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Le singulier destin de Jovenel Moïse

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Par Max Dorismond

Ce qui est arrivé à cette famille, je ne le souhaite pas à mes pires ennemis. C’est très dur, c’est très humiliant et pour le peuple et pour l’image d’Haïti.

Quand le hasard du destin avait introduit Jovenel, malgré lui, dans la jungle des Alibabas de la capitale haïtienne, j’avais rédigé un texte subliminal et prémonitoire, en 2017, « De Zéro à Héros… Le dilemme d’un Président ». J’avais interpellé le côté humain du nouveau chef d’État, pour l’inviter à comprendre le jeu des coquins qui lui avaient confié le pouvoir, avec une arrière-pensée bien arrêtée. Il s’est retrouvé coincé dans les couloirs de la corruption. Dans mon livre, « Des mots pour conjurer nos maux », vous verrez ce texte à la page 218. J’avais exposé le scénario du film, avec deux conclusions possibles : soit qu’il finisse en ZÉRO ou qu’il meure en HÉROS. Il a opté pour le second. Que le ciel ait pitié de son âme et que son nom soit honoré aux frontispices de l’Histoire.

Arrivé au timon des affaires, le jeune président se croyait dans une cour de récréation où jouaient des enfants de chœur. Oh non! Son constat fut effarant. Le lac immense de la dilapidation était infesté de crocodiles affamés qui gobent tout sur leur passage. Sa première pensée fut pour ses parents et la masse silencieuse du peuple exploité sans vergogne, comme de véritables esclaves s’échinant pour remplir les coffres des prédateurs. Il s’est alors mis en tête de réparer le sacrilège du temps en nettoyant Haïti, de la cave au grenier.

Faisant acte de désobéissance, et pour désarçonner ses commanditaires, il monta au créneau en dénonçant les cinq plaies d’Égypte, soit la corruption, la corruption… Il reçut des avertissements. Certains des oligarques prirent le large, le tapis se rapetissant sous leurs pas. Et les réactions ne se firent point attendre. Les sabotages se multiplièrent sur les chantiers. Les médias complices l’attaquèrent de tous bords. La camarilla de l’opposition fit flèche de tout bois pour le décourager. Les invitations à la prudence ne cessèrent de pleuvoir. Jovenel, tête droite, fonça dans le tas. Il voulait en finir avec ce marché de dupes.

Néophyte dans cette guerre d’usure, il a commis l’erreur de simplement menacer les renards au lieu de les coincer, en exprimant ses émotions sans faire l’économie de ses avertissements. Ainsi, a-t-il signé son arrêt de mort !

Étant riches à millions, ses adversaires, tel que décrit dans le texte témoin, étaient en mesure d’acheter le pays en son entier pour lui fermer le caquet. En réalité, c’est ce qui arriva. Des exécutants se présentèrent chez Jojo avec leur clé, sans invitation, ouvrirent la porte, pénétrèrent dans la demeure comme dans un moulin, et placèrent 12 balles dans le corps du 1er citoyen de la cité. Le job signé, terminé, ils rentrèrent au bercail pour boire une bonne tasse de café chaud.

Le message des signataires s’adresse aux futurs présidents d’Haïti

Sans ambages, ce meurtre, signé du sceau de la mafia, laisse une note claire et indiscutable aux éventuels candidats au fauteuil présidentiel et aux postes de ministres, à savoir que lorsque vous êtes choisis par les maîtres du sérail, vous n’aurez droit à aucune fanfaronnade. Keep it quiet ! Tu t’exécutes ou tu crèves ! Tel sera le contrat du futur. Sinon, comme Jovenel, vous passerez au « Blender1 ».

Et voilà, la table est mise. Pensez-vous que la clientèle sera au rendez-vous de demain ? Suivez mon regard, chers lecteurs. Entre le pouvoir et l’avoir, en Haïti, il n’y a qu’un trait d’union à titre de chemin. Cette piste est et sera toujours encombrée de prospects, de p’tits vicieux qui se voient déjà au nirvana, qui rêvent de la grande vie. Ils seront tous prosternés, les fesses à l’air, au pied des marionnettistes pour être les heureux élus. La mafia locale le sait bien. L’International qui tire toutes les ficelles à son avantage ne l’ignore pas, non plus.

D’ailleurs, ces faiseurs de rois ont pour habitude de choisir les cabochons les plus bêtes, les plus cancres, les plus dévergondés pour conduire la nation. Et l’élite en général les accepte sans broncher. Cependant, en 2016, pour perpétuer l’impunité, ils ont erré en embauchant, à titre de gardien, Jovenel Moïse, un p’tit gars du Nord qui serait trop heureux, dans leur optique, de franchir le mur de verre. Mais, ils se sont fourré le doigt dans l’œil. Ce fut un colis surprenant. Par conséquent, il leur a fallu tracer un exemple mortifère, une fois pour toutes, pour éviter ce type de dérive. Car, quand on jouit de certains privilèges, on doit être prêt à tuer pour les conserver, sinon, la fin est proche. C’est leur loi.

À partir de cet échec, ils ont juré de remplir le vide avec un nouveau poulain en vertu de l’habituelle tradition. C’est une formule connue, au point que Erno Renoncourt, un journaliste vedette du blog Médiapart (France) eut à écrire : «Haïti a atteint un tel niveau d’insignifiance, par le déracinement culturel et la déshumanisation des élites qui s’y sont constituées, que la communauté internationale peut, délibérément à sa guise, mettre un chien à la tête de ce pays, qu’il n’y aura aucune indignation collective. Et même qu’il y aura des universitaires, des hommes d’affaires, des journalistes, des professionnels, des ONG pour continuer de vaquer à leur aubaine et à leur petite réussite en se mettant à disposition du nouveau pouvoir pour se rendre utile». (Mediapart).(09-07-21).

Le monde entier a déjà lu notre romance. Rien de chez nous ne lui est étranger.

Max Dorismond

Note – 1 : Blender : un extracteur à jus. Métaphore définissant la désarticulation du corps du président : crâne écrabouillé, membres brisés, cou éclaté, l’œil perforé, éclats d’os éparpillés, etc…

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