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Le Grand Cimetière de Port-au-Prince, un patrimoine au destin funeste

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Au coeur de la capitale se trouve le haut lieu du repos éternel. Au fil des ans, il a perdu en splendeur et en valeur. Il se perd dans sa vocation de séjour des morts en se transformant en quartier populaire. Le Grand Cimetière de Port-au-Prince ne fait plus la fierté des grandes familles de la capitale, et s’est érigé comme référence en devenant un repère de la honte.

Le grand cimetière a été construit en 1770, la même année que la ville de Port-au-Prince qui fut déclaré capitale coloniale de Saint Domingue dans la localité de Morne-à-Tuf, appelée ainsi à cause de la nature de son sol aplanie sous la colonie. Le cimetière intérieur, ancien cimetière de la paroisse de Port-au-Prince à l’époque coloniale à l’angle Sud-Est de la Place Royale (ou Le Brasseur), actuelle place Ste-Anne ou Marché Debout et de la rue Dauphine (actuelle rue du Centre) dans ce qu’on appelait alors la seconde section de la nouvelle ville (établie en 1751 par M. de Verville, Directeur Général des Fortifications, sur le terrain de l’Habitation Morel et Bretton des Chapelles, l’ancienne ville ayant été établie en 1749 sur l’habitation Randot.

 Le cimetière avait à l’origine 55 toises de long sur 30 de large (107 mètres sur 58,5) et était entouré d’un mur de 7 pieds de haut (2,27m), dont le tiers de la dépense avait été payé par le Roi de France. On n’y enterrait que les morts de l’hôpital militaire.  En 1775, on y transporta solennellement les ossements restés sur l’emplacement d’une vieille église. Une paroisse fut créée en 1786, en son milieu, ainsi qu’une chapelle. Désaffecté, le grand cimetière ne recevait des inhumations qu’avec une autorisation spéciale. Lors de l’édification de l’église, dans son angle Nord-Ouest, de nombreuses tombes furent détruites, ce qui entraîna la démission du Président du Conseil de Fabrique Joseph Pasquier et la promulgation d’une loi autorisant « la conservation des restes au même lieu moyennant la pose d’un marbre indicatif » par les intéressés après entente avec le Conseil de Fabrique.

Compte tenu de son ancienneté, de son intégration dans le paysage urbain de Port-au-Prince et de la représentativité symbolique des personnalités qui y ont été inhumées, telles que d’anciens Gouverneurs ou dirigeants (Boisrond Canal, Denis Légitime, Daniel Fignolé, François Duvalier, etc.), le cimetière mériterait une action de conservation patrimoniale qui justifierait la valeur esthétique et architecturale des monuments funéraires qu’il abrite. Cependant, il est devenu peu à peu la risée des patrimoines bâtis. Les tombes éventrées, des ossements de cadavres et des flaques d’eau boueuses dans les allées. Des caveaux abandonnés sont spoliés. D’autres sont habités par des familles entières. Une aile sombre sert d’hospice pour les prostitués et les braqueurs. Des emplacements de caveaux sont vendus à la va-vite, dépouillées des cadavres fraîchement enterrés. Un grand pieu sale réservé pour brûler des corps volés. Le Jour des Morts, le recueillement est transformé en espace de programme ou les dj et les vodouisants  se rencontrent dans un mélange d’odeur de chair pourrie, de florida et d’alcool. La séparation de tchaka reste la seule tradition, en mémoire de l’esprit du lieu.

Le grand cimetière fait peur par les actions occultes qui s’y exercent ainsi que par les vols, les viols et les démarches suspectes qui se perpétuent en ses alentours. Le repos est une histoire ancienne. Les grandes familles ne se voient plus être enterrées au milieu de ces turbulences sans répit. C’est la fin d’une histoire grandiosement funeste et honteuse.

Genevieve Fleury

genevievef359@gmail.com

Ref :Revue Haitienne d’histoire et de géographie, mars 1990, no.165

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