Redouté l’action destructrice des foules en 2021 et 2022 : évitons que les mêmes causes produisent les mêmes effets
5 min readL’une des saillantes caractéristiques du règne du président Jovenel MOÏSE est la radicalisation de la position des principaux acteurs politiques tant du côté du pouvoir que de l’opposition. Ainsi, le dialogue sincère qui pourrait éviter au pays le chaos n’a jamais été engagé. Par ailleurs, l’histoire du pays enseigne cette leçon que les acteurs politiques haïtiens de tous les temps refusent toujours d’apprendre, en effet, lorsque les factions politiques rivales se tiennent sur la corde raide en écartant toutes possibilités de compromis, l’issue va se jouer dans les rues. Toujours est-il que les foules se mêlent de la partie, avec tout un cortège de malheur comme conséquence : pillages, incendies, meurtres etc. Cela a été ainsi avec Sylvain SALNAVE (1867-1869) et Vilbrun GUILLAUME SAM le 28 juillet 1915, les évènements du 25 mai 1957 ne l’ont pas démenti, les récents événements baptisés « Peyi lòk » le confirme encore.
Comparé à 2018 et 2019, l’année 2020 est moins jalonée par les désastreuses mobilisations de multitudes où des foules fanatisées portent l’horreur au pinacle. Cependant, si les foules sont moins présentes sur la scène politique haïtienne cette année, c’est que les préoccupations sanitaires liées à la pandémie de COVID-19 avaient éclipsées pour un certain temps les conflits politiques, cela s’explique aussi par les querelles intestines de l’opposition. Ce répit n’empêche pas pour autant qu’Haïti soit toujours comparable à ce baril de poudre que la moindre étincelle pourrait faire exploser. Disons que, nul n’est certains que les deux (2) facteurs qui ont épargnés au pays les désastres des foules en 2020 vont jouer de la même manière en 2021 et 2022. En fait, pour ces deux années, les enjeux politiques seront de taille et vont engager les mêmes acteurs entêtés que nous connaissons tous. Parmi ces enjeux politiques, nous pouvons citer : les controverses liées à la fin du mandat du président MOÏSE, le renouvellement d’une partie du personnel politique par des élections. À l’heure actuelle, ces sujets sont loin d’amener à la concorde. Si du côté du pouvoir, on ne transige pas sur la date du 7 février 2022, l’opposition ne l’entend pas de cette oreille, pour elle, le président MOÏSE ne doit pas aller au-delà du 7 février 2021. De plus, l’opposition opte pour qu’une transition prenne le relais du président MOÏSE, ce dernier tient mordicus à passer le pouvoir à un président élu. Par ailleurs, en Haïti, ces vingt (20) dernières années, les élections sont souvent suivies d’instabilités politiques. Donc, personne ne va supposer que les prochaines joutes électorales vont faire exception. La réalité, c’est que, les candidats malheureux refusent la plupart du temps d’admettre leurs défaites, et, comme stratégie, l’option préférentielle est de mobiliser leurs partisans pour faire échec au verdict des urnes au lieu d’épuiser les recours légaux. Cette pratique, on l’a vécue en 2006, 2010-2011 et 2015-2016. Fort de ces considérations tout observateur est en droit de supposer que 2021 et 2022 vont être très tourmentés, rappelons-le, politiquement, les enjeux seront de taille.
En Haïti, l’expérience enseigne que lorsque les enjeux politiques sont de taille, et que les protagonistes se retranchent fermement derrière leurs positions, au moins l’un d’eux va jouer la carte des mobilisations populaires, en terme clair, cet acteur va mobiliser des foules pour influencer le cours des évènements à son profit. Et, dans ces contextes l’utilisation des foules avaient la plupart du temps abouties aux résultats escomptés, Gustave LE BON n’a-t-il pas dit en 1895 que : » […] la puissance des foules est la seule force que rien ne menace […] « ?
L’étude psychologique des foules a été faites dans des perspectives criminologiques avec Scipio SIGHELE (1891) et Gabriel TARDE (1893, 1897, 1901,); Émile ZOLA (1894) et Jorris Karl HUYSMANS (1906) se sont penchés sur le côté religieux de la question; Gustave LE BON (1895, 1910, 1911), l’a faite sur le plan politique; Sigmund FREUD (1921) et Wilhelm REICH (1933) l’ont abordée par la psychanalyse; Serge TCHAKHOTINE (1968), a montré comment la propagande nazie s’était servie de la mobilisation des foules à son profit; Serge MOSCOVICI (1981), dans « L’âge des foules, un traité historique de psychologie des masses » a passé en revue les travaux de ses devanciers, et a demontré qu’en dépit de certaines réserves et faiblesses théoriques qu’ils tiennent toujours la route. Ces auteurs n’ont pas manqué d’insister sur leurs soumissions aveugles à leurs chefs ou meneurs, leurs extrêmes réceptivités -qu’il appelle suggestibilité-, leurs absences d’esprits critiques, le haut degré de leur émotivité, leur impulsivité, leur tendance à accomplir immédiatement l’acte suggéré.
En Haïti, hormis les foules religieuses et les foules de fêtes (bals, festivals, carnavals, fêtes champêtres etc), les foules mobilisées à des fins politiques offres souvent le spectacle de scènes de violences effroyables, ce que l’histoire tant lointaine que contemporaine du pays a prouvée. Si beaucoup de jeunes non féru d’histoire n’ont pas connus l’invasion du parlement par les partisans du président SALNAVE en 1867 (DORSAINVIL 1942, DELORME 1873) ou son invasion par les partisans du président ESTIMÉ en 1950 (DIEDERICH 1986), ils ont peut-être entendu parler du « rouleau compresseur », force de frappe du leader du M.O.P, le Professeur Daniel FIGNOLÉ, et, la jeunesse a certainement vécue les horreurs des évènements du 6-7 juillet 2018 et se souvient encore des néfastes évènements baptisés « peyi lòk » en 2019. Ne soyez pas surpris, si des événements semblables adviennent en 2021 et 2022 ! Attendez-vous à ces slogans expressifs qui attisent les passions déjà excitées ! Ne nous voulant pas prophète de malheur, nous pouvons néanmoins affirmer que les conditions sont réunies pour que les mêmes causes produisent les mêmes effets, n’oubliez pas que pour 2021 et 2022 les enjeux politiques seront de taille et engageront les mêmes acteurs, et, historiquement ça se passe souvent ainsi. Cependant, il ne s’agit pas d’une voie irréversible, la pente n’est pas fatale, les événements redoutés peut-être par tous peuvent être évités par un dialogue sincère et aboutissant à des solutions acceptables pour tous. Ce qui est certain, la rentrée en scène des foules a toujours pour corolaire, un cortège de malheur, et, il est du devoir des protagonistes de la politique haïtienne d’éviter au pays ce danger imminent, afin que leurs noms ne soient pas exécrés par les générations futures.
Jefferson PIERRE-LOUIS.
Étudiant en psychologie à la Faculté Des Sciences Humaines.
jpierrelouis918@gmail.Com