien ne mérite pas de disparaître sous les ordures. Nous pouvons encore inverser la tendance, à condition de nous unir et d’agir maintenant. Ne restons pas spectateurs. Soyons acteurs du changement. Informons-nous, partageons, exigeons, et surtout : faisons notre part, chez nous, dans nos quartiers, dans nos écoles.Ce combat ne concerne pas seulement aujourd’hui. Il concerne l’avenir. L’avenir de nos enfants. L’avenir de la vie. L’avenir du Cap.
Olry Dubois Agroéconomiste olrydubois@gmail.com