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L’HUEH, communément appelé Hôpital général : un patrimoine abandonné

L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), bien connu sous l’appellation populaire d’Hôpital général, est bien plus qu’un simple centre de soins. Il représente un pan entier de notre histoire médicale, une institution patrimoniale aujourd’hui reléguée à l’oubli.

Sa fondation remonte à bien avant l’occupation américaine, sous un nom et une mission bien différents de ceux qu’on lui connaît aujourd’hui. Sur ce site historique, coexistaient autrefois trois institutions majeures : l’école de Médecine qui deviendra plus tard la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP), l’Hôpital militaire (devenu l’HUEH), et l’Hospice Saint-Vincent de Paul.

À ses débuts, la mission de l’établissement était claire : soigner les militaires et leurs familles. Ce mandat perdura jusqu’en juillet 1912, date à laquelle un groupe de médecins, lors d’un congrès, proposa de transformer l’hôpital militaire en un centre hospitalier civil, destiné à répondre aux besoins sanitaires de toute la population de Port-au-Prince et de ses environs, et administré par des civils (source : Le Nouvelliste).

Depuis cette transition, l’hôpital a connu plusieurs mutations. Le nom d’HUEH s’est imposé dans tout le pays comme symbole de l’accès universel aux soins. Il est aujourd’hui reconnu comme le plus grand centre hospitalier public du pays. Depuis 1922, l’établissement accueille les étudiants de l’école de Médecine pour leur stage pratique. En 1951-1952, afin de former des médecins spécialisés, l’école de Médecine a été rebaptisée Faculté de Médecine, et la résidence hospitalière est devenue une réalité, notamment à l’Hôpital général.

C’est en 1968 que le nom officiel de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) a été établi, apparaissant dans le Moniteur #80. Il s’agit d’un bien de l’État haïtien, placé sous la tutelle de la Direction Générale du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP).

Cette mise en contexte vise à rappeler que l’HUEH, à l’instar de tant d’autres institutions d’État aujourd’hui saccagées par des groupes armés dans la capitale, demeure une institution publique de première importance.

Mais une question brûle les lèvres, et c’est le cœur même de cet écrit : pourquoi l’HUEH est-il le seul grand établissement de l’État laissé à l’abandon total ?

Le 29 février 2024, des médecins (MDS, résidents, internes, étudiants), le personnel administratif et de soutien, des patients et leurs proches ont vécu une scène de terreur. Des rafales d’armes automatiques ont résonné autour de l’HUEH pendant de longues heures. Pour échapper aux balles perdues, tous ont dû se cacher sous des lits, des bureaux ou dans des recoins de fortune, de 9 h du matin à 4 h de l’après-midi. Ce n’est qu’à l’arrivée d’un renfort de la Police Nationale d’Haïti (PNH), qui a assuré la couverture pendant l’évacuation, que les lieux ont pu être vidés. Nous en profitons pour saluer leur professionnalisme.

Cela fait désormais près de 18 mois que le plus grand hôpital du pays est déserté. Aucune décision concrète n’a été prise pour sa relocalisation, hormis une tentative de réouverture initiée par l’ancien titulaire du MSPP, le 24 décembre 2024, le Dr Bléma qui lui a coûté son poste de ministre et a couté la vie d’un policier et de deux journalistes et de huit autres blessés.

Pendant que toutes les autres institutions de l’État ont été relocalisées, l’HUEH, elle, demeure dans les limbes.

Il est urgent de rappeler les trois missions fondamentales qui font de l’HUEH une institution unique et irremplaçable :

1- Une mission de formation académique

L’HUEH est le pilier de la formation pratique des futurs professionnels de la santé. Il accueille les étudiants en médecine de la FMP pour leurs stages cliniques (DCEM1 à DCEM3), leur internat de 12 mois, ainsi que les étudiants de la Faculté des Sciences Infirmières de Port-au-Prince (FSIP) et ceux de l’Institut National Supérieur de Formation de Sages-Femmes (INSFSF).

2- Une mission de spécialisation médicale

L’HUEH demeure à ce jour le seul établissement du pays capable d’accueillir plus de 50 médecins par an dans un programme de formation en résidence hospitalière, avec des spécialisations dans plusieurs domaines clés. Une mission vitale pour l’avenir du système sanitaire haïtien.

3- Une mission de soins et de recherche

Grâce à ses médecins spécialistes, résidents et internes, l’HUEH prodiguait des soins à près de 90 patients par jour aux urgences, à plus de 200 patients en consultation externe et assurait une capacité d’hospitalisation de 300 à 350 lits. Chaque semaine, plus de 50 opérations chirurgicales y étaient réalisées : péritonites, appendicites, fractures, césariennes, etc.

En parallèle, l’hôpital menait également d’importants travaux de recherche clinique, notamment sur les pathologies à surveillance épidémiologique comme le tétanos néonatal, la rubéole, la rougeole, la diphtérie, le paludisme, le VIH/SIDA, l’insuffisance rénale chronique, les AVC, la mortalité maternelle et infantile, entre autres.

Aujourd’hui, ce centre vital est abandonné

Les patients souffrent en silence, les étudiants sont sans terrain de stage et les résidents, bien que reçus au concours du résidanat, ont déjà perdu une année entière de formation.

L’espoir de toute une génération de jeunes médecins, formés sous un ciel déjà chargé d’insécurité et d’instabilité, est suspendu à un fil.

Nous réclamons, avec la plus grande fermeté, la relocalisation immédiate de l’HUEH afin qu’il reprenne ses missions essentielles : former, soigner et rechercher.

Nous lançons un appel solennel au ministre de la Santé Publique et de la Population, Dr Sinal Bertrand, parrain de la dernière promotion sortante de la FMP, pour qu’il prenne ses responsabilités et trouve un nouveau local pour l’hôpital.

Nous demandons également au Chef du Gouvernement et au Conseil Présidentiel de Transition (CPT) de permettre à la population d’accéder de nouveau à des soins dans un centre hospitalier public, à but non lucratif, répondant aux normes de l’OMS, et à notre jeunesse universitaire de continuer son apprentissage, pour que le pays puisse préserver ce qui lui reste de droit à la santé et de dignité humaine.

L’HUEH n’est pas un simple hôpital. C’est un pilier historique, un centre de savoir, de soins et d’espoir pour tout un peuple. Son abandon n’est pas seulement une faille du système, c’est une blessure ouverte dans le cœur même de notre santé publique.

Nous ne réclamons pas un privilège, nous exigeons un droit : celui de former, de soigner, de vivre. Il est temps que l’État haïtien réponde présent. Il est temps que l’HUEH revive.

Nous irons jusqu’au bout du monde, l’HUEH ne périra pas.

Vive L’HUEH, vive la relocalisation.

Walky TIJIN

Médecin, Résident en Service social

Ancien étudiant de la FMP/UEH

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