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De la déperdition scolaire en Haïti

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La scolarité peine à revêtir un caractère général dans les sociétés en retard d’équipements. Beaucoup d’enfants ne peuvent toujours pas avoir une place assise dans une école. En Haïti, nombreux sont les enfants non-scolarisés. Et parmi ceux qui ont la chance de pouvoir se rendre à l’école, beaucoup se voient obligés d’abandonner pour de multiples raisons.

L’éducation a longtemps été un luxe pour des millions d’Haïtiens. La Constitution haïtienne de 1987, amendée en 2011, consacre le droit à l’éducation. En son article 32-1, elle fait de l’enseignement une responsabilité de la puissance publique. « L’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre l’école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des enseignements des secteurs public et non public », stipule-t-elle. Plus loin, elle rend obligatoire l’enseignement fondamental, et prévoit que les matériels didactiques et fournitures scolaires soient mis gratuitement au service des élèves.

Cependant, la réalité en est toute autre. L’État haïtien peine encore à garantir le respect de ces droits pour tous les jeunes du pays. Nombreux sont ceux qui n’arrivent pas jusqu’aux bancs d’une école. Dans les milieux de province, des enfants doivent parcourir de grandes distances à pied pour se rendre à l’école, et certaines localités en sont dépourvues.

Selon l’étude sur « Les enfants non scolarisés en Haïti » réalisée par l’UNICEF et d’autres partenaires locaux en 2017, près de 2 enfants sur 10, de 6 à 11 ans, ne fréquentaient pas l’école cette année-là, soit près de 250 000. En Haïti, le secteur de l’éducation reflète les inégalités dans le pays. Seuls, 68% des enfants issus des classes pauvres fréquentent l’École primaire contre 92% chez les ménages « les plus riches », selon cette étude. Par ailleurs, un autre problème frappe de plein fouet la jeunesse haïtienne, la déperdition scolaire.

La déperdition scolaire et ses causes

Par déperdition scolaire on entend l’empêchement pour un élève inscrit pour un cycle d’étude de le terminer dans le délai imparti. Beaucoup de facteurs socio-économiques peuvent être à la base des déperditions scolaires. Contactés par la rédaction du journal Le Quotidien News, quelques professeurs donnent leurs avis sur la question.

Pour le professeur M.Pierre qui enseigne dans la sous-région de la Plaine du Cul-de-Sac, une précision s’impose avant tout, entre abandon et déperdition. « Abandon, c’est un enfant qui est dans le cursus et qui l’abandonne sans l’avoir terminé. Et déperdition, c’est quand, dans une cohorte, un certain nombre d’élèves est resté pour cause de redoublement, de maladie ou pour raison économique, mais termine quand même le cursus, sauf pas en temps prévu ni avec la cohorte ». Pour le professeur, les causes sont multiples et ne sont pas les mêmes suivant que l’on considère la déperdition en milieu rural ou en milieu urbain.

« Pour les causes essentielles, nous retenons l’économie et le social : des enfants perdent des années faute de pouvoir payer les frais de scolarité. Ensuite viennent les grossesses précoces chez les filles, le sur-âge est une cause importante en milieu rural, le découragement en l’absence de modèle de réussite dans la société, la distance à parcourir pour arriver à l’établissement scolaire, etc. Il faut également ajouter le manque d’instruction des parents, sans oublier le rang de l’enfant dans la famille et le nombre d’enfants dans la famille. Ce sont quelques-unes des causes. Il y a plein d’autres que nous repérons au cours de nos rencontres de terrain », explique le professeur et chercheur Pierre BUFON.

Frantzley VALBRUN, professeur au niveau du secondaire à Port-au-Prince, voit lui aussi la précarité socio-économique comme principale cause de la déperdition scolaire. Selon lui, beaucoup de familles ne peuvent pas assurer le pain de l’éducation à leurs enfants. « Elles sont dans l’incapacité de résister aux défis auxquels elles doivent faire face. Elles sont laissées pour compte », dit-il. Pour cet enseignant qui a déjà été confronté à ce phénomène dans ses salles de classe, le récit est poignant. « En tant que professeur, je fais face assez souvent à ce genre de situation. Il y en a qui arrêtent l’école parce que, pour une raison donnée, ils n’ont plus personne pour les aider à payer les frais de scolarité et autres accompagnements. Pour d’autres, c’est la nécessité de contribuer urgemment à affronter la misère qui frappe leurs familles, s’adonnant ainsi à d’autres activités. La première fois que j’ai vécu un cas pareil dans ma salle de classe, il s’agissait d’une jeune fille en classe de Nouveau Secondaire II, j’ai été témoin du fait qu’elle ait atterri dans une maison de … Ça m’a choqué ».

Pour le professeur Max Eden DESTYL qui enseigne au niveau de la commune de Tabarre, les grossesses précoces méritent une attention particulière. Selon lui, « elles constituent naturellement l’une des principales causes de la déperdition scolaire dans notre pays. Elles touchent à la fois les garçons et les filles. Dans ce cas, les garçons sont souvent obligés de laisser le banc de l’école afin de se trouver une activité rémunérée afin de prendre leur responsabilité ». « Du moment où, à cause de son enfant, la jeune fille perd deux à trois années scolaires, le retour est négligé, et c’est l’abandon définitif », explique-t-il. À cela, le professeur  voit un problème sociétal. La sensibilisation des jeunes aux méthodes contraceptives devrait être une préoccupation pour toutes les institutions du pays selon lui.

Il reconnaît cependant l’ampleur des enjeux socio-économiques de la question. Selon lui, pour limiter les déperditions scolaires, il est de la responsabilité de l’État de subventionner les parents se trouvant dans l’incapacité financière, et de multiplier les écoles publiques et les places assises en salle de classe, rendant ainsi l’éducation plus accessible. C’est aussi l’avis des professeurs Pierre BUFON et Frantzley VALBRUN pour qui, pour résoudre ces problèmes, l’État doit prendre ses responsabilités pour améliorer les conditions matérielles d’existence des familles afin que tous les jeunes puissent avoir une vie décente sans être obligés, pour survivre, de quitter l’école avant la fin normale.

« Avantage : on aura une société avisée, connaissant ses droits et devoirs, et capable de faire de bons choix politiques. Quand la société est bien éduquée, c’est un plus pour l’environnement, la santé, le vivre ensemble, l’économie et tout. Pour développer une société aujourd’hui, il faut premièrement penser à la qualité des citoyens (humain) », estime le professeur BUFON.

Clovesky André-Gérald Pierre

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