Le Rara : quel manque à gagner pour Léogâne…
4 min readChaque année, durant la période pascale, Léogâne organise sa traditionnelle fête des raras. En effet, depuis déjà plusieurs week-ends, une ambiance folle s’installe dans la cité d’Anacaona, afin de satisfaire une population en quête de banbòch. Ce, malgré le contexte d’insécurité généralisée qui paralyse certaines parties du pays, notamment la région métropolitaine de Port-Au-Prince. Du côté des différentes bandes de rara, les dirigeants s’activent pour trouver de quoi financer les multiples dépenses liées à leur participation à cette grande festivité. Dans le contexte actuel de marasme socio-économique du pays, il faut donc s’interroger sur les impacts économiques de cette manifestation culturelle pour la commune de Léogâne ?
Si le rara demeure l’une des activités les plus populaires de la région des Palmes, les retombées économiques de cette manifestation culturelle pour cette région peinent encore à se faire sentir. Et pourtant, chaque année, les bandes sont prêtes à dépenser de fortes sommes d’argent pour offrir ce moment de plaisir à leurs milliers de fans. « Faire fonctionner une bande de rara, ça coûte beaucoup d’argent », précise Sony Louis responsable de communication de « La Fleur de Rose ». « Les dépenses annuelles pour une saison peuvent aller jusqu’à 4 millions de gourdes. Ces dépenses couvrent l’organisation de la Kav (fête où la bande reçoit les bandes amies et autres invités) et surtout le salaire des musiciens. Ceux qui jouent les instruments à cuivre, sont ceux qui coûtent le plus cher », ajoute-t-il.
La situation de « La Fleur de Rose » n’est pas un cas unique. Le budget des bandes dites ténors telles que Ti Malis Kache, Mande Granmoun, Modèle d’Haïti Premier et bien d’autres encore peuvent dépasser plusieurs centaines de milliers de dollars. L’apport de la diaspora est sans aucun doute très significatif durant cette période. Si La Fleur de Rose dispose d’un fan club avec des membres en Haïti et à l’étranger leur permettant de collecter de l’argent au profit de la bande aux couleurs « vert et rose », d’autres comme Mande Granmoun, peuvent compter sur la contribution de plusieurs comités de soutien aux USA et aux Antilles. Faut-il aussi noter que le Ministère de la Culture offre chaque année, une enveloppe pouvant aller jusqu’à 7 millions de gourdes pour l’organisation du défilé du dimanche de Pâques.
Le rara devient chaque année une manifestation culturelle de plus en plus coûteuse. Cependant, aucune mesure n’est prise par les acteurs culturels, institutionnels et les autorités publiques pour rentabiliser cet évènement qui fédère toute la communauté léogânaise. L’attraction touristique de cette festivité permet-elle de remplir quelques chambres d’hôtels ? Quelles sont les produits dérivés de la spécialité de la région notamment le canne à sucre, mis en valeur durant cette période ? Mis à part les quelques petits détaillants de produits alcoolisés, de marchands de boissons, de fritay et autres qui profitent de cette période pour gagner leur vie, qu’est-ce qui reste à Léogâne après une saison de rara ? Pas grand-chose, sinon plusieurs millions de gourdes partis en fumée sans que l’économie locale ne puisse vraiment en profiter, dirait-on.
Il faut aussi souligner que la majorité des musiciens qui jouent dans les bandes à Léogâne sont issus d’autres régions géographiques du pays. Interrogé à ce sujet, l’anthropo-sociologue Wilmont Jean déplore que Léogâne ne dispose d’aucune école de musique pouvant former de nouvelles générations de musiciens qui pourraient mettre leur savoir-faire au profit du rara. « Un musicien gagne parfois plus de 40 mille dollars pour une saison tandis que la majeure partie de cet argent ne reste pas à Léogâne », déplore le spécialiste des questions d’interculturalité et de patrimoine à l’Université de Guyane.
Marie Antoine Alliance, économiste du développement estime que le rara peut être une opportunité de mettre en valeur d’autres potentialités de la commune. « Les investisseurs léoganais gagneraient à développer, autour du rara, des activités et des produits dérivés adaptés à la demande. Il s’agit de construire un véritable circuit d’investissement et de consommation autour de cette tradition culturelle », soutient-elle. De plus, « Il faut renforcer les capacités des acteurs économiques locaux, si on veut tirer profit de ce potentiel. Le monde est en train de changer, les dirigeants de bandes devraient d’ores et déjà, réfléchir sur la manière de s’adapter au nouvel ordre mondial et amorcer les transformations qui s’imposent pour financer le rara », poursuit-elle.
Au moment de la rédaction de ce papier, certaines voix de la société civile léogânaise se sont élevées en faveur d’une annulation de la suite des festivités. Ce, en raison des derniers incidents qui ont accompagné l’attaque du plus grand centre pénitentiaire du pays par des groupes armés. « Il y a des risques d’infiltration de certains malfrats mis en liberté au cours de cet évènement malheureux », affirment-ils. Espérons que les autorités publiques et les acteurs culturels pourront entendre raison.
Max Grégory Saint Fleur