Présidentielle aux États-Unis: 2020, année de la grande mobilisation des jeunes électeurs?
5 min readLes 18-35 ans représentent presque 40% des électeurs américains aujourd’hui. Historiquement, c’est une cohorte qui se déplace peu aux urnes, mais cette année, ils semblent beaucoup plus mobilisés que d’habitude. Déjà, pour les élections de mi-mandat, quatre jeunes sur dix avaient voté, soit le double que lors de la dernière présidentielle. Et ils sont visiblement échaudés par le climat politique actuel.
« Le capitalisme n’est pas durable. Les deux grands partis de ce pays sont tous les deux vendus aux lobbys des grandes entreprises qui détruisent les forêts, polluent les océans et réchauffent la planète, parce que leur seul objectif est de faire du profit. » Joe Smiley, 28 ans, est calme mais incisive. Libraire à Louisville, elle est aussi secrétaire de la section locale du parti des Démocrates socialistes d’Amérique (DSA), qui existe depuis les années 80 mais n’a jamais eu autant de succès. « Les gens nous rejoignent à un rythme inédit dans notre histoire. On devrait être 100 000 au niveau national à la fin de l’année, et rien qu’ici, nous sommes trois fois plus nombreux qu’il y a deux ans, une centaine de militants environ », détaille-t-elle.
Joe elle-même a rejoint le parti après l’élection de Donald Trump. « J’avais travaillé pour la campagne des primaires de Bernie Sanders, quand j’étais étudiante à l’Université du Missouri. J’étais aussi très investie dans la création d’un syndicat de jeunes professeurs sur le campus, nous étions sous-payés et sans aucun droit. Ces expériences m’avaient emballé, mais quand Donald Trump a été élu en 2016, j’ai eu la sensation qu’une chappe de plomb s’abattait sur moi, et j’ai eu besoin de trouver un groupe de personnes avec qui je pourrais vraiment partager mes idées. »
Les Démocrates socialistes d’Amérique sont ceux qu’elle a vus sur le terrain, près de chez elle, en soutien à des grêves d’enseignants, aux côtés des homosexuels lors de la Gay Pride de Louisville, présentant des candidats aux postes de conseillers municipaux, dans les districts ou les arcanes de l’administration judiciaire locale. « Si tu veux vraiment changer les choses, il faut commencer tout en bas, à ton échelle », conclut-elle. Si elle votera Joe Biden, c’est sans aucune illusion sur son ambition de renverser la table, mais il faut absolument « couper l’herbe sous le pied au suprémacisme blanc qui refait surface dans notre pays, et qui est actuellement le danger le plus pressant », selon elle.
Une position que n’a officiellement pas pris le parti des Démocrates socialistes d’Amérique, dont le droit du travail et la constitution de syndicats sont les principaux combats. Sans doute savent-ils que la classe populaire qu’ils défendent est séduite par Donald Trump.
« Ils font de la bonne vieille politique »
Dans le bus qui m’emmène à Saint-Louis, je rencontre Bratt, étudiant en médecine de 21 ans, pour qui c’est la première présidentielle. « Sincèrement, j’aurais pu ne même pas être inscrit cette année ! C’est grâce à ma copine qui s’est investie dans un groupe d’éducation civique sur le campus que j’ai fait l’effort. Ils ont installé une table pendant plusieurs semaines à côté de la bibliothèque, où ils expliquaient comment faire, parce que ce n’est pas si simple ! Vous savez, les jeunes et la paperasse », sourit-il. Derrière la fenêtre, des champs de maïs séché à perte de vue.
Il me raconte qu’il a grandi à la campagne et que « bien sûr » ses parents sont conservateurs. Lui n’a pas vraiment d’opinion, « aucun des deux ne m’inspire vraiment… ils sont très différents mais ils sont tous les deux vieux, et ils font de la bonne vieille politique », estime-t-il. « Mais bon, Donald Trump a un vocabulaire moins fourni que le mien, c’est un dangereux bouffon, alors… va pour Biden. » On sent bien que ça l’ennuie.
Encore moins enthousiaste, Jenay Manley, boule d’énergie de 26 ans qui travaille dans une station essence et qui va aller au bureau de vote à reculons. Cette métisse, déjà maman de deux jumeaux, a du mal à joindre les deux bouts et a du mal à payer le loyer. Elle a rejoint une organisation de défense des locataires, KC Tenants, composée essentiellement d’Afro-Américains précaires. « On n’a aucune attente des politiques là-haut. Il y a trop d’argent impliqué, de magouilles, d’opportunisme, d’effets d’annonce », estime-t-elle.
« Joe Biden ? Il va au moins dans le bon sens de l’Histoire ! »
Démocrate, républicain… elle voit à peu près les différences mais ne penche pas particulièrement vers un des deux. « Je ne constate pas de changements dans ma vie qu’on soit sous une présidence ou une autre », raconte-t-elle. Dans un souffle, elle dit avoir voté pour Joe Biden, comme si on risquait de lui reprocher le contraire.
Nous sommes assises sur le porche d’une petite maison dans un quartier arboré de Kansas City. C’est le QG de KC Tenants qui ne prend pas parti mais est « très clairement le plus à gauche qu’on puisse être dans le système politique américain », sourit sa fondatrice, Tara Raghuveer, 31 ans. « Vous savez, quand une de nos membres, Tania, qui est noire, me raconte qu’elle est allée voir les services administratifs en charge du logement, et qu’elle s’est disputée avec une autre femme noire dans la file pour obtenir son aide au logement… Tania se dit : « on ne devrait pas être en train de se battre entre nous, on devrait combattre les gens au pouvoir qui ont créé ce systême corrompu et dont on ne goûte qu’aux miettes ». Et bien, cette critique est anticapitaliste par essence, mais elle n’a pas eu besoin de lire Marx pour le faire. »
Peut-être le feront-ils bientôt d’ailleurs ? Tara Raghuveer ne cache pas le fait qu’ils organisent tous les samedis, pour leurs membres, des sessions de formation en éducation civique, en militantisme et en histoire politique. « Joe Biden ? Il va au moins dans le bon sens de l’Histoire ! », S’exclame-t-elle.
RFI avec Le Quotidien News