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Élimination des violences contre les femmes : Plaidoyer pour une déconstruction de l’ordre social  sous domination masculine

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D’aussi loin que l’on puisse remonter à travers l’histoire de l’humanité, la violence a toujours marqué les relations humaines. Cette violence, qu’elle soit exprimée physiquement ou de manière symbolique, constitue une tache sur le tableau de la socialisation. Hormis les violences nées de discordes entre des individus ou des groupes d’individus, il existe aussi des violences découlant de la domination de certaines catégories sociales sur d’autres. Karl Marx appelait « lutte des classes » ces oppositions constantes et ininterrompues entre oppresseurs et opprimés, par exemple entre hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, etc. Une autre opposition ne découlant pas de l’affrontement entre les classes sociales, mais qui est à l’origine de violences continuelles, est celle qui concerne la relation homme-femme. 

La domination masculine résultant de l’opposition homme-femme fait l’objet aujourd’hui d’une lutte permanente pour tenter de briser les chaînes de l’oppression. Des dispositions sont prises, en particulier au niveau de l’État afin de mettre fin à la domination masculine qui est à l’origine des violences contre les femmes. Toutefois, les violences contre les femmes ne peuvent pas être éliminées de manière définitive aux moyens de lois ou de décisions politiques. La raison est simple, ces dernières ne peuvent ni changer ni faire évoluer les mentalités collectives puisque les violences sexistes et sexuées prennent forme dans l’inconscient socialement constitué.  

Des défenseurs de la domination masculine posent comme postulat qu’elle est de l’ordre du naturel. Cependant, traitant de ce sujet, le sociologue Pierre Bourdieu démontre que la domination masculine est « un inconscient sexiste constitué par la socialisation qui tend à survivre à la transformation des structures sociales. » Ainsi, pour paraphraser aussi le philosophe Jacques Derrida, les hommes feignent «une fausse naturalité» de la domination.  

La transformation des structures sociales a engendré une série de dispositions permettant d’encadrer les violences faites aux femmes comme étant des crimes, des actes antisociaux. Ces violences constituent, entre autres, une violation de leurs droits à évoluer dans le monde en toute sécurité. Malgré les nombreux efforts en la matière, des millions de femmes subissent des actes de violence et des dizaines de milliers en décèdent chaque année. Pour illustration, près de 87 000 femmes dans le monde ont été tuées en 2017, selon ONU Femmes, la majorité par des hommes. 58% d’entre elles l’ont été par un partenaire proche ou par un membre de leur famille. L’universalité de ce phénomène est déroutante, toutes les régions du monde en sont touchées. En 2017, 20 000 femmes sont mortes sur le continent asiatique, 19 000 en Afrique, 8 000 aux Amériques, 3 000 en Europe et 300 en Océanie, toujours selon ONU Femmes.  

Il est nécessaire de souligner que la répression des crimes et d’autres comportements antisociaux ne  suffit malheureusement pas à les éliminer. Poser comme équation la répression  – aussi sévère soit-elle – en vue de dissuader les agresseurs n’aurait comme résultat que de vaines tentatives futures afin de légitimer de mauvaises solutions parce que, comme tous les types de violences déjà réprimées, celles envers les femmes continueraient. Il convient donc, pour véritablement éliminer les violences faites aux femmes, de s’attaquer aux racines du mal, tout en continuant bien sûr à mobiliser les efforts de répression des comportements violents, ce qui reste et demeure des « réactions post-actes ». 

Vu que les violences faites aux femmes sont d’abord et avant tout symboliques, dans le sens où les femmes en sont victimes à cause de la place qu’elles occupent, la révolution féministe doit être aussi une révolution symbolique qui s’attaquera aux structures mentales des individus – femmes et hommes – qui interagissent dans les structures sociales. Au-delà de ces concepts, il s’agit concrètement de changer les structures sociales, que ce soit au niveau religieux, politique, économique, culturel ou éducatif. En guise d’exemples, au niveau économique, garantir l’égalité des salaires homme-femme pour un même travail ; au niveau politique, formuler et  respecter des quotas d’égalité homme-femme dans les postes politiques ; combattre les comportements discriminatoires à l’égard des femmes basés sur les principes religieux dans les espaces publics ; et augmenter en quantité et en qualité les enseignements d’égalité dans les établissements scolaires depuis les premiers pas de l’enfant, etc. Une fois que les structures sociales cesseront de soutenir et de reproduire cet inconscient sexiste, l’heure sera donc aux actions unitaires qui permettront de mettre un terme à tout ce cycle de violence. 

Une telle lutte paraît horriblement longue, complexe et difficile, et c’est évidemment le cas. De telles pratiques ont été construites et se sont reproduites au fil de millénaires dans les mentalités collectives, il est donc évident qu’elles ne seront pas éliminées par le moyen de procédés simplistes et réactionnaires. Ce sera ainsi une révolution de longue durée. Alors à la question comment éliminer les violences faites aux femmes, je réponds en résumé qu’il faut d’abord réprimer fermement les violences physiques et symboliques extérieurement exprimées, ensuite déconstruire l’ordre social de la domination masculine tout en dénonçant sa fausse naturalité, reconstruire un ordre social plus juste et égalitaire, et universaliser la lutte des victimes de violences symboliques, à savoir – entre autres – les femmes, les enfants, les marginaux, etc. Comme disait Marx pour le prolétariat, « Victimes de violences symboliques du monde entier, unissez-vous ! ».

Schnaïdine Nicolas

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