Quand l’insécurité tend à éclipser les vacances d’été !
5 min readLes vacances d’été sont cette période de l’année comprise entre juin et septembre où, à la faveur de la fermeture des classes, enfants, jeunes et adultes peuvent trouver le temps de se recréer et de profiter de la généreuse nature tropicale d’Haïti. À ce rendez-vous annuel figurent habituellement camps d’été, bains de mer, piscine, jeux traditionnels, visites en province et mille autres divertissements. Ces habitudes sont aujourd’hui menacées par la conjoncture socio sécuritaire et l’influence grandissante des nouvelles technologies.
Dès que le mois de juin sonne la fin des activités scolaires, c’est à cœur ouvert qu’est accueillie la période des vacances d’été, avec d’une part un peu de répit pour les parents, de l’autre des activités intéressantes pour les jeunes, et enfin de la relaxation pour les enfants. Mais en Haïti c’est surtout la dégustation des fruits d’été qui prouve à tous que les vacances sont bien là : melons d’eau, mangues, abricots, avocats, papaye,etc. C’est aussi l’occasion pour renouer avec certaines traditions comme les camps d’été pour enfants, organisés par des responsables d’écoles et/ou certains responsables de jeunesse d’églises, des journées de mer organisées en groupes de jeunes, ou encore les visites en dans les provinces (ale nan peyi w). Cette dernière est l’activité privilégiée des Port-au-Princiens durant cette période.
C’est à cette période de l’année aussi qu’on voyait souvent ressurgir certains éléments marquants de la culture haïtienne, comme les jeux de société traditionnels pratiqués par les enfants et même des jeunes. Saut à la corde, « marelle », « lago », « Mab » (billes), cerf-volant, « woulesèk », sont entre autres, des activités qui reviennent souvent une fois par an, soit lors des vacances d’été, que l’on soit en province ou à Port-au-Prince.
Pour cet ensemble de faits culturels et sociaux, le jeune sociologue diplômé de la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (UEH) Mathieu Mesieu, a les plus grandes craintes ; il redoute de les voir disparaître. « Ça fait déjà plusieurs années que l’on s’alarme sur le manque de préservation de nos traditions et de notre culture, lesquelles se manifestaient autrefois de manière bien plus évidente lors des périodes de grandes vacances. Et ceci bien avant la détérioration de la situation sociopolitique », reconnaît-il.
Il faut admettre que ces traits et mœurs typiquement haïtiens se dissolvent peu à peu dans une société en proie à des crises diverses. « De nos jours les divertissements privilégiés sont les ‘’Kawach » (Car Wash en anglais), des programmes DJ qui d’ailleurs se tiennent plus tôt dans l’après-midi qu’en soirée à cause de l’insécurité, et disons-le, Netflix puisque c’est ça la grande mode de nos jours », déplore le jeune licencié en sociologie. « Kawach » est en effet une activité estivale assez récente (il y a tout juste deux ans en plein confinement) où, dans une ambiance musicale très animée et en pleine rue, des jeunes s’aspergent d’eau avec des pompes de lavage d’autos, d’où le nom de l’activité. L’ambiance quoique décriée comme très peu recommandable aux mineurs reste malheureusement ouverte à tous.
D’un autre côté, c’est bien la situation économique et sociopolitique qui rend impossibles les journées de mer, les soirées « ti sourit », « les pools party » et autres activités estivales qui souffrent le plus de la conjoncture tant sécuritaire qu’économique. Carla, nom d’emprunt, dont les parents sont originaires de Petite-Rivière-de-Nippes mais qui vit à Port-au-Prince a fait part de son inquiétude avec l’insécurité qui sévit dans la capitale. « L’impossibilité de me rendre à la plage me frustre. J’ai surtout la nostalgie de la mer, je m’y suis rendue pour la dernière fois en 2018 et depuis je ne rêve que d’y retourner. Je me sens comme prisonnière de la capitale, d’autant plus que mes grands-parents sont originaires du Grand-Sud », a-t-elle fait savoir.
Il est aussi malheureux de constater que ce sont les réseaux sociaux Instagram, Facebook, TikTok etc., et les chaînes de séries télévisées comme Netflix, qui remplacent le temps que passaient les gens entre eux pendant ces périodes de vacances, de recréations et de rencontres. À un tel point que même les jeunes se plaignent de la différence entre les vacances de leur enfance et celles d’aujourd’hui : «Quand j’étais enfant, je passais rarement l’été à la maison. Le plus souvent chez mes grands-parents en province ou chez mes tantes. Maintenant avec la situation sécuritaire, beaucoup de zones sont devenues infréquentables, sans parler du kidnapping qui nous force à rester chez nous », témoigne encore Carla.
Elle reconnaît en ceci la cause de ce manque de socialisation directe au profit des connexions virtuelles qu’offrent les réseaux sociaux. « On perd ainsi peu à peu nos traditions, et finalement, les enfants semblent grandir trop vite avant l’âge. Les jeux collectifs s’éteignent en silence pour laisser place à une utilisation abusive par les enfants et les jeunes des gadgets électroniques », déplore-t-elle.
Au milieu de ce bouleversement social et culturel, l’ancien clivage entre province et capitale semble voué à disparaître ou même s’inverser, sans que ce soit dans le bon sens. Avec la montée de l’insécurité dans la zone métropolitaine, un nombre de plus en plus conséquent de jeunes partent s’installer en province, parfois attirés par des Organisations Non Gouvernementales (ONG) qui s’y installent, d’autres fois juste pour échapper à la pression de la vie dans la capitale. La vie provinciale devenant aussi plus attrayante pour la tranquillité et le plaisir de pouvoir profiter à plein de l’été, tandis qu’à Port-au-Prince, la ville est assiégée par des bandits.
Ainsi la saison estivale apporte son lot de bonheur, avec le soleil, la pluie bénie et les doux fruits, ainsi qu’un sentiment de nostalgie des traditions peu à peu oubliées. Mais aussi ses mauvais côtés où les jeunes Port-au-Princiens se retrouvent coincés dans leur ville avec peu de possibilités de déplacement sans risques. Presque pas de balades à la plage, moins de soirées ou de sorties à cause du kidnapping, un peu plus de Netflix et de temps sur les réseaux sociaux, puisqu’il faut bien tuer le temps. En attendant, les vacances d’été demeurent, pour ceux qui peuvent en profiter, la saison du beau temps.
Daniel Toussaint