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219e anniversaire du bicolore haïtien : la controverse autour du « vrai » drapeau national

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L’œuvre légendaire de Catherine Flon, laquelle cousait avec patriotisme le 18 mai 1803 les deux bandes d’étoffes bleu et rouge formant la bannière révolutionnaire haïtienne, est aujourd’hui controversée. Au fil du temps, et sous l’influence de divers changements de régimes et de Constitutions, le drapeau national  haïtien ainsi que ses emblèmes ont subi maintes mutations. À date, la question des « vraies » couleurs nationales  est sujette à débat. La Fête du Drapeau et de l’Université  a été l’occasion pour la jeunesse haïtienne et les universitaires notamment, de repenser l’importance de ce symbole national.

Le drapeau est l’emblème de la Nation, lit-on, sans ambigüité à l’article 3 de la Constitution Haïtienne en vigueur.  Si la plupart des peuples du monde ont une bannière, celle de la République d’Haïti possède sans nul doute l’histoire la plus fascinante, née d’une épopée vivante et ponctuée de divers changements symboliques dans la disposition de ses bandes, leurs couleurs ou les armoiries. Néanmoins, les mutations du drapeau national ont engendré une certaine sensibilité et même une confusion autour de la question des couleurs nationales, puisque l’on voit souvent défiler même lors de la Journée du Drapeau des manifestations nationales accompagnées de bannières de différentes couleurs.

Le 18 mai a été consacré comme la Fête du Drapeau et de l’Université par la Constitution de 1987.Chaque année, cette fameuse date voit  l’organisation de plusieurs manifestations culturelles et scientifiques partout dans le pays. Le 219e anniversaire du bicolore haïtien cette année  a été commémoré sur fond de crises économiques, sociales et politiques, mais aussi identitaire. Car à nouveau se pose la question du « vrai » drapeau ou de ses véritables couleurs. Un débat qui revient en force dans les milieux médiatiques, universitaires et sociaux, indiquant une société qui se cherche jusqu’au niveau de ses symboles les plus sacrés et les plus anciens.

À cette occasion, le Mouvement National pour un Réveil des Citoyens Haïtiens (MONARCH) a tenu une conférence-débat autour du thème « Un autre drapeau, une autre gouvernance pour Haïti », à Iguana Café sur les hauteurs de Canapé-Vert à Port-au-Prince. Des personnalités comme Marc-Arthur Drouillard, Ginette Mathurin et Bilolo Kongo ont profité de cette tribune pour appeler à un réveil du peuple haïtien qui devrait, selon eux, remettre en noir et rouge les couleurs du drapeau national.

L’artiste Bilolo Kongo pense en effet que le drapeau « original » noir et rouge est lié au vaudou, lui-même intimement lié à l’identité nationale haïtienne. Nier le noir et rouge revient donc à nier les origines vaudouesques de la Nation, ce qui selon l’artiste est l’une des plus grandes causes des maux des Haïtiens aujourd’hui. Le MONARCH  a également organisé le même jour une marche avec les jeunes présents lors de l’activité, brandissant des bannières et soufflant dans des lambis peints aux « véritables » couleurs nationales.

Le fait que l’Université partage avec le Drapeau haïtien la journée de commémoration du 18 mai révèle l’importante mission de cette dernière dans la sauvegarde de l’emblème de la Nation. En effet, c’est en août 1920 que Dantès Bellegarde, alors Secrétaire d’État à l’Éducation du gouvernement de Dartiguenave sous l’occupation américaine, créa la Fête de l’Université afin qu’elle coïncide avec celle du Drapeau. Selon l’ancien député Jerry Tardieu, le nationaliste Bellegarde voulait par ce geste symbolique « jeter les bases d’une université forte, fière, digne et première défenseure du drapeau national et du pays. »

Perkens, un jeune étudiant de l’Université d’État d’Haïti présent à la conférence-débat du MONARCH argumentait : « Revenir aux couleurs et aux idéaux dessaliniens ne servira à rien si les Haïtiens ne tiennent pas compte des leçons apprises au cours de ces deux siècles d’indépendance. On peut toujours revenir aux couleurs de l’Empire d’Haïti et répéter les mêmes erreurs qui nous ont conduits jusqu’ici. C’est justement ce qu’il faut éviter ».  

Force est de constater malheureusement que les Haïtiens se sentent de moins en moins unis sous la bannière unique du bicolore bleu et rouge. « En tant que Gardienne du Drapeau National et de ses symboles, l’Université haïtienne devrait se donner comme mission de faire reconnaître et respecter l’emblème du pays par tous les Haïtiens, en tenant compte de son histoire et de tous les aspects symboliques qu’ont représenté au cours des ans ses différentes mutations », confirme Elinet Casimir, chercheur à l’Université d’État d’Haïti et Vice-doyen à la recherche de l’Institut National d’Administration, de Gestion  et de Hautes Études Internationales (INAGHEI).

Créée à l’Arcahaie le 18 mai 1803 par le Congrès des Généraux de l’armée révolutionnaire indigène, la première bannière nationale arborait le bleu et le rouge en bandes verticales, pour symboliser l’union des noirs et des mulâtres. La suppression du « blanc » signifiait la disparition de l’ennemi principal, le colon blanc, qui divisait le peuple par les préjugés de couleurs. La Constitution impériale d’Haïti adoptera le noir et rouge mais la mort prématurée de l’empereur Jacques 1er reléguera ces couleurs au rang d’un rêve nostalgique que reprendront successivement le Roi Henry 1er entre 1811 et 1820, puis les Duvalier père et fils entre 1964 et 1986. C’est la Constitution de 1987 toujours en vigueur qui a rétabli les couleurs et dispositions des bandes du drapeau à celles d’avant 1964.

Daniel Toussaint

danieldavistouss@gmail.com

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