Haïti-Justice : Controverse autour du renouvellement du mandat de 58 juges
3 min readLe Gouvernement d’Ariel Henry a procédé au renouvellement du mandat de 58 juges dans l’appareil judiciaire haïtien. En effet, sur une liste de 88 juges soumise par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) à l’Exécutif, seulement 58 ont été retenus. Ce qui suscite déjà de vives polémiques. Me Marthel Jean Claude, Président de l’Association Professionnelle des Magistrats, fait le point sur le sujet.
Me Marthel Jean Claude, professeur de Droit Civil, juge d’instruction au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince et président de l’Association Professionnelle des Magistrats (APM) s’est exprimé sur la nomination récente des 58 juges dans une interview accordée au journal Le Quotidien News, le mercredi 23 mars 2022. En effet, pour celui qui est l’auteur du livre « Les Régimes Matrimoniaux », une réforme sur le processus de nomination des juges est nécessaire. Selon lui, la politique entrave trop souvent ce processus, ce qui a pour conséquence de laisser des sièges vides au niveau des tribunaux.
Panorama de la situation
Le Président de l’Association Professionnelle des Magistrats a fait savoir au journal que plusieurs postes sont vacants à tous les niveaux de juridiction du pays, mais aussi à la Cour de Cassation. Et cette situation, selon lui, ne fait qu’aggraver la lenteur observée dans le traitement des dossiers et engendre des préjudices graves pour les justiciables alors que l’État est le garant de la justice.
Nomination inconstitutionnelle
Selon Me Jean-Claude, il est impossible d’appliquer les dispositions de la Constitution de 1987 qui stipule en son article 177 : « Les juges de la Cour de Cassation sont nommés par le Président de la République sur une liste de trois (3) personnes par siège soumise par le Sénat. Ceux des Cours d’appel et des tribunaux de première instance le sont sur une liste soumise par l’Assemblée départementale concernée; les juges de paix sur une liste préparée par les Assemblées communales. ». Le fait qu’Haïti n’a pas de président à sa tête contraint les autorités à trouver des solutions, même si ces dernières vont à l’encontre de la loi.
Celui qui a fait ses études à l’École Nationale de la Magistrature (ENM) en France à Bordeaux, et à l’École de la Magistrature (EMA) en Haïti, a laissé entendre que le renouvellement du mandat des juges, c’est incontestablement une bonne chose, vu la conjoncture actuelle. Toutefois, il a ajouté que sur la liste des 88 juges soumise par le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire (CSPJ) à l’Exécutif, 58 juges seulement ont été retenus. Il considère que c’est un caprice du Gouvernement qui n’a d’ailleurs donné aucun motif sur cette sélection même si Ariel Henry a souligné dans une adresse à la nation, le vendredi 18 mars 2022, que ceux qui ont été écartés font l’objet de plaintes.
Me Marthel Jean Claude a indiqué que le CSPJ avait donné un avis favorable à la nomination de ces magistrats. Cette décision du Gouvernement, selon lui, porte atteinte à « l’indépendance du pouvoir judiciaire » et met en péril la carrière des juges non sélectionnés. Le président de l’APM a aussi fait savoir qu’il attend la liste pour demander au Premier Ministre de notifier ses raisons. Par la même occasion, le magistrat a dit qu’il entend engager des pourparlers le moment venu pour que les droits de ceux qui ne sont pas nommés ne soient pas bafoués.
L’insécurité, obstacle constant
Les conditions de travail des magistrats, surtout ceux de Port-au-Prince, sont insoutenables. À telle enseigne qu’ils réclament la délocalisation du Palais de Justice de Port-au-Prince pour des raisons sécuritaires, sans compter le fait que d’autres causes structurelles empêchent aussi la bonne marche des tribunaux. Avec l’incapacité des acteurs politiques et de la société civile à trouver un consensus, on se demande s’ils veulent vraiment sortir de cette situation qui oblige à prendre des mesures exceptionnelles pour enfin se conformer aux dispositions des textes de loi, qui sont les seules voies légales ?