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Les « Madan Sara » ou le symbole des sacrifices!

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En Haïti, l’équité du genre en matière de prise en charge des enfants dans une famille n’est plus un débat. Rien que pour l’amour et la survie de leurs enfants,  des femmes se tuent à la tâche au même niveau que les hommes et plus encore lorsqu’elles sont seules. Les « Madan Sara » sont en tête de liste. Le journal Le Quotidien en a rencontré deux et leur histoire est l’une des plus rudes.

Il est cinq heures du matin. La lune brille encore au milieu de quelques étoiles qui scintillent à peine. Une camionnette remplie de marchandises encore fraîches arrivent au marché Tête de l’Eau. Elles sont entassées contre de lourds sacs. Poireaux, oignons, carottes, pommes de terre, poivrons, etc. Sont des spécialités de Fort-Jacques d’où elles descendent. À part le chauffeur et le jeune homme qui fait les comptes de l’argent de la course, il n’y a que des femmes dans le véhicule qui craque sous leur poids. Nous avons rendez-vous avec Tati, une femme au caractère fort qui ne jure que par Dieu, étant protestante de foi. Elle nous rejoint en arborant un large sourire.

« Depuis plus de vingt-sept ans que je fais ce trajet, j’ai jamais été si pressée d’arriver. Je vends des denrées qui proviennent des terres  dont j’ai hérité de mes parents et la vente n’a jamais été aussi catastrophique que ces deux dernières années », dit-elle pour commencer.

Tati est originaire de Fort-Jacques. Elle est mariée et mère de six enfants. Elle vend depuis son plus jeune âge avec ses parents. Elle livre ses denrées à Tête de l’Eau et à la Croix-des-Bouquets. À la mort de ses parents, elle a hérité de leurs terres et elle a agrandi son commerce.

« J’ai eu des ennemis et j’ai fait de nombreux accidents à cause d’eux. Je descends ici trois fois par semaine. Je dors et je mange mal. Parfois ma marchandise ainsi que mon argent sont emportés par des voleurs. Je ne peux pas aller à la Croix-des-Bouquets alors que le vente y est meilleure », se plaint Tati.

À  l’inverse de Tati, Marise n’a pas de terre. Elle achète des vives alimentaires à Cabaret et les vend dans d’autres marchés de la capitale. Elle était ménagère mais a changé de métier après que son mari ait trouvé une autre femme.

« Le vieux voulait rajeunir. J’étais trop pauvre pour lui alors que maintenant je suis trop riche pour lui. Se lever à quatre heures du matin pour se procurer de quoi nourrir deux bouches affamées et payer un directeur d’école avare, ce n’est pas donné à tout le monde, il faut de l’endurance », se vante Marise.

Tous les matins, elle se rend à Cabaret pour acheter et revendre, puis rentrer chez elle avant midi. Elle n’a pas de compte en banque. Elle investit dans l’éducation de ses enfants parce qu’elle espère un jour pouvoir se réjouir de leur réussite. « Élever seule deux enfants sans père est le travail le plus dur pour une femme. Elle reçoit les critiques de la société, les leçons de moralité des gens dits parfaits et les coups bas de la vie ».

Alors que Tati se fait harceler pour les terres de ses parents. Tati doit faire face à la sorcellerie de  « famille »,  aux bandits qui confisquent ses marchandises, aux cyclones qui ravagent la récolte et aux crises qui empêchent parfois la vente, sans parler du problème des produits qui périssent, Marise rencontre presque les mêmes problèmes en plus des personnes qu’elle doit payer pour avoir libre accès à Cabaret. Elle n’est pas de la zone et parfois des batailles éclatent en plein milieu d’une négociation et elle doit se protéger. « Je dois avoir trois lots d’argent que je mets en lieu sûr sur moi. Un pour la route, un autre pour les produits et le dernier pour payer les maîtres du marché. Sinon, je peux acheter et ne pas pouvoir entrer à la capitale avec ma marchandise ».

Tati de son coté paie un seul frais dont le chauffeur retire une part pour les chefs de la route, devenue plus menaçante qu’autrefois. Les risques de prendre la route tous les jours augmentent à chaque saison. « La route est plus fragile lorsque l’on vient avec une marchandise. On peut perdre un sac de radis pour avoir été trop radin envers les chefs de la route. Ils sont toujours là, et maintenant, ils ont des armes à la place de leur machette », explique-t-elle.

Les Madan-Sara n’échappent pas, elles aussi, aux crises naturelles et sociales. En 2019, un cyclone avait ravagé le marché de Tête de l’Eau,  les flots avaient emporté toutes les marchandises des dépôts ainsi que des marchandes. Tati peine à expliquer les désastres dont elle a été victime. « Je dormais dans un dépôt et l’eau descendait avec une force telle que j’ai eu envie de jeter un coup d’œil. Il faisait noir et je distinguais à peine les formes dans l’eau. Ce n’est que le lendemain que j’ai constaté les ravages. J’avais tout perdu, Adèle une commère est morte emportée, elle avait toute la vie devant elle ».

Marise a été elle-même victime d’un coup monté. Son commerce prenait de l’ampleur et cela provoqua la jalousie de ses voisins qui manigancèrent un coup contre elle. Alors qu’elle se rendait à Cabaret à quatre heures du matin, elle a été cernée par deux hommes armés qui lui ont ordonné de donner  son argent. « La mère de l’un deux connaissait tous mes faits et gestes. Elle faisait partie du complot. Son fils a prit l’argent et m’a assommée avec la crosse de son arme. Ils m’ont laissée par terre et se sont enfuis avec la moto du chauffeur qui m’accompagnait. À ce jour, je ne peux supporter ma tête, la douleur se fait sentir même après quatre ans ».

Les efforts des « Madan Sara » ne sont pas souvent appréciés. On utilise leurs noms pour identifier les filles bavardes, les personnes en manque d’éducation et celles sur lesquelles les injures coulent à flots. Leurs enfants parfois ne les présentent pas à leurs amis et ont parfois honte d’elles. Toutefois, ce n’est pas le cas pour Tati et Marise qui disent être très présentes dans la vie sociale de leurs enfants. « Même ceux qui se trouvent au pays, dit Tati. D’ailleurs, je vais les envoyer tous à l’étranger. Ce pays n’est pas un endroit pour élever des enfants, ce sont eux qui doivent m’enterrer, pas le contraire », affirme-t-elle.

À ce jour, Marise a repris ses activités de femme de ménage, incapable de supporter le poids des paniers sur sa tête à cause de la douleur. Tati, pour sa part,  vend encore des denrées à Tête de l’Eau car  la Croix-des-Bouquets est difficile d’accès. Elles ont des amies Madan-Sara puisque c’est leur cercle de vie, elles se sentent comme  des reines car elles savent comment multiplier leurs économies. Pour la fête des mères ainsi que pour la vie, elles espèrent recevoir le fruit de leurs efforts réunis en un cadeau de leur progéniture,  la reconnaissance de leurs efforts.

Geneviève Fleury

Genevievef359@gmail.com

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