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Kidnapping : après 15 jours de séquestration, Jhony François Spenser et Alain Sauval racontent leurs vécus

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De concert avec le journal Le Quotidien News (LQN), l’Université Quisqueya (UniQ)  a célébré, le  mercredi 15 décembre 2021, le retour en vie de leurs précieux collaborateurs libérés contre rançon après avoir été séquestrés pendant exactement 15 jours. Si ce moment a été chargé d’émotions, il a aussi été l’occasion de revenir sur des souvenirs que l’on préfèrerait oublier.

Dr Alain Sauval, directeur de la communication de l’UniQ et conseiller du Recteur , ainsi que Jhony François Spenser ont été relâchés le jeudi 9 décembre 2021 en fin d’après-midi, après être restés séquestrés pendant 15 jours. Pour le journal et l’Université, l’attente a été longue. La joie de revoir ces collaborateurs en vie après avoir craint le pire, a donné lieu à des retrouvailles joyeuses et des réjouissances. Toutefois, celles-ci  ne sauront effacer les séquelles psychologiques inévitables que laissera cet acte barbare en chacune des victimes.

Dans le discours qu’il a prononcé  le mercredi suivant devant un grand nombre de collègues, le Recteur Jacky Lumarque n’a pas caché sa joie de revoir Alain Sauval et Jhony François Spenser. Il en a profité pour  souligner avec force la nécessité qui s’impose  d’éradiquer ce phénomène et que tous s’unissent pour lutter contre lui. « Il n’est pas normal que des gens privent d’autres gens de leur liberté ». Il a rappelé que le kidnapping ne doit pas être considéré comme normal et inévitable. Le Recteur a appelé la communauté internationale et la diaspora à se joindre à la lutte.

Le PDG du journal LQN de son côté, Cluford Dubois, soulagé de retrouver ses collègues sains et saufs, a expliqué que la période n’a pas été facile pour lui, ni pour aucun membre de l’équipe du journal. « Spenser est le Co-fondateur du journal,  Alain Sauval est notre conseiller et correcteur. Aussi, cela a été un coup dur pour nous », a déclaré M. Dubois. Le PDG appelle l’État à prendre ses responsabilités et des dispositions contre cette situation qui ne peut plus durer. La population aussi doit réagir. « Il ne faut pas attendre qu’un proche soit enlevé pour se secouer. C’est un mouvement collectif qu’il faut », continue-t-il. Il estime que, sans cela, la peur poussera tous nos jeunes cerveaux en dehors du pays. « Ils partiront par crainte de se faire enlever et parce que l’insécurité est insoutenable. Ce n’est pas normal », déplore le PDG.

L’un après l’autre, Alain Sauval et Jhony François Spenser ont remercié tous ceux qui ont  apporté leur support à leur libération. Jhony François Spenser  a donné sa version du kidnapping. En effet, si le journal n’a appris son enlèvement qu’au cours de la journée du  26 novembre 2021, les faits se sont produits la veille, alors qu’Alain Sauval et lui rentraient chez eux.

L’enlèvement

Le jeudi 25 novembre 2021, le PDG adjoint termine le travail qu’il effectuait au bureau du journal qui se trouve à l’incubateur de l’Université. Il se rend au Rectorat, au bureau d’Alain Sauval et lui demande s’il peut bénéficier d’une roue libre pour rentrer chez lui.. En chemin, les deux hommes déplorent le kidnapping qui gagne en puissance et évoquent le cas du frère de Marc Guerson Philistin qui était, à ce moment-là encore, entre les mains des ravisseurs. Ils n’imaginaient pas qu’ils allaient être les prochains sur la liste des bandits.

« Arrivés dans les environs de Bois-Patate, nous avons été pris dans un embouteillage à l’entrée de la rue Dalencourt. C’est alors qu’une Nissan Patrol grise aux vitres teintées et  avec une plaque d’immatriculation privée nous a  coincés sur le côté droit et trois individus munis de mitraillettes nous ont ordonné de descendre de la voiture », explique M. François . Tandis qu’ils obtempéraient, l’un des bandits a grimpé dans la voiture, pour les suivre. La voiture et ses otages sont passés tranquillement devant le commissariat du Canapé Vert et ont foncé à toute allure vers le Champ de mars. Plus tard, tout près de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), le cortège rencontrera une patrouille de la Brigade d’Opération et d’Intervention Départementale (BOID) sans être inquiété.

« Nous avons été emmenés à l’ancien espace du Séminaire de Théologie Évangélique de Port-au-Prince (STEP) dans des hangars construits par des missionnaires qui ont finalement fui l’insécurité. L’espace est aujourd’hui utilisé comme lieu de séquestration », explique le jeune photographe journaliste. Il continue pour raconter avoir été enfermé dans une chambre plus ou moins moderne dont les placards contenaient des uniformes de la Police Nationale d’Haïti (PNH).

Après bien des négociations, les deux otages ont été libérés et rendus à leurs familles. Tout d’abord, ils ont été conduits à l’hôpital pour des suivis médicaux puisqu’ils n’étaient pas au top physiquement. Le Recteur Jacky Lumarque était sur place auprès de l’équipe médicale. Mal nourris pendant une quinzaine de jours, les deux otages sont sous traitement médical encore aujourd’hui. « Je souhaite que personne ne vive cette expérience », déclare le PDG adjoint de LQN.

En effet, bien qu’ils aient été « nourris » et qu’ils n’aient subi aucune violence physique, les anciens otages ont subi beaucoup de pressions psychologiques. Spenser déclare avoir été menacé de mort, tout comme son compagnon d’infortune, avoir été gardé dans une chambre pas très aérée et surpeuplée à mesure que les bandits kidnappaient d’autres personnes. La guerre des gangs n’a pas arrangé la situation : « J’ai passé 15 jours à entendre des bruits de balles à longueur de journée ».

Le PDG adjoint a été marqué par la jeunesse des membres du gang. « J’ai vu des jeunes de 16, 17 ans, lourdement armés. D’ailleurs, ils ont entre 18 et 35 ans, les membres du gangs », explique-t-il. Ils ont beaucoup de voitures de luxe et de portables, propriétés d’anciens otages qu’ils ont gardés pour eux.

Toute une organisation

En plus de ces observations, Dr Alain Sauval, 75 ans, a puisé dans les notes qu’il  a prises chaque jour, pour insister sur la torture psychologique et morale que  représentait cet enfermement.

« On voyait peu de choses  depuis notre petite chambre, elle mesurait 15 pieds sur 12. Mais j’ai vu cinq bâtiments presque tous neufs. J’ai vu une organisation très sophistiquée dans l’exécution des ordres, dans la dévolution des tâches. Chacun faisait ce qu’il avait à faire », décrit-il. Le responsable de la communication de l’Université Quisqueya affirme que  l’activité de kidnapping est une véritable industrie, très bien rôdée dans l’ensemble et protégée. « Si elle n’était pas protégée, il y a longtemps qu’elle aurait pu être éventuellement détruite », avance-t-il, expliquant son point de vue.

Il pointe du doigt un autre fait inquiétant : « Si l’on admet qu’il existe à peu près 60 à 80 gangs dans l’aire métropolitaine et si l’on estime le nombre des différents personnels employés par ces gangs à 50 ou 60 par unité, cela fait du monde, ça fait beaucoup de monde ». Pour lui, le motif est uniquement l’argent, tout en indexant l’ignorance et l’état d’abandon des jeunes des bidonvilles comme l’une des causes principales de cette situation.

Malgré ce triste tableau, c’est avec plaisir que le journal a retrouvé les siens, un sentiment partagé par l’Université Quisqueya. Il faudra du temps et une assistance psychologique pour se remettre d’une telle épreuve, mais dans le cas présent, nos amis sont libres, vivants et avec leurs familles.

Ketsia Sara Despeignes

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