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L’élection des femmes en Haïti, une quête à inscrire sur l’agenda de la lutte pour la démocratie

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La représentativité des femmes dans les espaces de décision politique peine encore à atteindre une dimension à la hauteur des luttes féminines et féministes dans le pays. Malgré l’inscription dans la version amendée de la Constitution de 1987 du quota des 30% de femmes à tous les niveaux de la vie nationale, la représentation peine à être effective et Haïti est l’un des derniers pays en la matière.

Si le pays est peuplé à 52% de femmes, leur représentativité dans l’espace politique haïtienne n’est nullement proportionnelle. En effet, lors de la dernière législature, il y en avait seulement trois femmes sur 118 députés et une seule femme élue parmi les 30 sénateurs. De même, dans l’histoire du pays, aucune femme n’a été élue Présidente, sinon la Juge Ertha Pascal-Trouillot qui a assumé la fonction par intérim entre le 13 mars 1990 et le 7 février 1991. « En Haïti, les femmes constituent une force numérique, 52% de la population. Elles contribuent à la survie des familles, au bien-être des communautés, à la sécurité alimentaire et au développement du pays. Pourtant le domaine de la gouvernance est caractérisé par une faible participation de ces dernières aux instances de prise de décision et à tous les niveaux », a précisé un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) publié en septembre 2020.

Les femmes et le quota des 30%

En matière de participation politique, à presque tous les niveaux, le retard se fait ressentir. Au niveau de la 50e législature issue des élections partielles du 20 novembre 2016, il n’y avait eu que quatre femmes élues à l’Assemblée nationale contre 148 hommes. Les dispositifs légaux requérant la mixité lors de la formation des cartels pour les élections locales, c’est-à-dire pour les mairies, les CASEC, et ASEC, font que le problème parait moins criant à ce niveau. Toutefois, seulement 12 femmes ont été élues mairesses principales lors des dernières élections. 131 mairesses « accesseures » ont eu un siège sur un total de 420 membres des conseils municipaux.

« Il faut cesser l’hypocrisie, dans l’interprétation des décisions constitutionnelles. À l’occasion de ce 8 mars 2020, je tiens à cet engagement que, dans le prochain décret électoral, dans 35 circonscriptions du pays, seulement des femmes seront habilitées à se porter candidates », annonçait bruyamment l’ex-Président Jovenel Moïse. Cependant, la définition de quotas pour renforcer la participation politique des femmes n’est pas une  solution qui garantit toujours de bonnes solutions. Pour « l’Institut International pour la Démocratie et l’Assistance Electorale (IDEA) », à côté de l’instauration d’un quota, il faut préciser les détails concernant son application afin d’éviter que la règle ne devienne purement symbolique.

« Dans tous les systèmes électoraux (et avec des quotas de candidats légiférés et volontaires), les dispositions relatives aux quotas devraient inclure des règles sur l’ordre de classement selon le sexe. Placement vertical équitable des candidats féminins et masculins sur la liste électorale (systèmes de RP avec listes de partis fermées) et/ou une répartition horizontale des deux sexes à des sièges gagnables est essentiel pour que les femmes aient une réelle chance d’être élues. Des règles de classement sont adoptées pour éviter que les règles de quota (par exemple une règle générale de 30 ou 50 % de candidates) ne deviennent purement symboliques, seules quelques femmes étant élues parce que les partis politiques ont placé la plupart des candidates en bas des listes ou dans des circonscriptions ingagnables. De nombreux systèmes de quotas combinent aujourd’hui des règles concernant le nombre total de femmes et d’hommes sur les listes de candidats avec des règles spécifiques concernant la répartition par sexe des meilleurs candidats […] », a précisé l’IDEA.

Il n’y a pas que pour les postes électifs que le quota des 30% de femmes n’est pas observé. Ainsi, selon les résultats d’un recensement des agents de la Fonction Publique effectué par l’Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH) en 2018, seulement 28,6 % de ces agents sont des femmes, contre 71,4 % d’hommes. En ce qui concerne les postes de direction au niveau de la Fonction Publique, seulement 35 % sont occupés par des femmes.

Entre traditions et stéréotypes

Pour Ginette Cherubin, architecte, professeur d’université, écrivaine, ex-ministre et ancienne conseillère électorale, les efforts ne sont pas constants d’un gouvernement à l’autre en vue d’accroître la présence féminine dans la vie politique du pays. Dans sa contribution publiée en 2015 dans « Les Cahiers de la Chaire Louis-Joseph-Janvier sur le Constitutionnalisme en Haïti » (Vol I, N° 2) sous le titre « Les élections en Haïti : Acteurs, institutions, pouvoirs », l’ex-membre du CEP a précisé que beaucoup de difficultés empêchent les femmes de se garantir une bonne représentation dans la gouvernance du pays. « Les traditions, les stéréotypes, la famille, les difficultés économiques, les pesanteurs représentent des blocages à la participation des femmes, notamment comme candidates. La gouvernance féminine n’aurait pas encore gagné sa légitimité dans notre société. Aussi, le vote en faveur des femmes est une conquête à inscrire dans l’agenda de la lutte pour la démocratie », a-t-elle écrit. « En dehors du fait que la présence féminine soit très faible au sein du personnel de l’institution électorale et quasi insignifiante au niveau décisionnel, le CEP n’a pas intégré l’approche genre dans sa politique », précise-t-elle.

Pour l’ex-ministre à la Condition féminine et aux Droits de la Femme, les efforts en vue garantir la représentation féminine dans les sphères politiques n’est pas une priorité pour tous les dirigeants. « Les efforts, souligne-t-elle, en ce sens ne sont que ponctuels et ne se manifestent qu’au coup par coup, en fonction des sensibilités des dirigeants, plus précisément des dirigeantes, si d’aventure il en existe ». De même, depuis les dernières élections, peu d’efforts ont été faits par les différents gouvernements afin de s’assurer d’une plus grande participation féminine ; peu d’efforts ont été déployés pour le simple renouvellement du personnel politique.

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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