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Pour la justice haïtienne, l’insécurité, l’instabilité et la corruption ont été des ennemis de taille en 2022

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L’année 2022 aura été, pour le système judiciaire haïtien, une des pires de son histoire depuis 1987. Étant l’une des institutions les plus ciblées en ce climat d’insécurité du fait de la violence armée qui sévit dans le pays, elle a connu le pire, entre grèves, handicaps divers, nominations informelles, incendies et pillages.

La crise de sécurité a été le plus grand défi du pays au cours de cette année  2022. La prolifération des armes et des gangs à travers tout le pays a mis à mal la société haïtienne toute entière, ébranlé les fondements de la démocratie, porté atteinte aux droits de l’Homme à tous les niveaux, et désarçonné toutes les institutions du pays, y compris les forces de police haïtienne. Dépassé par la crise, le Gouvernement haïtien n’a pu concevoir d’autres solutions que de faire appel aux nations étrangères afin d’envoyer une force militaire dans le pays, une idée qui ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté internationale, ni même chez nous.

L’insécurité a aujourd’hui des noms et des visages

Estimé à environ 200 en 2021, le nombre des  gangs armés  multiplié par 4 ou 5 en 2022 semble loin d’être à son apogée. Sans une intervention intelligente et musclée, le pire est encore à craindre. Mais depuis quelques mois, le pays entier est réveillé par une vague de sanctions internationales prises à l’encontre de plusieurs personnalités influentes au sein des élites haïtiennes.

Accusées de « participer ou soutenir des activités criminelles et la violence impliquant des groupes armés et des réseaux criminels en procédant à des enrôlements d’enfants, à des enlèvements, à la traite des personnes, à des homicides, utilisant la violence sexuelle,  en se livrant au trafic illicite et  au détournement d’armes et de matériel connexe en générant des flux financiers illicites énormes,   en entravant l’acheminement de l’aide humanitaire vers et à l’intérieur d’Haïti ; en attaquant le personnel ou les locaux des missions et les opérations de l’ONU ou en fournissant un soutien à de telles attaques », des dizaines de personnalités haïtiennes ont été sanctionnées par l’ONU, ainsi qu’au niveau bilatérale, par les États-Unis et le Canada qui ont pris des mesures d’interdiction de voyager et de gel des avoirs et un renforcement de l’embargo sur les armes vers Haïti  a été proposé par l’ONU.

Cependant, la justice haïtienne peine encore à poursuivre les présumés semeurs de troubles, plongeant la société toute entière dans l’ère du grand banditisme. Seul le Commissaire du Gouvernement près du Tribunal de Première Instance des Cayes, Me Ronald Richemond, a invité l’ex-sénateur Hervé Fourcand, – sanctionné par le Département du Trésor américain pour trafic illicite de drogue, – à se présenter en son office, le mardi 20 décembre dernier, invitation qui a été boudée par l’intéressé qui a demandé un report de l’audience. Pour l’instant, aucune nouvelle date  n’a encore été fixée pour une nouvelle audition souhaitée par Me Richemond.

La justice face aux grèves et aux arrêts de travail

Depuis les événements de décembre 2021 dans la juridiction de première instance de Fort-Liberté où des greffiers avaient décidé d’entrer en grève en pleine séance d’assises criminelles sans assistance de jury, les faisant ainsi reporter, plusieurs autres grèves et arrêts de travail ont été enregistrés chez les professionnels de la justice. En effet, le 12 avril 2022, les greffiers  des dix-huit juridictions de première instance et ceux des tribunaux se sont mis en grève afin d’exiger le respect de l’accord de 2017 jugé non respecté par les autorités judiciaires, grève qui a été maintenue jusqu’au mercredi 25 mai après que le Gouvernement a répondu à leurs revendications.

Pendant ce temps, le 18 avril, ce sont les avocats au Barreau du Cap-Haïtien qui, en exigeant la révocation du Commissaire du Gouvernement près du Tribunal de Première instance du Cap-Haïtien, Me Richemond Forival, ont paralysé tout le fonctionnement du Parquet. Le Commissaire ayant été accusé d’avoir reçu des pots-de-vin afin de libérer des criminels. Plus tard, le 23 mai, c’était aux Cayes qu’un autre conflit a opposé le Barreau local au Commissaire du Gouvernement. En effet, les avocats des Cayes menés par le bâtonnier Me Evald Siprice ont longuement réclamé la révocation du Commissaire du Gouvernement, Me Ronald Richemond, accusé d’avoir procédé non seulement à d’injustes arrestations, également illégales et arbitraires, suivies de libération contre rançon, mais également à l’audition de « victimes sans être assistées d’avocats ou de témoins », contrairement aux prescrits de la Constitution et  aux  lois du pays. Toutefois, les deux Commissaires du Gouvernement, accusés de vendre la justice aux plus offrants, sont encore en fonction en décembre 2022.

La justice entachée de nominations irrégulières

Les événements de 2021 ont beaucoup influencé les nominations de juges au début  de 2022. À la Cour de Cassation, depuis la mise en retraite de trois juges par le Président Jovenel Moïse le 8 février 2021, et le décès du Président de la Cour, Me René Sylvestre le 23 juin 2021, la situation s’est gravement détériorée au cœur de la plus haute Cour de justice du pays. Afin de pallier au dysfonctionnement de la Cour de Cassation, le 16 février 2022, le Ministre de la Justice, Me Bertho Dorcé, a adressé une correspondance au  Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) afin de lui communiquer une liste de 9 personnalités, en lui demandant d’en choisir trois. Cette proposition a été refusée par le CSPJ à cause de l’inconstitutionnalité de la démarche qui est, du fait de la conjoncture actuelle, d’une formalité impossible. En effet, l’article 175 de la Constitution de 1987 précise que « Les juges de la Cour de cassation sont nommés par le Président de la République sur une liste de trois (3) personnes par siège soumise par le Sénat », et le Sénat de la République est dysfonctionnel, et la vacance présidentielle est toujours de fait.

Des dossiers emblématiques toujours au point mort

La justice qui devrait être rendue aux victimes semble n’être que pure illusion dans le pays. Peu importe la classe sociale ou toute autre critère de catégorisation, l’absence de justice semble ne point être discriminant. Pour Me Monferrier Dorval, assassiné depuis le 28 août 2020, point de justice jusqu’à présent. Après une cascade d’événements, le magistrat Loubens Elysée qui a été désigné pour instruire le dossier le 5 octobre 2021, s’en est volontairement dessaisi le 31 janvier 2022, et selon lui, il n’a jamais pu ne serait-ce que voir le dossier dont il devait avoir la charge, et depuis cette date, plus aucun juge  n’a été désigné.

De même, depuis que le dossier de l’affaire des assassinats de la militante Antoinette Duclair et du journaliste Diego Charles a été égaré au Parquet près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince qui ne l’avait jamais transféré au Cabinet d’instruction, aucune tentative n’a été faite en 2022 en vue de sa reconstitution. L’affaire de l’assassinat de l’ex-Président Jovenel Moïse a, quant à elle, eu plus de rebondissements en 2022. Le 7 février 2022, un troisième juge a été désigné avec la charge d’instruire le dossier, Chavannes Etienne, mais ce dernier s’est volontairement dessaisi du dossier deux jours plus tard pour, disait-il, des raisons de sécurité.

Plus tard, le 4 mars, Merlan Belabre a été désigné à ce même effet, mais il a également évoqué des soucis de sécurité pour lui et sa famille, pour finalement se dessaisir du dossier le 25 avril. Et le 30 mai, le Juge Walter Wesser ETIENNE a lui aussi été désigné, le cinquième à cette même fin de rendre justice au Président défunt. Le 11 novembre 2022, une action en habeas corpus intentée par devant le Doyen du TPI de Port-au-Prince, Me Bernard Saint-Vil, en faveur des Colombiens défraye la chronique. Cependant, arguant craindre pour sa vie du fait de la présence d’individus armés dans l’enceinte du Parquet, l’avocat des Colombiens présumés assassins de l’ex-Président, Me Marc-Antoine Maisonneuve, a brillé par son absence, et l’action en habeas corpus n’a pas pu être traitée.

Finalement, l’année 2022 aura été sans succès majeur pour une justice haïtienne qui peine même à survivre. Étant la cible préférée des gangs armés et de la colère de certaines manifestations, à Port-au-Prince, à la Croix-des-Bouquets, au Cap-Haïtien, aux Gonaïves, ou dans le Sud du pays, des locaux de tribunaux ont été attaqués, incendiés, pillés, etc. Et entretemps, le pays s’enfonce de plus en plus dans cette crise multidimensionnelle, et le bout du tunnel semble être encore loin.

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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