Franck Louissaint : le maître du réalisme haïtien en peinture
4 min readLe Quotidien News a appris le décès de l’artiste peintre haïtien Franck Louissaint. Souffrant et hospitalisé depuis novembre dernier, atteint d’une pneumonie post-opératoire début décembre, Franck Louissaint s’est éteint le 5 février 2021 à son domicile à l’âge de 71 ans. Ses funérailles ont été chantées le 12 février au Parc du Souvenir.
Né à Aquin, ville portuaire à 37 kilomètres de la ville des Cayes, il y a fait ses études primaires avant de partir pour Port-au-Prince. Après ses études secondaires au Lycée Antenor Firmin, Franck Louissaint suit des cours de dessin tout d’abord par correspondance, puis au Centre d’art à partir de 1969, où il apprend le dessin, la composition et l’utilisation de la couleur. Il rencontre beaucoup d’artistes, notamment Hector Hyppolite, Préfète Duffaut, Georges Liautaud et bien d’autres qui lui transmettent leur passion et leur art.
À partir des années 1980, il transmet à son tour ce savoir et son sens raffiné du dessin à plusieurs générations d’étudiants au Centre d’art, puis à l’Ecole Nationale des Arts (ENARTS), dont il est devenu au fil des années depuis 1983 l’un des plus anciens professeurs. Il enseignera également à la Faculté de génie et d’architecture (GOC).
Suite au tremblement de terre qui détruisit un très grand nombre d’œuvres d’art, il bénéficie d’une bourse de la prestigieuse Institution américaine Smithsonian, avec Jean Ménard Derenoncourt, pour étudier à l’Université Yale les techniques de conservation et de restauration en vue de participer au sauvetage du patrimoine culturel haïtien. Il visite plusieurs musées des États-Unis. À partir de janvier 2016, il est engagé par le Recteur de l’Université Quisqueya pour exercer les fonctions de Conservateur en Chef du Laboratoire de restauration du Centre de Conservation des Biens Culturels créé avec l’aide de La Smithsonian Institution et la Fondation Ben Stiller.
On se souvient des longues heures qu’il a consacrées à la restauration de tableaux endommagés, sur lesquels il se penchait avec une patience et une minutie extrêmes, centimètre carré par centimètre carré, pour les conduire vers une forme de résurrection. Le 25 avril 2019, le Rectorat avait organisé, à l’occasion du lancement du livre posthume de Cary Hector, Directeur exécutif de la Chaire Louis-Joseph-Janvier sur le Constitutionnalisme en Haïti, une cérémonie dévoilant le tableau de Numa Desroches, intitulé « Sans Souci », qui mettait en valeur le magnifique travail de restauration effectué par Franck Louissaint et ses collaborateurs, Marc Gérard Estimé et Ernst Jeudi.
Franck Louissaint est l’auteur d’une œuvre d’une grande cohérence ; dès ses débuts, il adopte un style figuratif et une iconographie essentiellement tirée de scènes de la vie quotidienne en Haïti, urbaine et rurale, sans folklorisme ni aucun misérabilisme. Il peint la vie authentique de tous les jours et de préférence la vie des gens du peuple, des gens humbles. Le traitement de la couleur et de la lumière, très sobre, donne à ses compositions une atmosphère qui, par certains aspects, le rapproche du style des peintres d’intérieur et de natures mortes du XVIIème siècle hollandais, ou encore du réalisme du peintre français Gustave Courbet, à la fin du XIXème siècle.
Franck Louissaint est considéré comme le père du réalisme haïtien, parce que sa peinture rappelle la photographie dans ce qu’elle a de plus figuratif. En d’autres termes, les scènes qu’il peint dans les moindres détails, avec une extrême fidélité, donnent l’illusion d’une imitation parfaite digne d’un instantané photographique. Quand il choisit de montrer la façade d’un café, on peut voir les clients attablés, mais aussi tout ce qui, dans l’environnement, se reflète dans la vitrine du café.
Ce parti-pris lui a valu le qualificatif de peintre hyperréaliste. Son art de l’imitation est tel que certains visiteurs dans les galeries d’art en viennent à poser les doigts sur ses toiles, comme pour vérifier s’il ne s’agit pas d’une photo ! Lors du récent Festival de janvier intitulé « Haïti, le printemps de l’Art », un tableau a suscité l’admiration. Il met en scène un pousseur de brouette. L’artiste représente cet homme qui se repose un moment. Il est assis, observant son pied calleux dans une sandale de fortune. C’est tout, le sujet est limité, mais on est saisi par l’authenticité de la représentation et par l’empathie de l’artiste vis-à-vis de son personnage, que tout le monde dans la rue feint de ne pas voir et auquel, lui, il confère un statut de sujet digne d’attention, parce que c’est un être humain !
Le soin et la minutie dont Franck Louissaint faisait preuve en peignant, sa grande maîtrise de la composition, des formes et des lumières, son intérêt pour la vie des gens humbles traduisaient sa grande sensibilité d’homme attentif à son prochain, guidé par une spiritualité et sa croyance inébranlable en la toute puissance du Christ. À la maison, Franck Louissaint aimait marcher pieds nus. Quand un visiteur se présentait à la barrière, il allait l’accueillir ainsi, dans la plus grande simplicité. Il avait les pieds sur terre et était profondément humain.
Rappelons que Franck Louissaint a participé à plusieurs expositions individuelles à la galerie d’art Nader à Pétion-Ville, au Musée du Panthéon National (Mupanah) et un peu partout dans le monde, particulièrement en France, à Cuba et aux États-Unis d’Amérique. Un catalogue raisonné de l’ensemble de son œuvre est en préparation.
Niala Lavual