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Éducation/Haïti : Marina François, une enseignante non-voyante qui fait son travail avec passion

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Marina François, enseignante non-voyante depuis environ dix ans, n’a pas abandonné ses ambitions malgré sa nouvelle situation. Elle ne s’est pas laissée influencer par une société fortement discriminatoire et, malgré les conditions, elle est parvenue à rediriger sa canne d’aveugle sur la voie du succès et guide à présent l’intelligence des enfants qui sont dans la même situation qu’elle.

Au lendemain de la journée internationale des droits des femmes, Le journal Le Quotidien News a rencontré dans les locaux de l’institution Saint Joan Margaret, logée à Tabarre, une enseignante non-voyante d’une détermination et d’un courage infaillibles. Malgré son handicap, Marina François n’a jamais perdu de vue son rêve d’éduquer les jeunes esprits.

« Marina François est une enseignante soucieuse de son travail, elle est vraiment passionnée de ce qu’elle fait », témoigne Jenny Vilsaint Dory, la secrétaire de cette école spécialisée de la Fondation Saint Luc, qui ne tarit pas d’éloges envers la professeure, avant de nous indiquer où se trouve la salle de classe de cette dernière.

Marina François est titulaire de la première année fondamentale, logée dans la première pièce d’un bâtiment hébergeant quatre salles de classe. Elle est accompagnée d’une autre enseignante voyante qui s’occupe des enfants voyants, tandis qu’elle se charge des non-voyants. Il est 9h passées d’environ une quinzaine de minutes, on termine un cours de numération juste avant  la récréation. Marina, attentive sur sa machine braille, recopie un texte qu’elle lit avec ses doigts pour ses enfants, pendant que l’autre institutrice accompagne les enfants, dont dix garçons et trois filles, parmi eux deux non-voyantes.

 La dégénérescence maculaire : une dégradation visuelle chronique

Marina François voit le jour le 12 mars 1973  à Port-au-Prince dans une famille précaire de quatre enfants. Dès la petite enfance, elle commence à avoir des problèmes oculaires qui l’obligent à porter tôt des lunettes. « Si j’en crois les médecins, je suis née avec cette déformation au niveau des yeux. Malheureusement, les ophtalmologues en Haïti ne se contentent que de prescrire des gouttes et des lunettes, sans faire une analyse approfondie », regrette Marina, assise confortablement sur son bureau situé au côté droit de l’entrée de la salle de classe.

En fait, elle a souffert d’une dégénérescence maculaire avant même sa naissance. Il s’agit en effet d’une dégradation de la macula, une partie de la rétine qui peut mener à la perte de la vision centrale. « Au fur et à mesure que l’on grandit, la macula se dégrade puis on perd la vision peu à peu », explique la non-voyante, qui s’est renseignée sur son cas.

Un sentiment d’exclusion

Malgré ses difficultés à lire les notes au tableau, Marina enchaîne toutes ses classes sans broncher jusqu’au baccalauréat. Après son échec aux examens de baccalauréat, sa mère décide de ne plus payer les frais de sa scolarité. Une décision malheureuse que Marina interprète comme une forme d’exclusion. « Ma mère n’a jamais compris mes problèmes de vision, elle n’a jamais voulu m’accepter comme je suis. Certaines fois, je m’apitoyais sur mon sort dans mon coin de refuge », témoigne-t-elle avec amertume.

Sa plus grande passion a toujours été l’éducation, la quête du savoir. « J’aime apprendre, m’éduquer davantage afin de pouvoir enseigner à mon tour », confie Marina, malvoyante à l’époque, qui voit son rêve s’éloigner d’elle étant donné que sa mère, commerçante, persiste dans sa décision. Alors, elle s’est trouvé un emploi qui lui a permis de s’inscrire à une école normale, d’où elle est sortie fièrement avec son diplôme de jardinière.

Tandis que sa vue se détériore de plus en plus, Marina François, plus déterminée que jamais, se replonge dans ses notes de « rhéto » en vue d’affronter à nouveau les épreuves du Bacc I. « Je n’avais pas encore perdu totalement la vision, mais c’était quand même un peu difficile. À l’aide d’un ami qui travaillait avec moi, j’ai pu franchir avec brio cette étape avant de retourner en salle de classe pour la terminale », se souvient Marina. Malheureusement, elle doit faire face à la discrimination de la direction du Lycée Firmin qui, à l’image de l’État, refuse de lui donner sa chance à cause de ses problèmes de vue.

« J’étais, dit-elle,  déterminée à boucler mes études quoiqu’il arrive. C’est la raison pour laquelle je me suis inscrite au Lycée Firmin. Tandis que j’avais tout ce que les autres devaient avoir pour franchir la salle de classe, le directeur refusait de m’accepter à cause de mes problèmes de vision. Il m’a clairement fait comprendre qu’il ne pouvait pas se permettre de connaître un échec au baccalauréat à cause de mon handicap. Cela m’a fait de la peine ».

Dans une conversation ouverte avec le directeur d’alors, elle parvient à dissiper les doutes de ce dernier, en lui assurant qu’elle sera la première de ses élèves à réussir les examens. À ces mots, il abdique et permet à la femme de trente-cinq ans de poursuivre son rêve. « Quand on a entendu mon nom à la radio lors de la proclamation des résultats, tout le monde était étonné. Personne n’avait pensé que je pouvais réussir, même pas ma famille », se rappelle Marina François qui a fait ce chemin glorieux grâce à son petit appareil d’enregistrement.

La détermination d’une non-voyante

« Je me souviens que je me suis penchée un peu pour ramasser quelque chose, c’est alors que j’ai senti mes yeux tomber. C’était une impression vraiment bizarre. Ce n’était pas que le fruit de mon imagination. Effectivement, en me relevant, je n’avais plus ma vision », se remémore tristement Marina François, qui a perdu définitivement la vue à quarante ans. À en croire ses dires, ce fut le moment le plus obscur de sa vie. Seule dans le noir, la jardinière doit puiser en elle l’élan nécessaire pour rebondir. « J’avoue qu’au départ, j’étais déboussolée. Mais après maintes réflexions, je me suis dit que je n’étais pas la première ni la seule personne à être aveugle. Donc, si eux ils ont pu arriver, alors pourquoi pas moi », confesse Marina, plus déterminée que jamais.

À la Société haïtienne d’aide aux aveugles, Marina commence peu à peu à se réhabiliter. Dans cette institution dont elle sera la réceptionniste quelques mois plus tard, elle apprend l’écriture braille et la dactylographie. Fort de ses capacités et de sa ténacité, elle obtient une bourse d’étude en Sciences de l’éducation à l’Université Quisqueya (UniQ). « J’ai réussi tous mes cours à l’UniQ. Il ne me reste plus qu’à remettre un devoir final pour avoir ma licence », déclare Marina qui, du haut de ses quarante ans, suit actuellement un cours en ligne sur l’éducateur spécialisé. « J’y arrive grâce au paramètre Talk Back du smartphone qui lit à haute voix ce qui s’affiche sur l’écran. Je rédige mes devoirs sur la machine à écrire que ma fille réécrit sur Word avant de les expédier au professeur en France », explique Mme Marina, très studieuse et passionnée d’éducation.

À ses heures libres, une pléiade d’enfants l’environne à cœur joie, profitant de sa gentillesse et son amour qu’elle délivre à profusion sur la cour bien aérée de l’école. Grâce à son sens auditif aiguisé et à son toucher, la quadragénaire d’environ un mètre soixante-cinq (1m65), au teint clair, arrive à décrire de manière méticuleuse chacun de ces enfants, en fournissant des détails qui échappent même à ceux qui ont gardé la capacité de voir. Dans une atmosphère de bonheur, l’éducatrice portant son uniforme de couleur ivoire et orange, aime chanter, danser et passer du bon temps avec ces enfants à besoins spéciaux qui ont besoin plus que tout au monde de sa marque d’attention. En effet, son plus grand rêve est d’avoir une école spécialisée et un orphelinat qui accueille ces enfants qu’elle chérit tant.

N’était-ce la force de sa détermination, elle n’aurait pas parcouru ce long chemin truffé de moment particulièrement humiliants, comme quand son amant, père de sa fille de vingt ans, l’a plaquée à cause de son problème oculaire alors que sa fille n’avait que cinq ans, ou comme quand une caissière d’une banque haïtienne très connue lui a lancé des propos discriminatoires alors qu’elle venait ouvrir un compte. « Les gens doivent comprendre que quand on perd la vue, on ne perd pas la vie pour autant. Et nous autres, nous ne devons jamais laisser un handicap paralyser notre vie », conclut l’enseignante Marina François, une femme à nulle autre pareille.

Statler LUCZAMA

Luczstadler96@gmail.com

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