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12 janvier 2010 : des souvenirs profondément ancrés dans l’âme de toute une génération

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12 janvier 2010 – 12 janvier 2023, treize années depuis qu’un violent séisme a frappé Haïti, laissant dans son sillage pas moins de 300 000 morts, des blessés, et des milliards de pertes matérielles. Treize ans plus tard, les nouveaux adultes, enfants en 2010, gardent encore les souvenirs de l’une des plus grandes tragédies de ce 21e siècle, et dénoncent un pays encore plus vulnérable.

« 13 ans après la catastrophe du 12 janvier 2010, le peuple haïtien se souvient encore de ses milliers de morts, de blessés, ainsi que d’innombrables dégâts matériels », a déclaré le Premier Ministre Ariel Henry le 12 janvier 2023 sur Twitter, alors que cette date semble avoir disparu du registre des jours fériés. Treize années se sont peut-être écoulées, mais le pays porte encore la marque de la catastrophe, le Palais National effondré n’a jamais été reconstruit, de même que le Palais Législatif (Parlement), et les abris de fortune colorent encore certains quartiers dans les grandes villes du pays, indiquant les souffrances d’une population  abandonnée.

Pour ceux qui, aujourd’hui, sont âgés de 20 à 30 ans, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 est un souvenir d’enfance, une histoire effrayante pour certains, et une lame aiguisée pour d’autres, laissant de profondes cicatrices. Pour Belle qui avait 10 ans en 2010, les souvenirs sont encore frais. « En cet après-midi du 12 janvier 2010, je regardais un feuilleton dans le salon quand la terre a commencé à trembler. L’électricité a tout de suite été coupée dans la maison et je me suis précipitée vers la fenêtre de ma chambre. C’est par là que j’ai remarqué qu’il n’y avait pas que ma maison qui était secouée, ce n’étaient pas les ouvriers, mais toute la zone qui tremblait. La terre a tremblé pendant environ une minute que j’ai passée à l’intérieur », raconte celle qui a cru un instant que c’était du fait des ouvriers qui réparaient depuis quelques jours le toit de sa maison familiale.

Enfant, elle explique n’avoir pas tout de suite compris ce qui se passait. « En sortant, j’ai trouvé tout le monde à genoux, ils disaient le faire à cause du tremblement de terre, c’est là que j’ai su de quoi il s’agissait réellement », raconte celle qui est aujourd’hui étudiante en Agronomie. Aucun membre de sa famille proche n’a été victime, la native de Saint-Marc se dit soulagée, et triste pour les victimes. « Soulagée de ne pas avoir été victime. Triste pour les victimes: surtout en imaginant ce qu’ils avaient dû éprouver au moment de l’avènement du séisme. J’ai moi-même eu ma marraine de graduation (dernière année d’études préscolaires) qui a disparu en ce jour. Nous n’avions aucune nouvelle d’elle, aucune trace sinon que l’université qu’elle fréquentait  à ce moment-là s’était effondrée avec des étudiants à l’intérieur ».

Christellande elle aussi, 9 ans lors des événements, a eu la chance de ne point compter de victimes dans son entourage. Elle explique n’avoir pas tout de suite compris ce qui se passait. « Je ne m’étais pas rendu compte que c’était quelque chose d’aussi grave. D’habitude, un bulldozer faisait trembler la zone en passant. J’ai d’abord cru que c’était de son fait, mais le bulldozer n’est jamais passé. Ce n’est qu’en descendant  une minute après que j’ai remarqué les dégâts, des débris par terre, des gens qui étaient dans tous leurs états … », raconte celle que l’événement a surprise  alors qu’elle venait de réviser ses leçons.

Pour celle qui est aujourd’hui étudiante en sciences de la Finance, il est navrant que le pays n’ait pas retenu les leçons de 2010, conséquences déjà observées le 14 août 2021. « Jusqu’à aujourd’hui encore, nous n’avons tiré aucune leçon. En 2010, Port-au-Prince ainsi que la plupart des grandes villes du pays ont été détruites. En août 2021, le Grand Sud a été frappé de la même manière, et nous avons encore une fois compté nos morts par milliers. Nous construisons de manière irrégulière malgré les promesses de construction parasismique après 2010. Mais elles sont restées des promesses, sauf en de rares exemples », s’indigne Christellande, originaire de la Grand’Anse.

Quant à Sébastien, un peu plus âgé que les autres, 12 ans en 2010, la mémoire est vivante et les pertes ont été lourdes. « J’ai encore la mémoire de cette catastrophe. J’en garde de très mauvais souvenirs, jamais auparavant je n’avais vécu de pareilles choses ». « J’y ai perdu des proches. Deux cousins, Samson et Tony. Ils étaient étudiants, le bâtiment de leur université s’est effondré, et ils n’ont pas survécu malheureusement », explique celui chez qui le deuil est encore douloureux.

« Au cours des  premières secondes, j’ai cru que c’était la fin du monde. C’était inhabituel. Mais j’ai vite compris que c’était un tremblement de terre, et j’avais très peur. Peu de temps après, on allait apprendre via une station de radio qui fonctionnait encore que tout le pays était touché, le séisme avait tout détruit », raconte Sébastien, journaliste sportif et étudiant en Sciences Politiques. Pour lui, les blessures psychologiques ont été profondes, causant un trouble respiratoire qui a duré des semaines. « Jamais je ne souhaiterais revivre ça. On a vu des camions remplis de cadavres qui débarrassaient les rues. C’étaient des gens ordinaires, et ils étaient morts. J’ai été profondément atteint », s’indigne celui qui dénonce l’absence de leçons tirées de la tragédie. « On dirait que ce séisme nous a juste appris comment nous faire encore beaucoup plus de mal. On lui offre chaque jour des opportunités de nous faire beaucoup plus de mal, et c’est dommage ».

L’activité sismique, un quotidien sournois

Par-delà les grands séismes qui ont marqué les esprits  en raison des milliers de morts, l’activité sismique est quasi-quotidienne dans le pays, bien que de très faible intensité. Dans le « Bulletin sismique de la République d’Haïti pour l’année 2022 », publié par l’Unité technique de sismologie (UTS) du Bureau des Mines et de l’Énergie (BME), il est fait mention d’un nombre inquiétant de séismes durant l’année 2022. « Mille quatre cent cinquante et un (1451) séismes de magnitude comprise entre 0,7 et 5,5 ont été enregistrés. La plus grande magnitude notée pour l’année 2022 a été de 5,5 survenue à 8h16’22’’ le 23 janvier près de la ville d’Anse-à-Veau dans le département des Nippes », soit une moyenne de 109 séismes par mois, plus de trois par jour.

Pour les trois départements du Grand Sud les plus touchés, à savoir les Nippes, le Sud et la Grand’Anse, 1 195 séismes ont été dénombrés, dont la plupart dans la Grand’Anse. « Il est à remarquer que le département de la Grand’Anse a connu une intense activité sismique durant toute l’année 2022 avec 634 séismes sur 1195, soit 53 % de ces séismes », lit-on dans le bulletin du BME. « La Grand’Anse, les Nippes et le Sud se retrouvent en tête de liste en raison des conséquences du séisme de magnitude 7,2 survenu le 14 août 2021 dans le département des Nippes », explique l’institution dirigée par l’ingénieur-géologue Claude Preptit.

Malgré la résurgence et l’intensité de la menace, les mesures de redressement et de l’amélioration des capacités de résilience du pays face à ces menaces extrêmes n’ont toujours pas été prises, et le pays est plus que jamais vulnérable. Déjà enfoncé dans une très grande crise, multidimensionnelle, le pays a été épargné lors de la saison des ouragans en 2022, mais le manque de préparation est inquiétant. 2023 sera-t-elle une année aussi clémente ?

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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