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Le travail social en Haïti : pour une perspective de transformation sociale

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                                                                                 Introduction.-

              Les sociétés modernes font face à des problèmes structurels et conjoncturels qui nécessitent des interventions. En effet, les professions œuvrant dans le champ des politiques sociales relèvent d’une importance capitale dans la résolution de ces problèmes. Parmi ces professions, on retrouve le « Travail social » qui est une discipline scientifique qui étudie et intervient sur les problèmes sociaux [2]. Néanmoins, le travail social demeure en Haïti une discipline universitaire presque ignorée du grand public [3]. Pour Orlando CEIDE, l’absence de reconnaissance sociale de cette discipline à travers le pays se situe dans la dichotomie existant entre la réalité haïtienne et la perspective méthodologique adoptée par le travail social [4]. Autrement dit, le service social en Haïti constitue une discipline qui consiste à légitimer les pratiques socio-économiques du système capitaliste qui ne prennent pas compte des véritables besoins de la population haïtienne. De plus, cette profession est un produit des contradictions inhérentes même à ce système. Sa mission consiste de maintenir l’ordre social favorable au bourgeois en contrôlant la force de travail [5]. En outre, Dupont souligne que la fonction idéologique du travail social n’est pas seulement une structure visant au maintien de l’ordre social, la discipline en lui-même est également un instrument d’imposition de l’idéologie dominante liée plus particulièrement aux secteurs marginaux [6]. Dans cette perspective, l’on constate une orientation du service social visant le conservatisme. Cependant, n’existe-t-il pas des courants idéologiques dans le travail social qui visent la transformation des structures sociales ? En d’autres termes, comment construire un service social alternatif en Haïti capable de contribuer à renverser ce système qui repose sur des inégalités criantes ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous allons tout d’abord présenter l’objet d’étude ainsi que le champ d’intervention du travail social. Ensuite, on abordera les apports des théories sociologiques, psychologiques et psychosociologiques dans les méthodes d’intervention du travail social. En troisième lieu, on fera un bref historique de la discipline et le contexte d’émergence de celle-ci dans le monde et en Haïti. Enfin, on mettra l’accent sur le travail social en Haïti dans une perspective de transformation sociale.

  1. Développement.-

2.1- Objet d’étude et champ d’intervention du travail social.

Les définitions du travail social en tant que discipline varient selon le courant idéologique considéré. Dans le cadre de notre travail, la définition proposée par l’Association internationale des Écoles de Travail social et de la Fédération internationale des travailleurs sociaux en 2001 nous semble la mieux appropriée : « La profession du travail social cherche à promouvoir le changement social, la résolution des problèmes dans le contexte des relations humaines, la capacité et la libération des personnes afin d’améliorer le bien-être général. Grâce à l’utilisation des théories du comportement et des systèmes sociaux, le travail social intervient au point de rencontre entre les personnes et leur environnement. Les principes des droits de l’homme et de la justice sociale sont fondamentaux pour la profession [7]». Autrement dit, le travail social est une discipline scientifique qui étudie les problèmes sociaux auxquels sont confrontées les sociétés tout en intervenant sur ceux-ci. Dans cette lignée, ce qui caractérise le travail social en tant que discipline, c’est d’une part, l’étude concrète des problèmes en tant que tels, en touchant leur aspect historique, leurs caractéristiques, leurs manifestations, pour arriver à les cerner, et d’autre part, c’est l’intervention méthodologique et pratique pour trouver le programme, le plan ou le projet approprié en vue d’enclencher un processus d’accompagnement des personnes qui vivent ces problèmes sociaux. En ce sens, le travailleur social peut intervenir en tant que conseiller, éducateur social, animateur social, mobilisateur communautaire, investigateur, administrateur, accompagnateur ou encore planificateur.

D’un autre côté, le travail social recouvre le champ des politiques sociales et des politiques publiques [8]. Il s’agit d’un ensemble de mesures, de programmes, de ministères spécifiques que l’État articule dans le cadre de sa politique publique. En Haïti, parmi ces ministères, on retrouve le Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST) qui comporte un ensemble de directions générales et d’institutions autonomes comme l’Institut du Bien-Être Social et de Recherches (IBESR) ayant pour mission, dans le cadre de la loi du 4 juillet 1958, d’intervenir sur les problèmes de l’enfance, de la famille et de la société. On y trouve également l’Office National d’Assurance-vieillesse (ONA) en matière de politique de la vieillesse, l’OFATMA, pour la politique des accidents du travail et de la maternité, la Secrétairerie d’État pour l’intégration des Personnes Handicapées (SEIPH) qui s’occupe des personnes en situations difficiles à mobilité réduite. Il faut aussi considérer le Ministère de la condition féminine et aux droits des femmes par rapport à des problèmes spécifiques auxquels font face les femmes dans la société et le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) dans la mise en œuvre des plans, de programmes, de projets face aux besoins existant dans la société. En somme, le travail social, à travers ces structures étatiques et d’autres organismes privés, intervient sur les dysfonctionnements existant dans la société ou encore les  problèmes sociaux comme la pauvreté, le chômage, la toxicomanie, la délinquance juvénile, la problématique des enfants de la rue…

2.2- Méthodologie d’intervention en travail social : apports des théories psychologiques et sociologiques.

Le travail social dispose de trois (3) perspectives méthodologiques classiques d’intervention sociale à savoir l’intervention individuelle, de groupe et communautaire [9]. L’intervention individuelle est une relation d’aide qui repose sur des repères hautement cliniques et psychosociaux. Elle est une forme de transaction individuelle dont le but est d’aider un individu  victime d’un acte. Le travailleur social, en ce sens, échange avec cet individu victime afin de l’aider à surmonter ses moments difficiles. L’intervention de groupe, pour sa part, constitue, par la recherche de la satisfaction des besoins sociaux et émotifs, une forme d’éducation permettant à un individu placé en groupe de s’adapter ou de s’accommoder à son environnement social immédiat. En dernier lieu, l’intervention communautaire renvoie à un ensemble de dispositifs d’intervention par lesquels le travailleur social aide un système d’action composé d’individus, de groupe ou d’organisation, à s’engager à l’intérieur d’un système de valeurs dans le but de s’attaquer à des problèmes sociaux identifiés dans la communauté.

Néanmoins, la méthodologie d’intervention adoptée en travail social n’a pas été élaborée par les travailleurs sociaux. Elle s’est construite à partir des concepts élaborés par les différentes théories en sciences humaines notamment en psychologie et en sociologie. Ainsi, cette méthodologie d’intervention s’est constituée à partir des connaissances sociologiques et psychologiques disponibles. De ce fait, nous allons relater brièvement les apports des théories psychologiques, sociologiques et psychosociologiques en travail social.

2.2.1- Apports des théories psychologiques

De Robertis, l’une des auteurs(res) dans la littérature du travail social, à partir de son ouvrage intitulé ‘’Méthodologie de l’intervention en travail social’’ a relaté les principaux apports des théories psychologiques en travail social. Pour l’auteure, se référant à deux grands courants théoriques à savoir la psychanalyse et le comportementalisme, la psychologie permet aux travailleurs sociaux de comprendre pourquoi le client est ce qu’il est, en conséquence, de savoir ce qu’il faut faire pour répondre à sa demande à ce niveau [10]. Si l’on considère que le psychisme est le fruit de pulsions et de mécanismes inconscients de la petite enfance ou encore le fruit d’un mouvement permanent de stimuli-réponses, le comportement du client en question sera apprécié fort différemment et l’aide psychologique apportée à ce client sera totalement différente. Sur ce, l’action du travailleur social pourra porter sur le déblocage des mécanismes inconscients, et cela donnera un certain type de relation, ou elle portera vers une modification des stimuli reçus par le client. En ce sens, la compréhension du client est un volet, l’autre volet pour le travailleur social est la compréhension de soi, de soi agissant dans la relation à l’autre, qui est tout aussi importante.

2.2.2- Apports des théories sociologiques

Depuis le début du XXème siècle, la proximité entre sociologie et travail social ne s’est guère traduite par de véritables rencontres entre ces deux (2) disciplines [11]. Même après la Seconde Guerre Mondiale, plus précisément dans les années soixante-dix où le travail social se constituait en champ professionnel, les sociologues de cette époque ont largement critiqué ce dernier ; ce qui n’a pas favorisé leur rapprochement. Toutefois, c’est le contexte des mutations économiques, sociales et politiques des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix qui a provoqué un ensemble d’évolution dans ce secteur d’activité qui favorisera la rencontre entre les deux (2) disciplines. Pour Dubéchot, ce contexte peut aujourd’hui permettre une mise en pratique et une appropriation des méthodes et des cadres d’analyse de la sociologie par les intervenants sociaux [12]. En effet, De Robertis, en s’inspirant des théories sociologiques comme le fonctionnalisme, le culturalisme, le structuralisme ou encore le marxisme, identifie trois (3) principaux apports de celles-ci dans la méthodologie d’intervention en travail social [13]. Premièrement, la sociologie apporte aux travailleurs sociaux une grille d’analyse des phénomènes sociaux : structures, institutions, normes. Il reste évident que cette analyse sera différente selon la théorie sociologique choisie. La prise de conscience de ce fait nous conduit à relativiser nos connaissances, à ne pas prendre telles analyses d’un processus social comme une vérité scientifique. De plus, un autre apport de la sociologie est de nous apprendre à relativiser les normes sociales, à voir que ces normes sont le résultat d’équilibres fragiles, à un moment donné. Autrement dit, la sociologie permet aux travailleurs sociaux d’interroger la norme, de l’évaluer, de la situer et non d’en faire un absolu. De ce fait, les différentes théories sociologiques apportent aux travailleurs sociaux des grilles d’analyses des processus sociaux leur permettant de comprendre la situation particulière du client (conduites, valeurs, déterminismes sociaux, etc…), qu’il soit un individu, un groupe ou une collectivité. Ces éléments de compréhension de la situation peuvent déboucher sur une orientation de l’intervention. Enfin, les théories sociologiques permettent de situer le travail social dans l’ensemble du champ social, d’examiner le rôle qu’il est appelé à jouer. Le travail social est-il un appareil « idéologique d’État », un agent du processus d’enfermement ou de stigmatisation ? Les théories sociologiques permettent aux travailleurs sociaux de se situer par rapport à ce rôle et, éventuellement d’essayer de le transformer. En somme, ces théories donnent d’une part, des clefs explicatives pour comprendre les phénomènes sociaux, et d’autre part, des outils d’analyse pour situer le travail social.

2.2.3- Apports des théories psychosociologiques

L’auteure poursuit sa démarche en précisant le rôle des théories psychosociologiques. Étant des outils d’analyse élaborés à partir des concepts fondamentaux des grands courants sociologiques et psychologiques, ces théories ont comme objectif l’explication d’un certain niveau des relations interpersonnelles. Parmi les théories présentées, on y trouve la sociométrie (Moreno), la psychologie dynamique (Lewin) ou encore l’analyse institutionnelle (Lapassade, Lourau). D’après De Robertis, la psychosociologie a apporté au travail social des outils d’intervention qui ont modifié la pratique. Les concepts de Rogers comme l’empathie ou le non-jugement ont eu une influence importante sur les nouvelles bases de la relation travailleur social-client, que le client soit un individu ou un groupe. Les outils d’analyse et d’intervention de la psychosociologie comme la sociométrie de Moreno ou les concepts de statut et rôle ont beaucoup apporté au travail social de groupe. De même que l’attention apportée par Lewin sur les groupes dans le champ social a marqué le travail social communautaire. De plus, l’analyse institutionnelle a donné aux travailleurs sociaux des outils pour mieux connaître les institutions et mieux agir sur elles.

En somme, chacune des théories en sciences sociales renvoie à un certain niveau de la réalité sociale ou à un certain aspect de ce niveau. Chacune de ces théories, loin d’être une vision globale, nous donne quelques concepts opérationnels pour comprendre un certain niveau de la réalité. Pour comprendre la situation d’un client (individu ou groupe), le travail social peut faire appel à des concepts explicatifs appartenant à différentes théories, à condition de bien situer le niveau de la réalité, ou l’aspect de la réalité, dans lesquels ces concepts sont applicables.

2.3- Bref historique et contexte d’émergence du travail social dans le monde et en Haïti : une discipline visant le conservatisme.

2.3.1- Dans le monde

Le travail social tire ses origines dans le contexte de la révolution industrielle survenue en Occident à la seconde moitié du XIXème siècle. Ayant provoqué de grandes mutations dans les sociétés occidentales comme l’Angleterre ou encore la France, le travail social s’est vu constituer pour apaiser les tensions sociales provoquées par le système capitaliste. Comme le souligne Leroy [14], l’augmentation du nombre des pauvres, les grèves, les attentats et la montée du socialisme allaient contraindre les États ainsi que les classes dominantes d’initier des réformes sociales afin d’agir sur la condition ouvrière. De ce fait, la constitution du travail social est donc, au départ, liée avec l’orchestration des actions des États-nations et des diverses fractions des classes dominantes des sociétés industrielles contraints, à la fin du XIXème siècle, de gérer les conséquences sociales très coûteuses, en termes de souffrance humaine, des politiques économiques inhérentes au mode de production capitaliste. Ainsi, le service social a été un véritable instrument de contrôle et de reproduction du système par l’inculcation de tout un ensemble de schèmes de pensée conforme au libéralisme en tant que base idéologico-politique du capitalisme [15].

2.3.2- En Haïti

Le travail social s’est introduit en Haïti en 1944, sous la recommandation de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) avec la création de l’École Nationale de Service Social (ENASS). Néanmoins, l’ENASS s’est reconvertie en un département de service social attaché à la Faculté des Sciences Humaines en 1974 dans un contexte de matérialisation des politiques de développement [16] appliquées en Haïti au début de la décennie 70. Ces nouvelles politiques s’inscrivent dans la logique de transformer l’État national en un État moderne, c’est-à-dire d’intégrer le pays dans l’économie de marché. Par conséquent, avec les contraintes imposées au régime de Duvalier, les organisations internationales ou encore les États-Unis ont défini un cadre légal et institutionnel afin de préparer le terrain pour l’établissement des usines de sous-traitance et des zones franches dans le pays. Leroy [17] relate que les États-Unis ont profité de la faiblesse syndicale, du prix dérisoire de la main-d’œuvre et d’une politique fiscale avantageuse pour implanter 150 firmes et 300 usines d’assemblage dans le pays au cours de la période allant de 1971 à 1980. Sur ce, les liens objectifs qui unissent le travail social à ces politiques de développement consistent essentiellement à la fonction de contrôle social de cette discipline afin d’assurer la bonne marche de la société vers le développement. De ce fait, la formation des travailleurs sociaux dont la fonction sociale est de matérialiser la vision du développement social sur le terrain illustre cela. Donc, la discipline du travail social a été implantée en Haïti dans le but de mettre en application les politiques de développement instituées par les États-Unis et les organisations internationales.

2.4- Le travail social en Haïti : pour une perspective de transformation sociale.

Depuis la création de la Faculté des sciences humaines en 1974, la forme de travail social que nous connaissons aujourd’hui allait se constituer. En effet, à partir des années 80, le travail social a pris une tournure néolibérale [18]. Toutefois, durant cette décennie, une vision critique du développement social inspirée du marxisme et du Mouvement de reconceptualisation latino-américain [19] va supplanter cette vision néolibérale. Ce qui n’empêche pas, d’après Leroy, de briser les liens objectifs unissant le travail social et le développement social lié à l’ordre capitaliste. À titre d’exemple, la pratique professionnelle des travailleurs sociaux dans les ONG lors de leur prolifération dans le pays après le séisme de 2010 illustre ce propos. En ce sens, comment le travail social en Haïti, se basant sur des principes d’équité et de justice sociale, qui a comme tâche de s’opposer aux préjugés et à la discrimination, de porter un regard particulier sur les exclus, les marginalisés, les désavantagés de la société, de favoriser le pouvoir d’agir, la libération des personnes, le bien-être général…., peut atteindre ces objectifs en adhérant au modèle de développement néolibéral qui repose sur l’exclusion et l’inégalité de la répartition des richesses ? La réponse à cette question implique une remise en question de la nature de l’État ainsi que du travail social en Haïti. D’une part, l’État en tant qu’institution chargée de mettre en place des politiques sociales pour faire face aux besoins réels de la population favorise tout au contraire la domination des organismes privés dans l’espace de production des services sociaux. Dans cette lignée, Jean-Baptiste [20] affirme qu’en Haïti, les ONG définissent les grandes orientations des politiques sociales, visant à contrôler la main-d’œuvre et à assurer l’accumulation du capital. De là, on voit l’adhérence de l’État haïtien aux politiques néolibérales [21]. D’autre part, le travail social, ayant comme objectifs d’étudier et d’analyser les processus générateurs de crises structurelles de la société haïtienne, se voit nettement dépendant du développement néolibéral. Dans cette optique, en quoi faire appliquer les mesures néolibérales pourrait permettre d’identifier et d’intervenir sur les crises structurelles de la société haïtienne ? Sur ce, la structure du travail social en Haïti mérite d’être révisé, c’est-à-dire rompre avec les valeurs néolibérales en adoptant une vision critique du développement social de manière à favoriser les besoins réels des plus vulnérables. De plus, les travailleurs sociaux devraient s’organiser autour des valeurs inhérentes à la profession comme la justice sociale, le respect de la dignité de la personne, le bien-être général… pour mener des actions politiques afin de contribuer à renverser les rapports sociaux inégalitaires. Dans cette perspective, le travail social, de concert avec l’État et tout en préservant son autonomie, devrait contribuer à l’élaboration des programmes sociaux pour mener des interventions sociales [22] adaptées à la réalité haïtienne.

  • Conclusion

En définitive, compte tenu de son émergence et son évolution dans le monde et en Haïti, le travail social est un champ professionnel qui maintient le statu quo, c’est-à-dire les rapports sociaux inégalitaires liés à l’ordre capitaliste. En revanche, il existe plusieurs théories à caractère ‘’subversif’’ qui traversent le travail social. Parmi celles-ci, on peut relater la théorie marxiste (le travail social marxiste), la pédagogie de Paulo Freire et la théologie de la libération qui avaient inspiré le Mouvement de Reconceptualisation latino-américain. Dans cette perspective, le travail social en Haïti, en vue de rester fidèle à ses principes et valeurs qui sont contraires à ceux du développement capitaliste, devrait favoriser une remise en question de sa pratique professionnelle. De ce fait, la discipline, en se référant à des théories en sciences sociales notamment en sociologie, doit questionner voire transformer son rôle dans la société. Pour ce faire, le travail social en Haïti doit tout d’abord prendre ses distances au développement néolibéral qui ne fait qu’accroître les inégalités, le chômage ou encore l’inflation. Ensuite, les professionnels du travail social, en s’inspirant des théories critiques, devront s’impliquer activement dans la conscientisation des plus vulnérables et dans la lutte pour renverser les structures sociales génératrices d’inégalités. Enfin, le travail social doit ajuster les théories utilisées à la réalité haïtienne dans le but de mener des interventions sociales qui visent les causes structurelles des problèmes vécus par la population. Certes, nous sommes tout à fait conscients de l’ampleur des enjeux, et que le travail social ne peut pas, à lui tout seul, transformer les rapports sociaux d’exploitation et de domination existant dans la société haïtienne. Cela nécessite une mise en place d’un nouveau projet global d’orientation de la société. Toutefois, les professionnels du travail social peuvent, quand bien même, contribuer à ce projet à travers les organisations et les institutions qu’ils interviennent ou encore les mouvements sociaux qu’ils participent.

Wesley Pidno PIERRE, étudiant en travail social à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) de l’Université d’État d’Haïti (UEH).

Notes

  1.  D’après Edouard Bernstein cité par Louis Weber, la notion de transformation sociale veut dire « changement des fondements de l’ordre social ». Voir Louis Weber, « Gauche Radicale et transformation sociale en Europe ». Dans Savoir/Agir2010/3(numero13), Pages 99 à 106.
  2.  Voir Henri Dorvil et Robert Mayer, Problèmes sociaux et sciences sociales, Les Presses de l’Université du Québec, Québec, 2001, 679 pp. D’après l’approche conflictuelle des problèmes sociaux, ces derniers sont les conséquences de la structure économique du capitalisme et des relations de pouvoir existantes, relations qui résultent d’un système d’exploitation par une minorité qui ne désire pas vraiment les résoudre, voire qui en bénéficie assez directement.
  3. Paul Yves Fausner, M.A. Travailleurs sociaux et problèmes sociaux actuels en Haïti. Le Nouvelliste. 12 octobre 2012.
  4. Orlando Ceide, le travail social en Haïti : entre le dire mythique et le faire réel.  Le grand soir. 12 juin 2014.
  5. Jean-Louis Dupont. Les fonctions idéologiques du travail social. In contradictions n. 29, Bruxelles : 1981..
  6. Marc Donald Jean-Baptiste. Assistance sociale, Service social, travail social : folklore épistémologique en Haïti. Pacific. 20 août 2019.
  7. L’informateur. Analyse des pratiques du Travail social en Haïti dans le secteur du PVVIH/Sida. 9 octobre 2012.
  8. ENFO-LIEN. Extrait d’une interview de François Pierre Jeanco avec le professeur Jérôme Paul Eddy Lacoste sur le département de Service social à la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’État d’Haïti.
  9. Orlando Ceide, op cit.
  10. Cristina de Robertis, Méthodologie de l’intervention en travail social, Bayard, Paris, 2007.
  11. Patrick Dubéchot. Entre sociologie et intervention sociale. Pour la coproduction d’un savoir. Dans Informations sociales 2006/2007. (n135), pages 24 à 31.
  12. Ibid.
  13. Cristina de Robertis, op cit, p43-55.
  14. À ce sujet, voir Kniebiehler Y. 1980. Nous, les assistantes sociales. Naissance d’une profession cité par Handy Leroy (2015).
  15. Orlando Ceide, op.cit.
  16.  La notion de développement en tant qu’expression d’inculcation des modèles culturels d’un État à un autre. Voir Handy Leroy. Genèse et Reproduction du travail social en Haïti. Mémoire présenté à la Faculté des arts et des sciences en vue de l’obtention du grade de Maitre en Service social, Université de Montréal. Montréal – Canada. 2015. 45 pp.
  17. À ce sujet, consulter Etienne P.S. L’énigme haïtienne (2007) cité par Leroy Handy (2015).
  18. Handy Leroy, op cit, p105.
  19. Le Mouvement de Reconceptualisation désigne une remise en question de la domination culturelle et économique des pays latino-américains par les États-Unis à travers une critique du service social nord-américain. Voir Guy Dallemand (2007). Fondements philosophiques du service social.
  20. Marc Donald Jean-Baptiste, op cit..
  21. Louis Gill. Le néolibéralisme. Editions du renouveau québécois et Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM. Montréal. 2004. 12 p. Le terme « néolibéralisme » désigne le courant de pensée et de politiques économiques qui s’est implanté en 1970 en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis […]. Ses mots d’ordre sont : libéralisation complète des échanges de marchandises et des mouvements de capitaux, rationalisation, rôle minimal de l’État, globalisation […].
  22. Voir le rapport du C.S.T.S. L’intervention sociale d’aide à la personne. Rapport au Ministre, janvier 1996, 138 p. […] L’intervention sociale va au-delà d’un mieux-être individuel et recherche la transformation de la situation existante, voire de la réalité sociale […].

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