Haïti : « Le développement de la recherche scientifique a besoin d’un écosystème particulier », selon Jacky Lumarque
4 min readDans un contexte marqué par l’insécurité, le chômage, la quête effrénée du gain rapide, Jacky Lumarque, le Recteur de l’Université Quisqueya (UniQ), plaide pour « un écosystème particulier articulant plusieurs éléments clés » afin de développer la recherche scientifique en Haïti. Tout en soulignant que le pays est encore loin de tout cela, M. Lumarque estime que le combat doit continuer, le pays doit suivre le chemin de la science pour son développement durable.
Le Recteur de l’Université Quisqueya Jacky Lumarque est clair. Le développement durable d’Haïti doit passer par la recherche scientifique. Cependant, dans une conjoncture marquée par la quête effrénée du gain rapide, le chômage et l’insécurité pour ne citer que ces maux-là, M. Lumarque pense que la recherche scientifique nécessite chez ceux et celles qui s’y consacrent d’une part d’abnégation.
« C’est une voie qui exige chez nous (NDLR : Haïti), plus qu’ailleurs, plus de renoncements que de gains, davantage de sacrifices que de récompenses. Mais c’est le bon chemin. Haïti non plus n’a pas d’autre voie à prendre que celle de la science pour valoriser ce beau potentiel humain que le pays recèle et qui est la condition d’un véritable développement durable », a fait remarquer le Recteur lors de son discours à la cérémonie du « Prix des Chercheurs Juniors » qui a été organisée à la dite université le 14 janvier dernier.
Pour l’ancien candidat à la Présidence, « le développement de la recherche scientifique a besoin d’un écosystème particulier articulant plusieurs éléments clés ». Dans cette optique, il a souligné que le chercheur pour sa part doit « faire de l’activité de recherche un métier, en articulation avec d’autres métiers complémentaires, ingénieurs, techniciens, administratifs, à la condition pour chacun de pouvoir en vivre de manière honorable ».
Outre cela, il a indiqué que « cela suppose non seulement des formations de troisième cycle, mais aussi des lieux de recherche : équipes de recherche, laboratoires de recherche, institutions ou groupes d’institutions. Faire face à des questions complexes nécessite la mutualisation des efforts et des ressources ». Par ailleurs, le Recteur a aussi exprimé son regret « par rapport aux difficultés créées par l’UEH pour ranimer le Collège doctoral (dont l’UEH assure la présidence) ». Selon lui, l’UniQ et l’UEH ont établi ensemble ce collège « avec le soutien de l’AUF et de l’Ambassade de France ».
Selon le Recteur, « l’écosystème de la recherche suppose aussi un système normatif pour encadrer le travail de recherche, évaluer les chercheurs, les laboratoires et les institutions de recherche. Cela suppose aussi des financements publics non assujettis aux agendas politiques, et des investissements de la part des entreprises ; cela suppose une disposition du milieu en faveur de la valorisation de la recherche parce que les entreprises et les pouvoirs publics sollicitent les chercheurs pour leur expertise, pour le développement de nouveaux produits ou procédés, pour éclairer la prise de décision politique ou managériale, pour générer des solutions aux dysfonctionnements sociétaux, etc. ».
Fort de tous ces besoins, le Recteur estime qu’en Haïti on est encore loin d’être à fond dans la recherche scientifique, mais il y a encore de l’espoir. « Nou poko ladann menm. Nous sommes loins de tout cela. Mais le combat doit continuer». En témoignent les lauréats du « Prix Chercheurs Juniors » qui sont là pour apporter leur contribution.
D’un autre côté, Jacky Lumarque a mis l’accent sur l’innovation, particulièrement « l’innovation frugale ». À en croire M. Lumarque, c’est « un processus destiné à répondre à un besoin de la manière la plus simple et la plus efficace possible en utilisant un minimum de moyens dans un contexte de ressources rares. Dans les pays pauvres, en effet, les ressources matérielles sont rares, les financements sont inexistants ou trop coûteux, les services de facilitation ou de promotion dans l’État sont imaginaires, les qualifications de la main-d’œuvre sont en-dessous des standards, les lois et la réglementation sont adverses, etc. ».
Pour le Recteur, l’innovation frugale en Haïti, « c’est aussi ces belles œuvres d’art que nos artisans, à La Saline ou à la Croix-des-Bouquets, façonnent à partir des déchets ou des matériaux de récupération ». Tout compte fait, M. Lumarque invite les chercheurs à faire le choix de l’innovation frugale qui est en quelque sorte « le refus du mimétisme occidental où le superflu absorbe la plus grande partie des coûts ».
Il faut savoir, selon Jacky Lumarque, que « l’innovation, dans les pays du Nord, mobilise naturellement toute une batterie de ressources déjà disponibles : connaissances scientifiques, mécanismes incitatifs, cadre légal et normatif, compétences humaines, ressources technologiques, financements ». Haïti doit développer une autre approche avec d’autres moyens.
Wisly Bernard JeanBaptiste