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L’insalubrité dans la capitale haïtienne, plus qu’un fait divers

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Après une urbanisation rapide, excessive et incontrôlée, le fléau de l’insalubrité règne sur la ville de Port-au-Prince et ses environs. À mesure que la population urbaine a augmenté, cette dernière s’est accommodée tant bien que mal des piles de détritus dans les carrefours et près des marchés, sous le regard impuissant de la Mairie de Port-au-Prince dont la politique environnementale reste floue. Témoignages.

Au milieu de ce que l’on appelle désormais la crise multidimensionnelle en Haïti, la dégradation de l’environnement et l’insalubrité des villes sont des problèmes majeurs, mais ils ne datent pas d’hier. La capitale haïtienne est également la plus grande agglomération urbaine, au centre d’un réseau tentaculaire de communes juxtaposées allant de Carrefour au sud-ouest à Cité-Soleil au nord et jusqu’à la Croix-des-Bouquets à l’est, englobant Croix-des-Missions, Tabarre, Delmas et Pétion-Ville. Tous d’anciens quartiers élevés au rang de villes, puis de communes, dont le point commun le plus frappant est sans doute l’insalubrité urbaine, répugnante, mais pourtant omniprésente.

En dépit de l’existence des conseils communaux se trouvant dans les mairies de chacune de ces villes, la pollution par déchets ménagers est un phénomène qui persiste et qui même s’amplifie au fil des ans, allant de pair avec l’augmentation de la population. Ainsi un septuagénaire témoigne : « Du temps de mon enfance, Port-au-Prince n’était pas comme ça. Les rues étaient propres, les camions du CNE (ancien service public) passaient quotidiennement vider les bennes à ordures ».

Un témoignage qui contraste avec l’état actuel de la capitale, reconnue en 2018 comme la quatrième ville la plus sale au monde selon Forbes Magazine. Presque à chaque tournant de rue se trouve des monceaux de fatras. Les égouts sont en mauvais état, couverts au milieu des rues. Ces dernières sont transformées en de vastes marchés sans fin. Quant aux marchés eux-mêmes, les ordures qu’ils produisent sont entassées en pleine rue, embarrassant parfois la circulation. Chaussées, trottoirs et rigoles sont tous souillés de déchets en plastique ou en polystyrène.  Le résultat d’une politique environnementale de moins en moins adaptée à la structure et au développement de la ville, selon Carlos Lafond, enseignant de gestion de l’environnement à l’Université d’État d’Haïti (UEH).

« Dans n’importe quel pays, quelle que soit l’activité humaine, il faut des espaces propres et un environnement correct »,  estime Luc, un jeune gonaïvien. L’insalubrité est due à l’absence de l’État et aussi au manque d’éducation des gens qui jettent leurs déchets de nourriture notamment, n’importe où, poursuit-il. Luc croit que « c’est à l’Etat d’intervenir dans tous les domaines et à tous les niveaux pour résoudre ce problème, sensibiliser, informer les gens et imposer des amendes dissuasives contre la malpropreté ».

Suzette, jeune Carrefouroise  diplômée en administration publique, va dans le même sens : « Le problème de l’insalubrité des villes est une grosse affaire. Ça demande une implication et un engagement de l’État. Il faut non seulement ramasser les ordures, sensibiliser les gens, mettre des poubelles à chaque coin de rue et s’assurer que ces dernières seront quotidiennement vidées, tout en formant la population et en l’incitant à utiliser les bacs à ordures ». Cela risque de prendre du temps car beaucoup sont tellement habitués à utiliser la rue comme une poubelle sans fin. Il faudrait des mesures coercitives comme de fortes amendes pour aider à maintenir l’ordre, propose-t-elle.

D’un autre côté, les nombreux marchés se trouvant à Port-au-Prince sont, eux aussi, une source importante de pollution des rues. « Parfois ils viennent ramasser les fatras, parfois ils ne viennent pas, ils n’ont pas vraiment d’horaires », confie une commerçante du Marché Salomon, à proximité du Stade Sylvio Cator en parlant des services de voirie. « Il n’y a pas d’État dans ce pays, je vous dis, il n’y en a pas, ce n’est pas ainsi que fonctionne un pays normal. L’État ne peut même pas mettre un bac à ordures ici pour qu’on y jette des fatras. Les gens font ce qu’ils veulent »,  se plaint la dame de 44 ans.

Selon certains, le Conseil Municipal qui gère la Mairie de Port-au-Prince a pratiquement réduit son rôle au ramassage des ordures et à la collecte des taxes dans les marchés. Malgré le prélèvement de ces taxes, la capitale se trouve dans un piteux état. « Mpa vle wè yo mwen menm ! »,  lâche une autre marchande, près du stade. Cette dernière se plaint qu’à chaque passage des agents de la Mairie pour chasser les marchands de la rue près du Stade, elle perd ses affaires, en dépit  des brimades des agents qu’elle qualifie de « mal-élevés ». C’est la Mairie qui est responsable de l’entretien des marchés comme de la propreté des routes. Et ils n’arrivent même pas à s’occuper de ça,  fustige-t-elle.

Par ailleurs, beaucoup de citoyens ignorent que c’est de l’autorité du Service National de Gestion des Résidus Solides (SNGRS) que relève toute activité de collecte, transport, triage, recyclage, gestion ou transformation des déchets. « C’est une compétence que l’État Central partage avec les collectivités territoriales aux termes de l’article 2 de la loi du 17 août 2017 portant création du SNGRS », avait rappelé l’ancien Maire Youri Chevry en 2018 lors d’une rencontre avec la presse.

Dans une ville qui comptait un demi-million d’habitants en 1972, on compte cinquante ans plus tard près de 3 millions de personnes, ce qui représente plus du quart de la population totale du pays.  Cette explosion démographique s’est accompagnée d’un agrandissement non planifiée des aires urbaines où jusqu’à présent les ravines sont utilisées comme décharges publiques sans qu’aucune action conjointe ne puisse être planifiée au niveau des mairies des différentes villes que regroupe l’agglomération. En conséquence, l’insalubrité de la capitale s’accroît, pour finalement être perçue comme un fait politique par nombre des habitants, telle une malédiction jetée sur la capitale par ses dirigeants au cours des ans.

Daniel Toussaint

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