Effondrement de l’État, crise humanitaire majeure, isolement international et autres, l’économiste Guy Mary Hyppolite alerte !
9 min readLe pays s’enfonce dans une situation de violence extrême depuis plus de deux semaines, qui peut avoir de graves conséquences. À en croire l’économiste Guy Mary Hyppolite, lors d’une interview accordée à Le Quotidien News le 20 mars 2024, la situation chaotique dans laquelle se trouve Haïti, particulièrement l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, peut être à l’origine de l’effondrement de l’État, d’une crise humanitaire majeure et d’un isolement international…À cet effet, l’économiste plaide pour la restauration de la sécurité publique et la réactivation de l’économie afin d’éviter le pire.
Le Quotidien News (LQN) : L’aire métropolitaine de Port-au-Prince sombre et ce, dans une violence sans fin depuis le 29 février 2024. C’est le règne de l’anarchie. Du chaos. Les gangs armés s’en prennent à des infrastructures publiques. Ils attaquent, pillent et incendient certaines entreprises. La Police Nationale d’Haïti (PNH) pour l’heure n’est pas totalement en mesure de reprendre le contrôle de la capitale. En conséquence, les entreprises ferment leurs portes. Le port de Port-au-Prince annonce la suspension de ses activités suite aux actes de pillages dont il a été victime. Les déplacés internes se multiplient. La population est aux abois. Pour certains observateurs, ces événements regrettables peuvent avoir des conséquences économiques désastreuses sur le pays. Qu’en pensez-vous ?
Guy Mary Hyppolite (G.M.H) : Oui, ces événements regrettables auront très probablement de graves conséquences économiques sur le pays et sa population. Voici des conséquences possibles :
1. Perte d’emplois : La fermeture d’entreprises et la suspension d’activités économiques entraîneront une augmentation du chômage, ce qui affectera directement le revenu des ménages et leur capacité à subvenir à leurs besoins.
2. Réduction des investissements étrangers : L’instabilité et l’insécurité décourageront les investisseurs étrangers, ce qui se traduira par une diminution des investissements directs étrangers et du développement économique.
3. Récession économique : La baisse de la production et de la consommation, ainsi que l’effondrement des infrastructures publiques, peuvent entraîner une récession économique prolongée, avec une diminution du PIB et une augmentation de la pauvreté.
4. Dégradation des infrastructures : Les actes de pillage et d’incendie endommagent les infrastructures publiques et privées, ce qui nécessitera des investissements importants pour les réparer et les reconstruire, retardant ainsi le développement économique.
5. Crise humanitaire : L’augmentation du nombre de déplacés internes et la détérioration des conditions de vie entraîneront une crise humanitaire avec des conséquences graves sur la santé, l’éducation et la sécurité alimentaire de la population.
6. Effondrement du tourisme : L’instabilité et l’insécurité dissuaderont les touristes de visiter le pays, ce qui entraînera une diminution drastique des recettes touristiques. Les hôtels, restaurants, guides touristiques et autres entreprises liées au secteur du tourisme subiront des pertes importantes, ce qui aggravera encore la situation économique.
En somme, ces événements peuvent plonger le pays dans une crise économique et humanitaire profonde, nécessitant des mesures urgentes pour restaurer la stabilité et relancer l’économie.
LQN : Si cette situation de chaos persiste dans le pays, à quoi peut-on s’attendre ?
G.M.H : Si la situation de chaos persiste dans le pays, plusieurs conséquences graves peuvent se produire :
1. Effondrement de l’État : L’incapacité du gouvernement à rétablir l’ordre et à assurer la sécurité publique pourrait conduire à un effondrement complet de l’autorité étatique. Cela créerait un vide de pouvoir qui pourrait être exploité par des groupes criminels ou des factions rivales, entraînant une guerre civile ou une division territoriale.
2. Crise humanitaire majeure : Avec la détérioration continue de la sécurité et de l’économie, une crise humanitaire majeure pourrait survenir, avec une augmentation du nombre de déplacés internes, une insécurité alimentaire généralisée, des pénuries d’eau et de médicaments, ainsi que des maladies répandues.
3. Isolement international : La persistance du chaos et de l’instabilité pourrait conduire à un isolement international du pays, avec des sanctions économiques et diplomatiques de la part de la communauté internationale. Cela aggraverait encore les difficultés économiques et rendrait plus difficile la recherche d’une solution pacifique à la crise.
4. Migration massive : Face à l’insécurité, à la pauvreté croissante et à l’absence de perspectives d’avenir, de nombreux citoyens pourraient être poussés à émigrer vers d’autres pays à la recherche de meilleures conditions de vie. Cela entraînerait des pressions sur les pays voisins et pourrait déclencher une crise migratoire régionale.
En résumé, la persistance du chaos dans le pays pourrait avoir des conséquences dévastatrices à la fois sur le plan économique, humanitaire et politique, mettant en péril la stabilité et la sécurité de la région dans son ensemble.
LQN: Les portes des institutions publiques sont fermées depuis plusieurs jours. Pour certains observateurs, l’État sera en difficulté pour payer ses employés dans les jours à venir. Comment comprenez-vous cela?
G.M.H : Si les bureaux des institutions publiques sont fermés et que les douanes ne fonctionnent plus, cela signifie que l’État ne peut plus percevoir les recettes fiscales et douanières qui sont essentielles pour financer ses opérations et payer ses employés. Voici comment cela peut être compris et quelles conséquences cela peut avoir sur le pays :
1. Manque de liquidités : L’arrêt des activités des institutions publiques et des douanes entraînera une baisse significative des rentrées d’argent dans les coffres de l’État, ce qui pourrait le mettre dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires, ses fournisseurs et de financer les services publics essentiels;
2. Retards de paiement : En l’absence de fonds suffisants, l’État pourrait rencontrer des retards dans le paiement des salaires des fonctionnaires, ce qui affecterait leur moral, leur capacité à subvenir à leurs besoins et leur confiance dans le gouvernement ;
3. Défaut de paiement : Si la crise financière persiste, l’État pourrait être confronté à un défaut de paiement sur sa dette souveraine ou sur ses engagements envers les créanciers internationaux, ce qui pourrait avoir des conséquences graves pour sa crédibilité sur les marchés financiers et sa capacité à emprunter à l’avenir;
4. Dégradation des services publics : L’incapacité de l’État à payer ses employés et à financer les services publics essentiels comme la santé, l’éducation et la sécurité pourrait entraîner une détérioration des conditions de vie de la population et aggraver les tensions sociales ;
5. Effets sur l’économie : Le dysfonctionnement de l’État et la détérioration des services publics pourraient entraîner une contraction de l’activité économique, une fuite des investissements et une augmentation du chômage, ce qui aurait un impact négatif sur la croissance économique du pays.
En résumé, l’incapacité de l’État à payer ses employés en raison de la fermeture des institutions publiques et des douanes pourrait avoir des conséquences graves sur l’économie, les services publics et la stabilité sociale du pays. Il est crucial que des mesures soient prises rapidement pour résoudre cette crise financière et rétablir le fonctionnement normal des institutions gouvernementales.
LQN: Que faut-il faire urgemment pour redresser cette situation ?
G.M.H : Pour redresser une situation de chaos aussi grave, plusieurs mesures urgentes doivent être prises : 1 ) Restauration de l’ordre et de la sécurité : La priorité absolue est de rétablir l’autorité de l’État et de restaurer l’ordre public. Cela peut nécessiter le déploiement de forces de sécurité renforcées, y compris des forces de police, de l’armée et éventuellement de forces internationales sous mandat des Nations Unies, pour stabiliser la situation et désarmer les groupes criminels;
2. Rétablissement des services essentiels : Il est crucial de rétablir les services essentiels tels que l’électricité, l’eau, les soins de santé et les services éducatifs pour répondre aux besoins de la population et prévenir une crise humanitaire plus grave;
3. Réactivation de l’économie : Des mesures doivent être prises pour relancer l’économie, y compris la réouverture des entreprises fermées, la sécurisation des infrastructures économiques et la stimulation des investissements nationaux et internationaux;
4. Dialogue et réconciliation : Il est impératif d’engager un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes, y compris les groupes armés, pour trouver des solutions politiques et sociales durables. La réconciliation nationale et la reconstruction des liens sociaux sont essentielles pour surmonter les divisions et construire un avenir plus stable;
5. Assistance internationale : La communauté internationale doit fournir un soutien financier, logistique et diplomatique au pays pour l’aider à surmonter la crise et à reconstruire ses institutions. Cela peut inclure une aide humanitaire d’urgence, un renforcement des capacités institutionnelles et une médiation politique.
LQN : Comment comprenez-vous l’attaque armée orchestrée contre la Banque de la République d’Haïti (BRH) récemment ?
GMH : L’attaque orchestrée contre la Banque de la République d’Haïti (BRH) est un événement très préoccupant et pourrait avoir des conséquences économiques significatives. Voici comment je comprends cette attaque et ses implications économiques :
1. Perturbation du système financier : Une attaque contre la BRH peut perturber le fonctionnement du système financier, entraînant des retards dans les transactions, des difficultés d’accès aux fonds et une perte de confiance dans le système bancaire ;
2. Risque de crise de liquidité : Si les opérations de la BRH sont gravement perturbées, cela peut entraîner une crise de liquidité dans le système financier, avec des conséquences sur les prêts aux entreprises et aux ménages, ainsi que sur la stabilité du système bancaire dans son ensemble.
LQN : On dit souvent que le chaos apporte des opportunités. Donc en ce temps de crise que nous vivons, est-ce qu’il n’y a pas une opportunité que l’État pourrait saisir pour apaiser la souffrance de la population ?
G.M.H : Oui, même en temps de crise, il peut y avoir des opportunités que l’État peut saisir pour apaiser la souffrance de la population et contribuer à la reconstruction du pays. Voici quelques possibilités :
1. Réforme institutionnelle : La crise actuelle peut être l’occasion pour l’État d’engager des réformes institutionnelles visant à renforcer la gouvernance, à lutter contre la corruption et à améliorer l’efficacité des services publics. Ces réformes peuvent contribuer à restaurer la confiance des citoyens dans les institutions gouvernementales et à renforcer la stabilité politique ;
2. Investissements dans les infrastructures : La reconstruction des infrastructures publiques endommagées par la crise peut être une opportunité pour l’État d’investir dans des projets d’infrastructures prioritaires tels que les routes, les ponts, les hôpitaux et les écoles. Ces investissements peuvent non seulement créer des emplois et stimuler la croissance économique, mais aussi améliorer les conditions de vie de la population;
3. Promotion de l’entreprenariat et de l’innovation : La crise peut encourager l’émergence de nouvelles initiatives entrepreneuriales et de solutions innovantes pour répondre aux besoins urgents de la population. L’État peut soutenir ces initiatives en fournissant un cadre réglementaire favorable, des incitations fiscales et un accès à des financements adaptés ;
4. Renforcement des systèmes de sécurité sociale : La crise économique et sociale peut mettre en évidence les lacunes des systèmes de sécurité sociale existants. L’État peut saisir cette opportunité pour renforcer ces systèmes en élargissant la couverture et en améliorant l’accessibilité aux prestations sociales telles que les soins de santé, les allocations familiales et les programmes de protection sociale;
En résumé, même dans les moments les plus sombres, il y a souvent des opportunités pour le changement et la transformation positive. L’État peut jouer un rôle crucial en saisissant ces opportunités pour répondre aux besoins urgents de la population et jeter les bases d’un avenir meilleur et plus prospère pour le pays. Toutefois, pour atteindre cet objectif, nous devrions choisir les dirigeants appropriés, c’est-à-dire avoir « la personne qu’il faut à la place qu’il faut ». Cependant, nous devons éviter l’euphorie, l’émotion et le sentimentalisme et nous devons également éviter de nous faire berner par des slogans.
Propos recueillis par :
Jackson Junior RINVIL