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Haïti-Pouvoir : un projet de Constitution anticonstitutionnel ?

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Alors que l’opposition et une bonne partie de la population clament la fin de mandat du président Jovenel Moïse, ce dernier estime qu’il lui reste une année de plus. C’est ainsi qu’il choisit de publier le projet d’une nouvelle Constitution pour la République d’Haïti. Un changement qui est prévu par référendum pour avril prochain, pourtant interdit dans l’article 284-3 de la Constitution en vigueur.

Le président Jovenel Moïse, contesté par une grande partie de la population, estime que son mandat prendra fin en 2022. Fort de cette conviction, il planifie les élections. Et tandis que les protestations fusent et que la crise politique pointe à l’horizon, le président fait connaître son projet de Constitution. Tandis que les sensibilisations médiatiques commencent déjà, plusieurs citoyens se sentent interpelés par les nombreux articles de ce projet qui se présente comme une menace à la démocratie que prône la Constitution actuelle.

Régime présidentiel

Le projet constitutionnel divulgué par le président propose un régime présidentiel où le premier ministre est remplacé par un vice-président, tandis que le sénat est supprimé. Le président ne peut toujours pas aller au-delà de deux mandats, mais il peut les remplir successivement. C’est ainsi que président Jovenel pourra, sous le couvert de cette Constitution qu’il compte faire voter par référendum, se présenter aux prochaines élections s’il le désire.

Toutefois, ce qui inquiète Schnaïdine Nicolas, étudiante finissante en Droit et membre de ‘’Dwa pou m Konn Dwa m’’ (DKD), c’est surtout le risque de dictature et de dérives que provoquerait ce régime présidentiel du projet. « La Constitution de 1987 a été  adoptée au lendemain du départ de Jean-Claude Duvalier et visait à limiter les pouvoir du président afin d’éviter une nouvelle dictature. D’où l’immense pouvoir accordé au parlement », affirme-t-elle. Toujours selon l’étudiante, les pouvoirs sont censés être indépendants les uns des autres tous en se limitant les uns les autres. « C’est, comme l’a dit Montesquieu, le pouvoir qui arrête le pouvoir dans ce contexte », déclare-t-elle. Ainsi, le changement de régime enlèverait de ce barrage qu’a érigé la Constitution de 1987.

Immunité présidentielle

En plus d’un régime présidentiel, le projet de Constitution stipule en son article 139 que le président jouit de l’immunité durant son mandat. L’article stipule aussi que le président est à l’abri de toute action en justice pour des actes liés à ses fonctions, même après la fin de son mandat. Toutefois, pour des actes incompatibles avec ses fonctions, il peut être poursuivi mais dans un intervalle de deux mois après la fin de son mandat.

Alors que l’opposition ne cesse de rappeler le procès petro caribe qui doit être fait, alors que le nom du président n’est pas exempt d’accusations liées à ce dossier, cet article de la Constitution pourrait dévier les plans de ceux qui s’attendent à le voir rendre des comptes à la justice puisqu’il est blanchi a priori de tout ce qu’il pourrait accomplir d’illégal au cours de son mandat.

Anticonstitutionnel

L’article 284-3 de la Constitution en vigueur condamne pourtant ce projet. « La Constitution de 1987 en vigueur sur la base de laquelle M. Jovenel Moise a été élu et qu’il a juré de respecter et de faire appliquer, interdit cette histoire de référendum », lâche Schnaïdine Nicolas en pesant ses mots. L’article stipule en effet que toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite. Ainsi, planifier un changement de Constitution par voie de référendum contrevient gravement à cet article.

Schnaïdine ajoute que l’élaboration d’une nouvelle Constitution dans l’histoire du droit signifie que le pays est prêt à passer à une nouvelle République. C’était le cas lors du départ de Jean-Claude Duvalier lorsque le pays s’apprêtait à entrer dans la démocratie. « Nous avons changé d’époque aujourd’hui et, dans ce contexte où les différends opposent plusieurs secteurs politiques, un tel projet, quand bien même il ne serait pas inconstitutionnel, nécessiterait une ouverture à tous ces secteurs. Seul l’avenir déterminera si ce référendum anticonstitutionnel se tiendra malgré les contestations des parties qui s’opposent ».

Ketsia Sara Despeignes

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