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John Wesley Delva : « Journal d’un voyageur exilé »

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Cette année, dans « Journal d’un voyageur exilé », John Wesley Delva, une voix émergente de la poésie haïtienne d’expression française, nous propose de nouvelles stratégies d’appréhension du réel. Un réel insaisissable. Comment appréhender un réel insaisissable ? Le poète nous offre une véritable leçon de ce que peut être l’inconnu. Peut-être aussi le connu, car ce dernier est souvent mal connu. C’est donc une poésie qui nous initie au monde des exilé.e.s.

« L’exil est une île qu’on préfère
noyer dans nos gorges assoiffées
une mer que l’on traverse à ventre plat
pour étriper l’horizon au bout des doigts »

L’auteur met en scène des vers qui expriment les inquiétudes du chemin de l’exil. Tout voyageur exilé doit être courageux. Le courage permet d’espérer, de rêver, de garder les pieds sur terre. Affronter le quotidien de la vie est tout un apprentissage, nécessite réflexion et sang-froid.

« Chaque coin de rue
est une géographie anonyme
pour le voyageur exilé »

Le principe d’incertitude est l’un des fondements de la poésie de John Wesley Delva. L’incertitude est érigée en système de valeurs. Le poète-journaliste fait l’éloge de la certitude de l’incertitude. L’incertitude devient même un acte de foi au temps perdu de l’exil.

« La foi dans l’incertitude
vient de loin
là où l’horizon s’arrache les deux mains
un bon matin »

Au-delà de la représentation de l’exil, c’est la quête d’une vie qui est ici mise en évidence. Ce recueil est en ce sens un hymne au contresens. L’évocation d’une vie qui nous ensorcèle, envieusement. La vie a ses audaces que l’audace ignore. C’est quoi l’audace ? Elle se libère de toute fixation. Elle court très vite.

« Minuit
c’est un parapluie voyageur
qui s’ouvre entre des saisons pleureuses
et des nuits privées de destin
c’est un train à prendre vite
pour parcourir l’audace de la vie…»

L’audace de la vie est-elle tout simplement pratiquée ou calculée ? Pour John Wesley Delva, parcourir l’audace de la vie, c’est se préoccuper du regard de l’autre. Il est un poète de l’altérité. Sa poésie est un formidable laboratoire narratif de l’altérité. C’est à la fois un échange avec soi-même et avec l’autre, notamment avec sa fille. 

« Je dirai à ma fille Jahode
que j’aurais bu tout le fleuve à gorgée de sirène
sans que l’île ne disparaisse dans mes soifs »

L’autre fait partie de soi-même. La relation avec soi-même n’exclut pas l’autre. L’exploration de la figure de l’autre peut être également un prétexte pour dire que l’exil ne doit pas faire oublier l’expérience de l’amour. L’auteur roule sa bosse dans l’univers de l’amour et éprouve le besoin de le peindre.

« Je suis un chien qui oublie sa route
devant ta porte
Ô toi femme
morceau de lune en cavale »

Le poète exilé use aussi du thème de l’hiver. Ici, si quelqu’un ne connaît pas l’hiver, l’hiver le connaît. L’hiver caractérise le mode de vie à Montréal. John Wesley Delva évoque les émotions ressenties tout au long de l’hiver. Au creux de l’hiver, être fidèle au rythme est très difficile. C’est une longue saison impitoyable.

« Je suis d’une ville sans accent 
sans trémas 
sans point 
sans virgule 
une ville aux âmes incolores 
inodores 
qui roulent sur des pneus 
aplatis dans l’hérésie frileuse de l’hiver »

Ce recueil est également un chant de solitude. C’est un poème de la solitude qui nous fait réfléchir. La solitude fait-elle peur ? Comment résister à la solitude ? Que peut bien signifier « solitude » ? Qu’est-ce qu’on peut acquérir dans la solitude ? Le poème va jusqu’au fond de sa solitude.

« Le poème part en solitude
dans le cahier d’autrefois
des mots à déchiqueter avec dédain au sanctuaire du néant »

Le poème part en solitude quand le poète part pour mieux revenir. John Wesley Delva assume la liberté de partir. Il faut peut-être partir pour comprendre, pour mieux se comprendre, pour voir plus loin, pour déterrer d’autres aspects de soi-même, pour envisager le destin autrement, pour affronter l’inconnu. Il faut peut-être partir pour retrouver une nouvelle énergie physique ou morale, pour revenir plus vigoureux.

« Je pars pour mieux revenir
avec dans la main une braise de haine qui me malmène au ras de l’épiderme avec un morceau d’ombre chétif qui me porte un signal de honte et de peine à la rétine »

Tout compte fait, ce recueil véhicule beaucoup de nostalgie. Il ne faut pas avoir peur de la nostalgie. Le poète quitte son pays, mais Haïti ne le quitte jamais. La question du retour chez le voyageur exilé permet d’explorer la terre d’accueil dans sa complexité.

« Le pays que je porte dans mon cœur s’administre une balle à la tempe.Et meurt d’un triste sort… »

Ricarson DORCE
dorce87@yahoo.fr

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