12 octobre 2025

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Villes en désordre : quand Haïti grandit sans plan

Dans les principales villes d’Haïti, le béton pousse plus vite que les arbres. Mais derrière cette apparente modernité, c’est un chaos urbain qui s’installe. De Cap-Haïtien à Port-au-Prince, les constructions sauvages, l’absence de planification et le désintérêt des autorités locales transforment le paysage en un labyrinthe étouffant, où vivre devient un combat quotidien.

Une croissance sans cap

Les chiffres sont éloquents : selon le dernier rapport de l’Institut haïtien de statistique, la population urbaine a presque doublé en vingt ans. Port-au-Prince, qui devait accueillir à peine un demi-million d’habitants à l’origine, en compte aujourd’hui près de trois millions, entassés dans des quartiers construits à la hâte.

Mais cette expansion n’a suivi aucune ligne directrice. Aucune réflexion sur l’aménagement du territoire, ni sur la gestion des déchets, de l’eau ou des transports.

« En Haïti, tout le monde construit où il peut, pas où il faut », explique l’urbaniste Jean-Robert Saint-Fleur, ancien consultant au ministère des Travaux publics.

« Le résultat, c’est une urbanisation anarchique qui étouffe les villes et détruit la qualité de vie ».

 Encadré : les chiffres clés de l’urbanisation en Haïti

Population urbaine

         •        65 % des Haïtiens vivent dans des zones urbaines

         •        Port-au-Prince concentre près d’un tiers de la population nationale

Construction non réglementée

         •        70 % des logements urbains construits sans permis

         •        Seulement 10 % respectent les normes parasismiques

Conséquences environnementales

         •        60 % des zones urbaines exposées aux inondations

         •        Moins de 5 % disposent d’un plan d’aménagement du territoire.

Port-au-Prince, une capitale sous pression

Dans la capitale, le désordre saute aux yeux. Des maisons construites sur des ravins, des étals occupant les trottoirs, des fils électriques qui s’entremêlent au-dessus des rues.

« On vit dans un labyrinthe », témoigne Marlène Pierre, habitante de Carrefour-Feuilles.

« Chaque jour, je dois marcher sur la chaussée parce que les trottoirs sont envahis. Il n’y a pas de place, pas d’air, pas d’ordre ».

Les autorités municipales peinent à réguler la situation. L’absence de cadastre, de contrôle des permis de construire et de politiques d’urbanisme cohérentes rend toute planification presque impossible. Les terrains sont vendus, revendus, puis morcelés sans aucune coordination. Résultat : une capitale asphyxiée.

Cap-Haïtien : La ville historique en péril

Le Cap-Haïtien, jadis surnommé « la perle du Nord », subit le même sort. Ses collines se couvrent peu à peu d’habitations précaires, souvent érigées sans autorisation.

« Le Cap perd son âme », regrette Mogène Rose Carlendie, étudiante en psychologie.

« On construit n’importe comment, même sur des sites historiques. Les rues étroites ne peuvent plus contenir le flot de motos et de voitures. La ville suffoque ».

Les canaux hérités de l’époque coloniale sont aujourd’hui obstrués par les ordures. À chaque pluie, la ville se transforme en marécage. Ce désordre urbain menace le patrimoine et la sécurité des habitants.

L’absence de l’État et la puissance de l’informel

L’un des problèmes majeurs reste l’absence de gouvernance réelle. En Haïti, l’État planificateur n’existe pratiquement plus. Les décisions locales sont généralement remplacées par des arrangements privés.

« L’informel est devenu la norme. Ce qui devrait être exceptionnel est devenu structurel. Et c’est cela le drame : le désordre s’est institutionnalisé », explique l’architecte Samuel Dorcin.

Les conséquences : un cadre de vie en déclin

Le désordre a un coût humain et environnemental énorme :

         •        Embouteillages chroniques et pollution accrue

         •        Constructions non conformes, vulnérables aux tremblements de terre

         •        Canaux bouchés provoquant des inondations meurtrières

         •        Absence d’espaces verts dans des villes déjà surchauffées

« On parle de développement, mais vivre ici, c’est survivre », confie Line-Flore Bernardin, jeune ingénieur civil.

« Nos villes grandissent, mais elles grandissent mal. C’est comme un corps sans squelette : ça bouge, mais ça ne tient pas debout ».

Les jeunes face au chaos urbain

Malgré tout, les jeunes Haïtiens continuent de rêver d’un avenir en ville. Ils y voient des opportunités, un accès à Internet, des emplois, des écoles. Mais à quel prix ?

« Je veux rester ici, mais parfois, je ne sais plus pourquoi », avoue Frandy, étudiant en architecture au Cap-Haïtien.

« Je dessine des maisons durables, mais autour de moi, tout s’écroule ».

Vers unerefondation urbaine possible ?

Des initiatives locales émergent timidement : associations de quartiers, programmes d’assainissement, projets de verdissement urbain. Certains jeunes architectes proposent des modèles d’habitat communautaire plus écologiques.

« Il faut une vision, pas des réparations ponctuelles », insiste Jean-Robert Saint-Fleur.

« Tant que les villes haïtiennes continueront de croître sans plan, elles ne feront que reproduire la misère dans le béton ».

Conclusion 

Haïti construit, mais ne bâtit pas. Ses villes s’étendent, mais ne se développent pas. L’absence de planification urbaine est l’un des plus grands freins à l’épanouissement collectif. Redonner sens au mot « ville » est désormais urgent.

Sans une véritable politique urbaine, la croissance des villes haïtiennes risque de transformer les espaces de vie en zones de survie.

Olry Dubois, Agroéconomiste

Olrydubois@gmail.com

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