« Les milliards envolés » : la rançon pour l’indépendance haïtienne est tout simplement un vol à main armée
5 min readLa rançon. La dette de l’indépendance. Deux termes qui ont fait couler beaucoup d’encre depuis le début d’une série de publications du New York Times qui incitent à se poser la question et à imaginer une autre histoire pour le pays : Et si Haïti avait conservé ces sommes ? Pour l’écrivain James Francisque qui est journaliste avec formation en sciences économiques, l’heure n’est pas à ce débat en Haïti, et il ne s’agit là que des éléments d’un affrontement entre grandes puissances.
« Indifférente aux problèmes d’Haïti, la France use de tous les moyens pour faire payer son ancienne colonie. Elle dépêche une nouvelle flottille de guerre qui menace de bombarder les ports du pays. Le paiement est “notre principal intérêt en Haïti, c’est la question qui pour nous y domine toutes les autres”, explique un ministre français de l’époque », lit-on dans cet article aux allures d’un pamphlet, « La rançon : Les milliards envolés » du New York Times. Cependant, l’occupation américaine et le vol de la réserve d’or de la Banque Nationale d’Haïti sont également abordés dans cette série.
« À la racine des malheurs d’Haïti : des réparations aux esclavagistes », « Comment une banque française a fait main basse sur Haïti ? », « Envahissez Haïti, exhorte Wall Street. Les États-Unis s’exécutent. », « Comment la France a riposté aux demandes de réparations d’Haïti ?», tels sont des titres de cette sortie du quotidien newyorkais. Selon les calculs de ce journal, Haïti a payé à la France l’équivalent de 560 millions de dollars d’aujourd’hui sur une période de près de 70 ans, et le pays se serait « enrichi à hauteur de 21 milliards de dollars sur deux siècles ». Après la France, ce sont les États-Unis d’Amérique qui « s’introduisent dans la Banque Nationale et y saisissent 500 000 dollars en or », mais sans laisser entendre pour Haïti une autre histoire dans ce cas.
Une bataille entre puissances, selon James Francisque
Pour James Francisque, écrivain, théoricien de la mouvance « créoliste » en Haïti, la rançon pour l’indépendance haïtienne est tout simplement un vol à main armée, au même titre que le vol de la réserve de la Banque Nationale d’Haïti. Selon lui, le pays doit d’une seule voix s’unir pour demander la restitution de ses biens, mais ce n’est pas au New York Times de le conduire sur cette voie. De plus, il pense que l’heure n’est pas à ce débat dans le pays, et que certaines conditions doivent d’abord être réunies.
«La meilleure façon d’aborder cette question, c’est de se mettre avant tout d’accord sur une vision de notre société. La crise de gouvernance à laquelle le pays fait face aujourd’hui est d’abord une crise de société qui remonte jusqu’à 1806. Il faut donc rompre avec le projet actuel, et revenir au projet originel de 1804. C’est alors que nous pourrons aborder ces sujets – quand il faudra trouver des ressources – avec une diplomatie forte, innovante, afin de reconstruire ce pays. Il nous faudra également des interlocuteurs sérieux, capable d’inspirer confiance à la nation, capable à la fois de lutter pour récupérer la rançon, mais aussi d’éviter que cet argent subisse le même sort que celui du CIRH ou du Petro Caribe. Ce devra être un argent qui financera le chantier de la transformation de ce pays, pour que nous puissions construire une société où tous les Haïtiens puissent vivre dignement », dit-il.
Sous cette sortie du quotidien newyorkais, l’écrivain voit une tension à peine voilée entre les deux puissances. « Une coalition s’est formée entre les deux puissances, renforcée par le Core Group. Mais il existe entre la France et les États-Unis beaucoup de contradictions en termes de vision. La France qui est dans une visée néocolonialiste, et les États-Unis d’Amérique impérialiste. Les deux s’entendent sur une unité de domination et d’exploitation sur Haïti, mais il n’y a point d’entente sur la vision qui doit conduire cette domination », explique-t-il. Pour lui, cette série d’articles n’est qu’une tentative de diversion, et le New York Times n’entreprend aucunement une démarche en vue d’aider Haïti à se défaire du joug de la domination française.
Le pays n’est pas en mesure d’entreprendre une telle négociation vu le contexte sociopolitique actuel, selon l’écrivain d’un manifeste du créolisme. « Les sujets à mettre sur la table de discussion aujourd’hui sont la question de la stabilité politique avec le fonctionnement régulier des institutions, mais aussi celle de la crise sociétale actuelle. Il ne faut pas entrer dans ce débat où il conviendra de faire passer l’un pour un ami et l’autre pour le diable ; il s’agit là d’un choix entre la peste et le choléra pour le pays, deux maux qui empêchent au pays de poursuivre sa voie vers la libération. Quand il y a quelques années de cela, un Gouvernement a commencé à mettre ces questions sur la table, les deux puissances se sont alliés pour le renverser à deux reprises, et à ce moment-là, il n’y avait pas de New York Times pour le dire, » plaide-t-il.
« Que ce soit la dette de l’indépendance, que ce soit le vol de la réserve de la Banque Nationale, ces sujets doivent tous être agités dans l’espace public, mais dans une structure correcte. D’abord la crise de gouvernance doit être résolue, ensuite le problème de société, poursuit-il. Quant à la restitution des biens volés, elle servira de ressource pour rebâtir notre société. La position à adopter aujourd’hui est celle d’une conscience citoyenne afin de rompre avec ce modèle de société qui ne marche pas et qui dure depuis 1806, pour construire une société avec pour repères les valeurs haïtiennes et le projet originel de ceux qui luttaient depuis la colonisation pour une justice sociale dans ce pays ».
Clovesky André-Gérald Pierre
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