La Constitution de 1987, entre ses faiblesses et sa non-application
4 min readLe 29 mars 2022 a marqué le 35e anniversaire de la Constitution haïtienne de 1987. En effet, cela fait 35 ans que le peuple haïtien a coupé les ponts définitivement avec la dictature des Duvalier. Entre sa violation répétée par les gouvernants et certains commentaires indiquant qu’elle une source d’instabilité pour le pays, le Docteur en Droit Public et chercheur Alain Guillaume expose au journal son point de vue au regard des prescriptions de ce texte.
Le 30 mars 2022, le journal Le Quotidien News s’est entretenu avec Me Alain Guillaume dans le cadre de l’anniversaire de la Constitution haïtienne, vieille de 35 ans. En effet, celui qui est avocat au Barreau de Port-au-Prince, Docteur en Droit Public, Chercheur et Professeur depuis 2001 dans plusieurs institutions universitaires haïtiennes, a fait le point sur l’importance de la Constitution de 1987 dans l’ordre social haïtien, et la garantie des libertés fondamentales.
Selon Me Guillaume, la Constitution de 1987 est légitime, démocratique, libérale ; elle a été élaborée et ratifiée par le peuple. C’est une Constitution, dit-il, très démocratique qui garantit la participation populaire dans les décisions de la République car elle met des balises contre la corruption et installe des structures pour la décentralisation.
C’est la Constitution qui a duré le plus longtemps depuis sa promulgation. Pourquoi ? Toujours selon le professeur, la Constitution a toujours été l’étendard des protestations populaires. À telle enseigne que les dirigeants n’ont pas osé toucher à cette Constitution, parce qu’elle symbolise la démocratie.
Faudrait-il changer la Constitution ?
Selon le Docteur en Droit Public, toute Constitution est une œuvre humaine et comme toute œuvre humaine, elle a ses limites. Mais, pour la Constitution de 1987, Me Guillaume affirme que l’on ne peut pas connaître ses faiblesses si on n’a jamais tenu à l’appliquer. En effet, le professeur pense que les dirigeants ne font que contourner les lois. La Constitution, dit-il, a des limites certes mais elles ne se révèleront que si les dirigeants s’engagent déjà à la respecter.
À en croire le chercheur, le projet de Constitution actuel initié par feu Jovenel Moïse propose une séparation des pouvoirs qui affaiblit le pouvoir du Parlement au bénéfice de l’Exécutif. Or, c’est justement ce que la Constitution de 1987 n’autorise pas, ce sont ses fondements même. Ce projet de nouvelle Constitution, ajoute-t-il, va à l’encontre de la décentralisation et d’autres dispositions importantes de celle de 1987.
Me Guillaume croit fermement qu’il faudrait retourner à l’ancienne version non amendée de la Constitution, parce que la nouvelle n’a pas suivi les directives de l’article 282 : « Le Pouvoir Législatif, sur la proposition de l’une des deux (2) Chambres ou du Pouvoir Exécutif a le droit de déclarer qu’il y a lieu d’amender la Constitution, avec motifs à l’appui». Selon lui, cette Constitution n’a pas d’ambiguïté en ce qui concerne le mandat du Président. Il souligne que, dans le texte actuel, la version créole n’a pas été amendée. Pourtant la dualité linguistique est écrite clairement dans la Constitution de 1987 en son article 5 : « Le créole et le français sont les langues officielles de la République ». Cette article est même renforcé par l’article 40qui stipule : « Obligation est faite à l’État de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale ».
À en croire le professeur, il faudrait amender l’ancienne version de la Constitution de 1987 en suivant les prescriptions de l’article 282. Cependant, Me Guillaume n’écarte pas une autre possibilité. Vu que le pays se trouve dans une situation extraordinaire, et que l’on est en dehors de toute conformité constitutionnelle, précise-t-il, une autre Constitution peut être introduite. Mais en raison de l’insécurité grandissante, il est d’avis que la population n’est pas vraiment intéressée à participer à la vie politique du pays.
Les valeurs démocratiques ne sont jamais acquises, chaque peuple doit se remettre en question pour les conserver. En Haïti, elles sont fragiles, presque inexistantes. L’adhésion du peuple haïtien est primordiale, estime-t-il.
Danie Charlestan