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Les élections en Haïti et la constitution haïtienne de 1987 amendée

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À bien des égards, la loi-mère de la nation ratifiée par référendum le 29 mars 1987 dans le contexte d’une ruée vers la démocratie typiquement haïtienne, révèle après 35 ans de service, beaucoup de faiblesses. Les règles du processus électoral édictées par celle-ci peinent à être conciliées avec la réalité. En proie à une crise permanente au sein d’un système dit « démocratique », les élections en Haïti sont souvent perçues comme problématiques. Mathias Laurens Devert, politologue haïtien expatrié en France, étudiant en Master à l’Université de Grenoble et activiste politique depuis 2018, livre au Journal ses analyses.

Le Quotidien News (LQN) : Comment décririez-vous la problématique des élections en Haïti sous l’égide de la Constitution de 1987 ?

Mathias Laurens Devert (M. L. D): D’entrée de jeu, je dirais que les élections, processus légal pour légitimer le pouvoir dans un système démocratique, sont mal perçues par les acteurs politiques en présence. Déjà dans l’histoire politique d’Haïti, depuis sa fondation comme État et jusqu’à aujourd’hui, les acteurs politiques ont toujours eu cette tentation de se maintenir au pouvoir par la force, bafouant ainsi les Constitutions en vigueur. Pour sa part, celle de 1987 a eu pour ambition de permettre au pays de transiter d’une gouvernance autoritaire à une gouvernance démocratique en faisant des élections le seul moyen pour accéder au pouvoir.

Toutefois, il faut l’admettre que les élections peinent à être organisées dans des conditions conformes. Absence d’institutions, en l’occurrence le Conseil Électoral Permanent prévu par l’article 191 de la Constitution, les dirigeants au pouvoir ne respectant pas l’échéance ou le calendrier électoral, mainmise du parti au pouvoir sur la machine électorale, violence dans les bureaux de vote, bref, c’est tout le système électoral qui est très peu fiable. Ainsi, la réalité du terrain ne correspond en aucune manière à ce qui est prévu par la Constitution de 1987.

LQN : L’actuelle Constitution haïtienne dispose d’une remarquable longévité par rapport aux précédentes, cependant les élections qui sont censées être le fondement du système démocratique qu’elle a inauguré, demeurent difficilement réalisables. Pourquoi cette difficulté d’après-vous ?

M. L. D : Dans le contexte actuel, les élections en Haïti ne peuvent malheureusement pas être organisées tant qu’il n’y a pas de consensus entre les acteurs. Ce qu’il faut savoir, c’est que la Constitution devient un instrument de gouvernance uniquement lorsqu’elle est respectée par les décideurs politiques. Pratiquement, ce n’est pas la Constitution qui va organiser les élections, elle ne fait que dicter les règles du jeu démocratique. Dans la mesure où les dispositions n’ont pas été prises au plus haut niveau de l’État à cet effet, rien ne peut avancer. L’actuel gouvernement doit donc montrer clairement sa volonté de lutter contre le phénomène de l’insécurité, un accord politique doit être conclu entre les protagonistes qui se disputent le pouvoir. Il faut aussi ajouter que la communauté internationale doit se positionner en faveur des élections car, malheureusement et il faut bien l’avouer, les gouvernements post-87 en Haïti n’ont jamais détenu le monopole de l’organisation des élections. Toutefois, le problème des élections dans le cas d’Haïti ne peut être abordé de manière conjoncturelle, car même avec de nouvelles élections, on aura les mêmes problèmes si l’on ne tient pas compte des facteurs structurels de l’effondrement de notre système politique.

LQN : Se pourrait-il que la Constitution comporte comme certains politiques le disent souvent, des contradictions, ou du moins des erreurs politiques ?

Il s’agit là d’un débat politique. En dépit de sa longue expérimentation, la Constitution de 1987 continue d’avoir ses détracteurs et ses partisans. Et le débat est encore d’actualité entre les récents travaux d’amendements de l’ancienne commission parlementaire d’une part et les tentatives de modification de la constitution par referendum d’autre part. Donc personnellement, je choisis de ne pas répondre à cette question par probité intellectuelle et surtout pour ne pas créer de polémique, car le sujet est encore sensible.

LQN : Si de 1987 à nos jours il n’y a encore ni loi électorale fixe ni institution électorale permanente pour assurer la continuité du processus, est-ce quelque part la faute à la Constitution de 1987 ?

M. L. D : Encore une fois on ne peut pas accuser la Constitution de 1987 d’être responsable de nos malheurs. En effet, elle n’est qu’un document juridico-politique qui définit le fonctionnement du système politique. C’est-à-dire que si les acteurs politiques -j’insiste là-dessus- ne décident pas d’appliquer les règles, elles ne peuvent en aucune manière être efficaces. La mise en place d’institutions essentielles pour le bon fonctionnement de la démocratie a été prévue par la Constitution mais des hommes politiques ont choisi de ne pas les mettre en place, dans l’objectif mesquin et anti-démocratique de créer des vides institutionnels pour asseoir l’arbitraire au plus haut niveau de l’État.

LQN : Selon vous, le grand nombre de  partis et groupements et l’absence de tendances politiques clairement identifiées (gauche-droite) de ces derniers, est-ce la conséquence d’un manque d’éducation civique et politique de la population haïtienne ?

M. L. D : Je ne pense pas qu’il n’y a pas vraiment de partis politiques en Haïti à part de rares exceptions, si l’on considère ce que c’est qu’un parti. Ce dernier devrait normalement être porteur d’idéologie, ce qui n’est le cas pour aucun de nos regroupements politiques. Ceux qui se sont aventurés à observer leur fonctionnement vous diront que la plupart de nos partis politiques fonctionnent comme des entreprises privées où un individu ou une famille détiennent  le monopole décisionnel. En ce qui a trait au nombre de ces structures à l’affiche lors des élections, c’est lié à la façon dont les acteurs perçoivent les élections en Haïti. Pour certains, avoir un parti politique enregistré qui participe aux élections est source de profit car ils pourront bénéficier de financements publics et même privés lors des joutes électorales. Certains dirigeants politiques –je ne donnerai pas de détails- n’hésitent pas à vendre leurs bannières à des citoyens voulant se porter candidats. Il revient à l’État de mettre en œuvre des politiques de structuration des partis politiques en Haïti afin d’éviter que des petits groupes d’entrepreneurs politiques ne mettent sur pied des structures disposant de membres fictifs sans reconnaissance auprès de la population. À noter que c’est également dans l’intérêt du budget public qui verra ses dépenses liées au financement du processus électoral baisser considérablement avec la réduction du nombre de bannières.

Propos recueillis par :

Daniel Toussaint

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