dim. Déc 22nd, 2024

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Discours du Recteur de l’UniQ, Jacky LUMARQUE dans le cadre de la grande finale du Concours de textes « Contre la violence faite aux femmes »

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Monsieur  l’Ambassadeur du Canada en Haïti, M. Sébastien Carrière,

Monsieur le Fondateur et PDG du journal e Le Quotidien News, M. Cluford Dubois,

Éminents membres du Jury,

Chers finalistes,

Honorables Invité-e-s,

Mesdames et Messieurs les Représentants des médias,

Mesdames, Messieurs,

C’est très volontiers que je réponds à l’invitation de M. Cluford Dubois de prononcer une allocution à l’occasion du concours de textes que le Journal en ligne Le Quotidien News a eu l’heureuse idée de lancer en octobre dernier et qui connaît aujourd’hui son aboutissement avec cette grande finale dont le sens profond est un message fort à la Jeunesse. Car, il s’agit ni plus ni moins que de contribuer à relever le drapeau de la condition féminine dans ce pays.

Trois raisons principales m’amènent à prendre la parole :

  1. Le thème lui-même, un sujet de société grave et préoccupant qui interpelle  la société tout entière et en particulier l’État : la violence dont sont victimes les femmes haïtiennes ;
  2. Le type d’intervention originale choisi par le journal ; une conception innovante du journalisme et du reportage au service de la communauté ;
  3. La solidarité de l’Université Quisqueya dans le cadre de son service à la société et son soutien à l’activité du Journal.

La situation des femmes victimes de violences en Haïti est    précaire.

Selon les données de la Banque Mondiale de 2020, les femmes représentent 50,7%, soit plus de la moitié de la population totale en Haïti (11,6 millions d’habitants), c’est-à-dire 5,88 millions de personnes.

De leur côté, les statistiques du Ministère de la Santé Publique et de la Population de 2018 démontrent que les violences faites aux femmes et aux filles augmentent de façon significative. Ces violences se matérialisent sous différentes formes, notamment physique, sexuelle, psychologique, verbale et/ou économique. Souvent, les femmes commencent à être victimes de violence à un jeune âge.

L’impossibilité pour elles d’obtenir justice contribue à l’augmentation de leur niveau de vulnérabilité. L’impunité sévit sans distinction de milieu ou de rang social. Les victimes constatent que, dans les cas où la justice a eu à se prononcer, les violences ont été banalisées.

L’impunité commence dès la phase pré-judiciaire lors du dépôt, puis du suivi des plaintes par les femmes concernées. Les démarches pour la saisine des services de police et de justice sont compliquées et l’assistance par un avocat engendre des coûts qu’elles ne peuvent pas assumer. La prévalence de la langue française limite aussi, de façon importante, la capacité des femmes à pouvoir obtenir justice via le système judiciaire haïtien.

Au stade judiciaire, le dysfonctionnement du système et son manque d’indépendance ont un impact à l’égard du traitement des violences faites aux femmes. Des décisions ne reposant ni sur la loi ni sur les faits sont souvent rendues, et ce, au détriment des victimes. Par exemple, les juges décident souvent d’octroyer des sommes d’argent en guise de compensation à la victime plutôt que la condamnation du délinquant à la peine prévue par la loi. De même, le refus de poursuivre les accusés dans des affaires impliquant certaines personnalités haut placées renvoie l’image de l’inégalité des citoyens et des citoyennes devant la loi.

Outre les inégalités de genre, il y a aussi les enjeux culturels. Notamment la relation de dépendance de la femme envers l’homme, ainsi que de l’influence de la religion. Ces enjeux engendrent une banalisation de la violence, tant au niveau de la population qu’auprès des acteurs et actrices judiciaires. L’impunité engendre des conséquences considérables sur les femmes et les filles haïtiennes, parmi lesquelles, la perte de confiance en la justice ainsi qu’une situation d’insécurité permanente pour la victime et sa famille. De plus, l’impunité est en partie responsable de l’augmentation et de la banalisation des violences faites aux femmes et aux filles. Il faut reconnaître, en définitive, qu’en plus des dysfonctionnements, des mythes et préjugés, l’impunité est non seulement le fait d’un cadre normatif et institutionnel vieux et inadapté; elle est surtout la résultante d’un manque de volonté politique pour promouvoir et protéger les droits des femmes.

         Lors de la célébration de la Journée Internationale des Droits de la Femme qui a eu lieu le 8 mars, ici même, la Ministre Dr Sophia Loréus a condamné la violence faite aux femmes, sous quelque forme que ce soit. Elle a encouragé les femmes à accéder en plus grand nombre à des postes décisionnels. Incitation louable, certes, mais qui concerne une minorité. Le problème aujourd’hui concerne principalement la condition féminine qui ne cesse de se dégrader du fait en particulier des exactions criminelles commises par les gangs, les massacres, les viols et les agressions sauvages devenues des formes de violence extrême traumatisantes pour toutes les femmes du peuple.

En avril 2016, s’est tenue à l’Université Quisqueya une Conférence internationale et interdisciplinaire sur le genre en Haïti, en association avec l’Université du Québec en Outaouais, dont l’une des initiatrices présente ici dans cette salle est Mme Darline Alexis, avec l’appui notamment d’ONU-Femmes. C’était il y a 6 ans. Avec Sabine Lamour et Denyse Côté, Darline Alexis a écrit dans l’introduction du livre intitulé « Contre-récits sur le genre et la pensée féministe en Haïti » publié un peu plus tard, je cite :

         « La société haïtienne fait depuis longtemps l’objet de récits altérisant ses citoyen.nes dans lesquels misérabilisme, racisme et androcentrisme se conjuguent allègrement. Renforcés après le séisme du 12 janvier 2010, ces discours s’appuient, comme toujours, sur un fond de vérité : extrême pauvreté, analphabétisme, mortalité materno-infantile…Quoique tangibles, ces réalités ne suffisent pas à justifier l’image de parias dont on affuble ses ressortissant.es. Parallèlement, les récits construits par les Haïtien.es sur leur propre société sont rendus invisibles et, de facto, invalidés au profit d’autres solutions provenant de l’étranger et mieux arrimées aux conceptions internationales du développement ainsi qu’aux normes et mandats des agences et ONG internationales. » Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a écrit Darline Alexis.

         L’activité du journal Le Quotidien News

Si aujourd’hui tout comme hier, les attaques contre les femmes sont monnaie courante, aujourd’hui plus que hier, la formation, la sensibilisation et la communication permettent d’instruire un nombre de plus en plus important de personnes des dangers auxquels le fait d’être femme expose la majeure partie de la population haïtienne. 

Dans ces conditions, il est nécessaire d’entreprendre un travail d’information, de plaidoyer, d’éducation, de conscientisation.

Ce travail de fond est précisément l’un des objectifs que s’est fixé Le Quotidien News. Fondé depuis un peu plus de 2 ans, le Journal se fait progressivement connaître d’un nombre grandissant de lecteurs. Le concept qui a présidé au lancement de ce nouveau média est fondé sur la recherche de l’objectivité et une conception du journalisme comme moyen de formation de l’opinion publique. Sont privilégiés les faits de la vie quotidienne, la présentation d’héroïnes de la vie de tous les jours, la découverte des régions haïtiennes et de leur richesses, la connaissance de personnes positives, actives dans leur milieu professionnel, quel que soit leur statut social, la mise à l’honneur de femmes inspirantes, pouvant servir de modèles à la jeunesse en quête de repères. Sont couverts presque tous les domaines allant de la politique à l’économie, en passant par le social, l’art, la culture, le sport, ainsi que les relations internationales.

Dans le dernier numéro du journal, le 121ème, on trouve des articles sur la dépénalisation de l’avortement, sur Marie Thérèse Colimon Hall, née en 1918, militante du féminisme de la première heure, la vie d’Anita, femme de ménage à Port-au-Prince pendant 40 ans, et un dialogue très vivant sur la violence faite aux femmes. C’est un texte qui déconstruit les stéréotypes et prône l’éthique de la responsabilité citoyenne. Enfin, dans la rubrique « Être femme haïtienne », on trouve un article alerte sur une jeune femme, Samentah Jean, ses passions et ses valeurs.

Une des caractéristiques du journal est de pratiquer un journalisme de solutions. En effet, les jeunes sont fatigués des nouvelles qu’ils considèrent comme négatives. Le journalisme de solutions part de l’idée que les enquêtes, les interviews, la parole des acteurs de terrain et les récits concrets indiquant des moyens de résoudre les problèmes peuvent accroître l’engagement des jeunes lecteurs, renforcer le sentiment de leur utilité sociale et favoriser un discours constructif sur des questions controversées.

Le concours a été conçu en octobre 2021 et lancé en novembre après une concertation en interne au niveau de l’équipe dirigeante. Les difficultés rencontrées ont été principalement d’ordre financier, le Journal ne disposant pas d’assez d’argent pour réaliser tout seul le concours, et les partenaires approchés hésitaient à apporter un financement, compte tenu du contexte général et de la baisse des activités économiques.

En second lieu, il y a lieu de mentionner les difficultés dues à l’insécurité qui ne cesse aujourd’hui de s’amplifier de manière dramatique. Le kidnapping de Jhony Spenser François, Co-PDG du Journal, et d’Alain Sauval, Directeur de la communication de l’Université Quisqueya, à la fin du mois de novembre, a obligé le Journal à modifier la date des inscriptions et à reporter la date de la finale pour ce 11 mars.

         Le soutien de l’Université Quisqueya au Journal

L’aide apportée par l’UniQ s’inscrit dans sa « mission de service à la société » qui lui a été assignée par ses fondateurs. Elle prend diverses formes.

Le Quotidien News, qui bénéficie notamment du soutien de la BRH et de la Digicel, est hébergé sur le campus et est logé dans les locaux de l’incubateur de l’Université. Il dispose d’un espace de travail permanent, sécurisé, connecté à l’internet et équipé en moyens bureautiques, dont un ordinateur portable prêté par l’institution.

Il bénéficie aussi d’un soutien linguistique ; toutes les semaines, les articles sont relus bénévolement par un professionnel de l’édition, de langue française. Une garantie de qualité pour les lecteurs, indispensable à la crédibilité du Journal.

Il bénéficie aussi de conseils dans le domaine de la connaissance, de la formation, de la recherche, de la vulgarisation du savoir et du savoir-faire, par l’intermédiaire des colloques et conférences-débat organisés par l’UniQ, auxquels le Journal est convié. Ce qui revient à dire que Le Quotidien News est immergé dans l’activité générale de l’Université, que celle-ci lui sert pratiquement d’écosystème, sans qu’il ne perde pour autant son autonomie, ni son indépendance rédactionnelle. L’équipe est jeune (entre 25 et 30 ans) et représente la relève dont le pays a besoin dans le domaine du journalisme.

L’Université Quisqueya attache du prix à la diffusion professionnelle du savoir et donc à la formation des médiateurs qui s’emploient à décrypter le monde pour le raconter. Le pays a besoin de récits vrais, et non pas d’écrans de fumée. Il y a quelques années, après le séisme du 12 janvier 2010, l’UniQ avait mis en place un partenariat très profitable avec le Centre de formation professionnelle des Journalistes de Paris (CFPJ) pour former la relève journalistique du pays. Je me permets de signaler que l’actuel Directeur de l’information de la TNH est un pur produit de cette coopération.

Je suis persuadé, compte tenu de la qualité de son équipe et de ses collaborateurs, que le Journal Le Quotidien News est sur le bon chemin. Je le remercie de son initiative et je souhaite aux lauréats du concours de relever le défi devant lequel toute notre jeunesse consciente et responsable est aujourd’hui placée, celui du renouveau d’Haïti.

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