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À la rencontre de l’enseignante Melissa Pierre Michel : entre passion et souvenirs

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Melissa Pierre Michel est enseignante depuis près de vingt ans. Elle enseigne au niveau du primaire dans une école nationale. Une passion qui l’a emportée durant toute sa vie et à laquelle elle s’est vouée avec autant de bonheur que de chagrin. Elle s’est confié au journal le Quotidien News en se remémorant les souvenirs qui ont forgé sa vie aux côtés de milliers de petits visages affamés de connaissances.

Durant la période de la crise politique qui a amené le départ des Duvalier, Melissa Pierre Michel était étudiante à l’École Normale Supérieure de Port-au-Prince. Elle avait fait ce choix suivant l’ordre de ses parents à l’époque qui voulaient qu’elle soit infirmière ou professeure, soit les deux professions réservées aux filles de bonne famille durant la fin du XXème siècle en Haïti.

« À l’époque, les filles laissaient l’école pour devenir couturière ou pâtissière. Celles qui réussissaient leur baccalauréat devaient choisir entre infirmière ou professeure. D’ailleurs quel que soit le choix, le résultat était toujours un mariage arrangé », explique l’enseignante.

Ayant été diplômée après quatre années d’études, Mme Pierre Michel fut nommée enseignante à temps plein à l’École Nationale République du Guatemala, une institution réservée uniquement pour les fillettes. Elle a ainsi débuté sa carrière au milieu de petites filles lui rappelant son enfance passée au milieu de longues allées de plantations de café de Kenscoff, dont l’argent a servi pour subvenir à ses besoins durant ses études à la capitale.

« Mon premier jour dans une salle de classe a été mythique. Je regardais les filles et je voyais mon reflet dans leurs yeux. Elles me souriaient et j’ai succombé au charme de la profession. Jusqu’à ce jour, enseigner est une magie qui s’opère entre les enfants et moi, je n’ai pas les mots », se remémore-t-elle.

Ainsi commence la longue carrière de Mme Pierre Michel en tant qu’enseignante. Elle traverse les crises politiques, les catastrophes naturelles et les problèmes parentaux auxquels sont exposés les enfants. Ce qui perturbe leur éducation et empêche le cours de se dérouler de manière fluide. L’éducatrice devait jouer le rôle de mère, de psychologue et de meilleure amie pour des enfants qui lui racontaient les moindres détails de ce qui se passait chez eux. Parfois, elle en revenait malade. Toutefois, cela n’empêche pas qu’elle ait pris goût à ce qu’elle faisait. Les méthodes utilisées autrefois pour éduquer les filles ne se résumaient pas seulement aux livres, mais aussi à d’autres sujets pratiques destinés à aider les filles une fois matures.

« La famille faisait sa part du travail et moi la mienne. Celle de faire des femmes  formées sur une base disciplinée et stricte. Après son passage en cours primaire, une fille devrait savoir préparer un discours, coudre, cuisiner, mettre la table, c’était un mélange éducationnel basique qui donnait de bons résultats. Ce n’est plus le cas maintenant », regrette Mme Pierre Michel.

Avec l’évolution de la communication et de la technologie, l’éducation a pris un tournant qui tend à détruire les efforts des professeurs. Mme Pierre Michel se retrouve parfois à faire des cours dans une salle où toutes les élèves sont attachées à leur téléphone. Elle parle dans le vide, elle s’adresse à une salle silencieuse et suspecte.

« Les filles sont connues pour être bavardes ; travailler avec une salle silencieuse, cela ramène à chercher d’où vient le problème et il n’est jamais loin », se plaint la professeure.

Devant l’échec scolaire que subit la génération actuelle, Mme Pierre Michel reproche aux parents de rendre difficile la tâche des professeurs en encourageant leurs enfants à se livrer à des activités qui parasitent leur cerveau. Les enfants préfèrent se réfugier derrière leur écran de téléphone au lieu d’apprendre à découvrir les secrets de la connaissance.

« Je ne peux pas forcer à plusieurs reprises une fille. Autrefois, un regard suffisait pour faire revenir une élève à la concentration, maintenant, ils ont la tête baissée, les yeux rivés sur leur écran, ils n’ont pas le temps de vous regarder dans les yeux », explique la professeure soulignant que c’est comme si elle faisait les cours à des épouvantails.

La vie scolaire est un véritable défi ; la technologie finira par avoir raison de lui.Compte tenu des nombreuses exigences auxquelles les professeurs sont astreints, Mme Pierre Michel trouve que c’est devenu de plus en plus compliqué. « On fait face à différents problèmes, on ne saurait faire plus. Les professeurs ont toujours des maux d’estomac, un manque de sommeil chronique et la peur de l’échec. Voir réussir tous ses élèves est un rêve qui se répète chaque année. Cependant, il y en a toujours une qui empêche ce rêve de le réaliser ».

Les dernières crises qu’a connues le pays ont été une véritable torture pour les professeurs. Le « pays lock », les crises politiques, la Covid-19 et la campagne de dénigrement des filles nées durant les années 2000 les accusant d’être dépourvues d’intelligence, perverses et délaissées les plongent dans l’indifférence. Personne ne peut surmonter tout ce stress durant son enfance. L’éducatrice reconnait que le niveau éducatif a baissé. Avec des enfants qui ont subi toutes sortes de dénigrement immoral, ce sont les professeurs qui en subissent le  revers de la médaille.

« Entre déconcentration et abandon, je ne sais où ira cette génération, je n’ai jamais vu une telle perte. Ils sont à la quête de l’ailleurs, ils veulent paraître, ce qui empêche leur cerveau d’accumuler le maximum de connaissances nécessaires pour réussir un examen, aussi facile qu’il soit »,  regrette la maîtresse.

Face à la dépravation actuelle, Mme Pierre Michel prie pour qu’au moins, quelques-unes de ses élèves arrivent à faire un choix raisonnable pour leur vie. Elle regrette les années où l’éducation était la première voie de la réussite. Elle prie pour le changement, mais ne voit pas d’où il viendra.

Genevieve Fleury

genevievef359@gmail.com

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