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Les symboles attaqués, la justice haïtienne traînée dans la boue, que faire ?

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Le pays fait face à une situation d’insécurité qui dégénère de jour en jour. Les armes prolifèrent, les gangs se multiplient en toute impunité et rares sont les bandits qui finissent par être condamnés par un tribunal. De plus, les institutions judiciaires à genou, sont victimes de nombreuses attaques ces derniers mois. Face à cette situation, nombreux sont ceux qui n’osent plus croire en la justice.

La justice haïtienne fait face à de nombreux défis ces dernières années. La montée de l’insécurité dans le pays semble devenir incontrôlable, et rares sont les individus condamnés pour les nombreux crimes perpétrés. Un autre phénomène, la justice subit de plein fouet la violence des gangs armés. En effet, après les attaques le 10 juin 2022 contre le Parquet de Port-au-Prince et le Tribunal de Première Instance de la capitale, tous deux logés à la même enseigne, c’est désormais au tour du Parquet de la Croix-des-Bouquets qui a été incendié dans la nuit du 25 au 26 juillet 2022.

Toujours pas de bilan officiel, mais selon le Commissaire du Gouvernement, Me. Roosevelt Zamor, les dégâts sont importants, et les bandits ont incendié, entre autres, l’administration du Parquet et le greffe. Un nombre important de dossiers ont été soit réduits en cendres, soit emportés. Jusqu’à date, aucun individu n’a été appréhendé dans le cadre de cette affaire.

Contacté par la rédaction du journal Le Quotidien News au sujet des défis auxquels doit faire face la justice haïtienne, l’avocat et professeur d’université Frantz Gabriel NERETTE pense qu’il est possible dans bien des cas, de reconstituer certains dossiers, et que tout n’est pas perdu. « Dans beaucoup de cas, sauf peut-être pour les situations d’incendie, il serait possible de reconstituer certaines archives. Dans le cas de la Croix-des-Bouquets, c’est une situation réellement terrible puisque les archives sont désormais pratiquement inexistantes. Ces archives sont à reconstituer au gré de la mémoire des personnes qui sont impliquées. Ce qui veut dire qu’il faut retrouver peut-être les mêmes fonctionnaires au niveau de la justice, et faire appel à leur mémoire pour éviter tout ce qui est déformation ou substitution d’informations. Et sur un certain plan, il y a des éléments qui ne se retrouvent pas dans le même endroit », explique-t-il.

« Dans le cas de Port-au-Prince, la situation est un peu difficile puisque le Parquet et le Tribunal de Première Instance étaient au même endroit. Donc les  actes de vandalisme qui ont été perpétrés dans les locaux ont touché soit le greffe du Parquet, soit le greffe du Tribunal de Première Instance, et dans beaucoup de cas il y a eu des cabinets d’instruction vandalisés, et des disparitions de dossiers spécifiques, d’éléments de preuve, de pièces à conviction », estime le professeur.

La loi haïtienne face à l’importation des armes à feu

L’importation d’armes et de munitions en Haïti semble être très fréquente, au vu des diverses et fréquentes saisies  opérées soit dans des ports, soit dans des containers. La saisie d’une cargaison d’armes à la douane de Port-de-Paix le 1er juillet dernier continue de faire la une de l’actualité, surtout avec l’arrestation du Secrétaire Général du Barreau des avocats de Port-au-Prince, qui a soulevé la colère et l’indignation de nombreux Barreaux dans le pays, et de la Fédération des Barreaux d’Haïti.

Le commerce d’armes à feu et de munitions et leur importation sont interdits dans le pays. La Constitution haïtienne autorise la défense armée dans les limites du domicile. Cependant, puisque le pays ne fabrique pas d’armes à feu, l’individu qui veut une arme à feu pour se défendre doit s’en procurer une depuis l’étranger. Pour le professeur NERETTE, le port et la détention d’armes dans le pays sont régis par la loi, mais comportent plusieurs zones d’ombre. « L’individu qui veut se faire livrer une arme à feu en Haïti va se retrouver soumis à ces dispositions légales.  Or, il ya un manque de clarté dans les règlements de la police comme dans les lois pourétablir la situation dedétention d’arme », dit-il.

Selon le professeur, « cette situation va donner au « trafic illégal d’armes à feu » un caractère international, un caractère transnational, mais également un caractère de criminalité organisée. Cela va toucher la police des frontières, les autorités aéroportuaires, et éventuellement les autorités portuaires ».

« S’il est vrai que la police nationale délivre des permis de détention d’arme, elle délivre aussi des permis de port d’arme. Or, si la détention dans les limites du  domicile privé est tout à fait légale parce que prévue par la Constitution, j’envisage mal comment la détention peut ne pas impliquer le port. Ce qui nous met dans le problème d’apprécier un individu qui aurait acquis une arme à feu dans les limites de la loi, une simple arme de poing, et qu’il voudrait arriver avec cette arme chez lui. Les règlementations expliquent qu’il doit d’abord faire la déclaration avant de faire l’acquisition, afin d’informer les autorités sur les spécificités de l’arme qu’il compte acquérir. Ensuite il pourra la faire rentrer en Haïti, puis la livrer aux autorités pour enregistrement et les tests de balistique, et  c’est alors seulement que l’individu pourra récupérer son arme à feu avec le permis qui est émis pour la période de validité décidée, étant entendu que l’État qui octroie le permis peut également retirer les périodes pour lesquelles le permis ne serait plus valable comme c’est le cas pour les périodes de festivités carnavalesques », explique-t-il.

La justice est-elle dépassée ?

Face à la faiblesse des institutions du pays, beaucoup verraient en cette longue descente aux enfers un dépassement de la justice haïtienne qui est mise à genou. Pour l’avocat au Barreau de Port-au-Prince, il ne s’agit pas réellement d’un dépassement de la justice, mais plutôt d’une situation de handicap due à la conjoncture actuelle.

« Dans beaucoup de cas, dit-il, des personnes sont appréhendées et déférées par devant les autorités, cela permettrait à la justice de sévir contre ces personnes. Par contre, on a aussi un problème de taille qui est directement lié à la prolifération des armes à feu et à la multiplication des gangs armés. […]. Dans les cas  d’homicide ou d’assassinat, et non pas de massacre,  on a affaire à une situation qui revient à la police judiciaire et qui devrait être traitée par un tribunal une fois que l’individu présumé auteur de l’infraction serait appréhendé et déféré par devant un tribunal pour être jugé ».

« Aujourd’hui, les locaux où se trouvait le tribunal sont littéralement déserts parce qu’ilsne sont plus occupés par les usagers, non seulement les contribuables, mais tout ce qui est personnel judiciaire qui utilisait ces locaux, ce qui met la justice dans un « handicap » terrible. Elle n’est pas forcément dépassée, mais dans l’incapacité de juger ces personnes », estime le professeur Frantz G. NERETTE.

Que faire ?

Face à cette situation, un regain de confiance de la société dans son système judiciaire est primordial afin de parvenir à une amélioration des conditions de la justice en Haïti, et les moyens sont là selon Me NERETTE. « Un regain de force de la justice devrait passer par une grande campagne de sensibilisation, afin de mettre les gens en confiance ; une grande campagne de divulgation des droits et devoirs des citoyens, d’éducation civique, de rappeler  aux gens de ce qu’ils doivent faire. Je précise que nous avons les formules et les mécanismes pour ces campagnes. Et aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, nous les avons encore plus ».

Le professeur veut rester optimiste : « Je dois le dire haut et fort : on ne peut pas perdre espoir. Automatiquement, en perdant l’espoir, on permettra que le cas de n’importe quel individu lambda devienne le cas de l’ex-Président Moïse, celui de l’ex-Bâtonnier Dorval et de tant d’autres. On ne veut pas de cela. On ne peut pas se retrouver dans une situation où l’espoir est absent ».

Clovesky André Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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