Conseil présidentiel, une étape franchie mais les défis restent à venir
5 min readC’est désormais officiel, un Décret du Gouvernement démissionnaire vient de porter création du « Conseil Présidentiel de Transition », lui accordant un mandat d’une durée allant jusqu’au 7 février 2026, avec pour principal objectif celui d’organiser des élections, dans le cadre d’une « transition pacifique ». Un décret contesté par les parties prenantes du Conseil Présidentiel…
Le départ du Gouvernement du Dr Ariel Henry est presque acté. L’échec est cuisant. Quinze mois après sa signature, ce Gouvernement a encore échoué dans ses engagements pris lors de son deuxième accord sur la transition, celui du 21 décembre 2022 intitulé « Consensus National pour une transition inclusive et des élections transparentes ». Au menu, le rétablissement d’un climat sécuritaire, l’obtention d’une mission internationale de soutien à la police nationale, réforme constitutionnelle, rétablissement de la sécurité alimentaire, réformes institutionnelles et économiques, ou encore l’objectif clairement défini de « nouvelles élections générales qui se tiendront en 2023 et l’entrée en fonction d’un Gouvernement nouvellement élu le 7 février 2024 ». Autant d’objectifs fixés unilatéralement que d’échecs. La situation a largement empiré, de quoi amoindrir les chances de réussite de la prochaine équipe.
Un terrain miné
En matière de sécurité, ce Gouvernement laisse une population complètement prise en sandwich entre les différents gangs. À Port-au-Prince, c’est aujourd’hui largement plus que les 80% du territoire qui sont sous l’influence des gangs. Les rares quartiers qui résistent encore sont obligés de se défendre, s’armant d’armes blanches ou d’armes à feu. Selon un rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme sur la situation en Haïti, au cours des seuls deux premiers mois de l’année 2024, au moins 1 436 personnes civiles ont été, soit blessées, tuées ou kidnappées dans le pays. À côté, 695 membres de gangs ont été tués ou blessés.
Le choix par la « communauté internationale » organisée sur Haïti de recourir à un Conseil Présidentiel de Transition intervient à un moment où les gangs ont imposé un blocus aérien dans le pays, forçant ainsi avec la complicité de l’International, le Dr Ariel Henry à demeurer hors des frontières du pays, contraint à la démission. En attendant l’installation de cette nouvelle équipe au pouvoir qui traîne déjà pour trouver le modus operandi, toute cette situation s’accompagne d’une crise humanitaire qui s’aggrave de jour en jour.
Au programme de ce lourd Conseil Présidentiel de Transition constitué de neuf présidents, on retrouve les mêmes objectifs que pour la précédente administration. En matière de sécurité publique, grand défi, dans l’accord politique pour une transition pacifique et ordonnée signé le 3 avril par les différents groupes concernés, la question de sécurité reste une « priorité principale ». Dans l’article 20 de cet accord, le Conseil Présidentiel fixe clairement la mission du Gouvernement qui sera chargé d’implémenter sa politique, « rétablir les conditions de sécurité publique et définir avec les partenaires internationaux les conditions d’un soutien efficace aux forces de sécurité haïtiennes, dans le respect de la souveraineté nationale ».
Par ailleurs, l’objectif qui semble surpasser toutes les autres, l’organisation des élections, devra diriger cette équipe dès ses premiers jours, avec ses conditions de nommer et publier la liste des membres du Conseil Électoral Provisoire dans un délai de 60 jours après l’installation d’un Gouvernement. « La mission du Conseil Présidentiel consiste à remettre Haïti sur la voie de la dignité, de la légitimité démocratique, de la stabilité et de la souveraineté et à s’assurer du bon fonctionnement des institutions de l’État », précise l’accord.
Par ailleurs, ce sont également d’autres défis qui affectent le quotidien de la population qui attend ce Conseil. L’insécurité alimentaire s’aggrave de jour en jour, avec un risque de famine sur une bonne partie de la population. Plusieurs centaines de milliers de personnes sont obligées d’abandonner leurs foyers, laissant derrière eux leurs sources habituelles de revenus ou de nourriture. En plus, les centres de santé sont quasiment tous attaqués à Port-au-Prince, laissant la population sans espoir à un moment où le besoin de soins est le plus pressant. Le plus dur aujourd’hui dans le pays, c’est vraisemblablement de maîtriser cette crise humanitaire, et pourtant, certains aspects sont loin d’être une priorité, ne serait-ce que sur le papier.
Encore des désaccords
Si un accord politique a été trouvé autour de ce Conseil Présidentiel, le Gouvernement en a très peu tenu compte dans son décret, aucune mention n’a été faite dans les préambules, et les noms désignés n’ont pas été publiés. Dans une note publiée ce 13 avril par les parties prenantes à l’accord, ces dernières rejettent le décret, et dénoncent des manœuvres du Gouvernement, se disant « profondément choquées », et dénonçant « l’introduction de modifications majeures qui dénaturent le projet consensuel d’un exécutif bicéphale porté par le Conseil Présidentiel de Transition, consensus patiemment et laborieusement construit entre les Parties Prenantes à partir du 11 mars 2024 ».
Le plus grave, c’est le fait que « le Premier Ministre empêché et le Gouvernement démissionnaire ont choisi de ne pas publier, ni même mentionner l’Accord politique du 3 avril 2024 dans le décret du 12 avril portant création du Conseil Présidentiel de Transition et ne pas rendre public Le Moniteur Spécial No 14-A relatif à l’« Arrêté nommant les Membres du Conseil Présidentiel de Transition » », lit-on dans cette Note.
Ainsi, les parties prenantes à l’accord exigent du Dr Ariel Henry la publication dans Le Moniteur de l’Accord politique et le document portant organisation et fonctionnement du Conseil Présidentiel, la mise en relation des commissions de passation de pouvoirs bipartites et l’installation « dans les meilleurs délais du Conseil Présidentiel de Transition dans la forme et la teneur définies dans l’Accord Politique pour une Transition Pacifique et Ordonnée du 3 avril 2024 ».
Clovesky A. G. PIERRE