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COP 28: « Sans la mise en œuvre de lois nationales, la participation d’Haïti à la COP ne servira à rien »

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La 28e conférence des Parties sur les changements climatiques (COP 28) se tient à Dubaï aux Émirats Arabes Unis du 30 novembre au 12 décembre 2023. Le Ministère de l’Environnement (MDE),  qui se noie dans un verre d’eau face à la situation alarmante  de l’environnement en Haïti, dit saluer « l’adoption par la #COP 28, la décision de rendre opérationnel le fonds pour les pertes et dommages ».Interviewé par le journal Le Quotidien News, Anel Dorlean, écologiste et coordonnateur du Groupe d’intervention Écologique (Écovert-Haïti), a  alerté sur l’état d’urgence écologique et climatique du pays tout en prônant la mise en application des lois du pays.

Le Quotidien News (LQN) : Cette conférence internationale réunira les pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée en 1992. C’est en effet une occasion cruciale pour les États de présenter leurs efforts pour lutter contre la crise climatique. Alors qu’Haïti risque de plonger dans le chaos climatique, puisque le gouvernement ne prend presqu’aucune mesure pour éviter la dégradation de notre environnement. À quel titre les représentants haïtiens participeront à cet événement ?

Anel DORLEAN (A. D) : Au même titre qu’ils ont l’habitude. C’est-à-dire, ils sont présents pour assurer le quorum, suivre simplement le déroulement de la COP et attendre les décisions qui vont leur permettre de bénéficier de petits projets spécifiques qui, souvent ne prennent pas en compte les problématiques de l’environnement en Haïti, mais plutôt de la gouvernance environnementale mondiale qui est contraire aux intérêts nationaux.

LQN : Compte tenu des résultats mitigés des deux dernières COP, selon vous, quels sont les enjeux de la COP 28 à Dubaï ?

A. D : Cette 28e conférence se déroule dans un contexte de tension régionale provoquée par la guerre au Moyen-Orient entre le Hamas et Israël. Avant son ouverture, elle a déjà suscité la colère des scientifiques du fait qu’elle est organisée dans un pays investissant dans l’énergie fossile. Et le pire encore, Sultan al-Jaber, Président de la COP 28, préside à la fois cette conférence sur le climat de la plus grande compagnie pétrolière des Émirats Arabes Unis. Selon une enquête de BBC, M. Al-Jaber se comporte en bon homme d’affaires en profitant de son poste pour négocier des contrats portant sur l’énergie fossile, considérée comme ennemi numéro un du climat.

Les deux dernières COP ont été un échec total, la COP 28 devrait être une COP d’alternatives, mais certains dirigeants mondiaux comme le Président américain ne seront pas présents et la Chine, émetteur numéro un de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire n’entend pas faire marche arrière dans la baisse des émissions de GES. C’est dans ce climat d’inquiétude que s’ouvrent les nouvelles négociations sur le climat, dans une atmosphère très tendue entre les parties qui vont tenter de conjuguer leurs efforts en vue de faire baisser les émissions, voire même en proposant des alternatives pour sortir des énergies fossiles afin de sauver la planète qui vient de connaître en 2023 l’année la plus chaude de toute son histoire.

LQN : Le pays croule sous les ordures, le brûlage est l’une des pratiques les plus répandues pour éliminer les déchets. Selon vous, quelles en sont les conséquences sur la santé et sur l’environnement ?

A.D : En Haïti, on a que des centres de décharges à ciel ouvert comme celui de Truitier à Cité Soleil qui est souvent difficile d’accès en raison des problèmes d’insécurité. Par ailleurs, il faut souligner que :

a) La mer Méditerranée et la mer des Caraïbes sont les deux mers les plus sales au monde. En ce qui concerne la mer des Caraïbes, Haïti est la première responsable de la pollution côtière et marine. Car nos rues, nos ravines, nos égouts, nos places publiques et les zones côtières sont transformées en des centres de décharges à ciel ouvert.

b) En raison de la surpopulation et de l’enclavement de certains quartiers, les services de la voirie sont dépassés et  inexistants dans plusieurs grandes villes du pays. Pour se débarrasser des ordures, bon nombre d’habitants ont recours à des pratiques de brûlage qui ont des impacts directs sur la santé humaine. En effet, le brûlage peut provoquer des maladies cardiovasculaires, des problèmes respiratoires, des maladies dans les systèmes nerveux et immunitaire en raison d’un fort pourcentage de substances chimiques contenus dans les déchets à usages plastiques, Styrofoam et autres déchets toxiques comme les batteries.

LQN : Cette situation continue de menacer notre biodiversité et rend le pays plus vulnérable au changement climatique. À votre avis, comment l’État devrait procéder pour contrecarrer ce phénomène ? Existe-t-il un programme de gestion et de recyclage des déchets en Haïti ?

A. D : Pour résoudre les problèmes de déchets en Haïti, il faut construire des micro et des macro décharges modernes de dimension 1 dans plusieurs départements du pays. Cette catégorie est dotée d’un plateau de tri, d’un centre de recyclage et d’un incinérateur pour brûler des déchets qui permettent de produire de l’électricité. Pour les contenants en polystyrène expansé (Styrofoam), étant donné qu’ils sont dérivés du pétrole, on peut les transformer à nouveau en diésel, c’est une question de volonté et de technique. C’est pour cela que nous avons encouragé l’implémentation d’un centre de décharge moderne à Mouchinette dans le Nord qui devait servir comme projet pilote pour aider à résoudre les problèmes de déchets en Haïti. Malheureusement, ce projet en est toujours au stade du démarrage cinq ans après.

LQN : Selon vous, en quoi la participation des représentants haïtiens à la COP28 peut améliorer l’état d’urgence climatique et écologique que connaît le pays ?

A. D : D’ordinaire, les pays se regroupent en six catégories selon la logique du plus proche lors des conférences sur le climat pour mieux défendre leurs intérêts. D’abord, le bloc Afrique, les pays méditerranéens, les pays de l’Asie, les pays occidentaux (Europe et Amérique du Nord) et les pays de l’Amérique centrale et les Caraïbes. Haïti se trouve dans la dernière catégorie qui ne pèse pas vraiment dans les discussions. Cette catégorie entend seulement bénéficier les retombés positives, s’il y en a.

Cependant, si les autorités avaient la volonté de faire appliquer au moins 25 % de la législation haïtienne en matière                      d’environnement, le pays serait en mesure de faire face au changement climatique. Puisque les problèmes de sécheresse, d’inondation, de changement de température, de variation de saison sont d’abord liés à la mauvaise gestion de l’environnement et renforcés par les effets du changement climatique. Sans la mise en œuvre de lois nationales, la participation d’Haïti à la COP ne servira à rien. Puisque la plupart des questions traitées dans ces conférences sur le climat nous dépassent ou bien n’ont rien à voir avec nos problèmes environnementaux.

LQN : Si les espaces écologiques du pays continuent de se dégrader, quel serait l’impact sur l’avenir du pays ? Et quelles sont les mesures qui doivent être prises pour éviter le chaos ?

A.D : Nous tirons de ces espaces écologiques les services écosystémiques, c’est-à-dire de l’eau, de la nourriture, des médicaments, des produits cosmétiques et de loisirs indispensables à notre survie en tant qu’espèce. De plus, nos espaces écologiques comme les forêts et les algues sont des puits de carbone permettant de stocker le CO2 qui contribue au changement climatique. Selon les experts, les écosystèmes de montagnes fournissent jusqu’à 80% des ressources en eau de la planète et les forêts approvisionnent un tiers des grandes villes du monde en eau potable.

Au moment où le pays fait face aux effets du changement climatique, pour éviter le chaos total, il convient de :

a)    Déployer des efforts pour protéger nos forêts et les bassins versants d’où proviennent nos ressources en eau très utiles pour la production agricole mais aussi très affectées par le changement climatique qui a un impact croissant sur l’agriculture haïtienne.

b)    Repenser les instances chargées de la gestion des affaires environnementales ou les adapter à la réalité haïtienne parce que la gouvernance environnementale mondiale est un échec en Haïti.

Face à cette situation, nous autres au niveau de Ecovert-Haïti, MADECTH, MAP, APRODI et d’autres organisations, devant les faibles résultats des COP en Haïti, nous ne cesserons pas de lancer des appels pour sauver les réserves forestières, les parcs nationaux, les ressources hydriques en Haïti très menacées par les activités humaines. Malgré les récents appels, le silence et, parfois, les actions déployées par les autorités se sont avérées insuffisantes pour résoudre la crise environnementale. Car on ne peut pas résoudre des problèmes permanents avec des projets de courte durée

Nous sommes à la 28e COP sur le climat et à la 29e année depuis la création du MDE, la situation environnementale haïtienne est passée de désastres écologiques à une situation de non-retour. Toutefois, l’État au lieu de participer aux COP doit faire plutôt des investissements pour protéger les bassins versants, pour améliorer les stockages en eau, pour lutter contre les pollutions plastiques et promouvoir des recherches pour rendre résiliente l’agriculture face au changement climatique.

Propos recueillis par :

Marie-alla CLERVILLE

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