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Comment combattre l’exclusion dans le processus électoral haïtien et la démocratie haïtienne?

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La République d’Haïti a initié depuis 1986 un processus de démocratisation. La Constitution de 1987 établit des principes républicains pour modeler l’État et la société, cependant, nombreux sont ceux et celles qui ne sont toujours pas inclus dans la vie politique du pays malgré leurs luttes.

Dans une interview accordée au journal Le Quotidien News, le sociologue Rodney JEAN FRANÇOIS explique que l’inclusion des catégories qui sont en marge de la vie politique du pays doit passer d’abord par leur inclusion dans la vie socio-économique du pays.« L’exclusion en Haïti  a ses racines dans le passé historique et dans les décisions politiques de certains dirigeants », lance d’emblée le sociologue Rodney JEAN FRANÇOIS qui travaille dans le sud du pays.

 Pour lui, plusieurs catégories sont systématiquement exclues de la vie politique du pays, pour des raisons diverses. Parmi elles, selon M. JEAN FRANÇOIS, les femmes, les handicapés, les homosexuels, même ceux avec un « dread », ceux qui ont un discours « antisystème », les pauvres, les paysans, etc. Les catégories qui, de fait, sont exclues de la vie politique du pays ne constituent aucunement une minorité, mais  au contraire la grande majorité des citoyens.

Pour le sociologue, les femmes sont majoritaires  sur le plan de la démographie, et cependant, elles sont loin de peser de leur poids dans la vie politique du pays. En effet, 35 ans après la Constitution de 1987, elles n’arrivent pas à se faire une place  malgré les luttes et les dispositifs institutionnels. Seulement trois femmes-députées et une sénatrice ont été élues lors des dernières législatives, ce qui classe le pays parmi les régimes les plus inégalitaires au monde. Toutefois, malgré ces faibles résultats, des avancées sont quand même à constater, selon Rodney JEAN-FRANÇOIS.

« Les luttes de certaines organisations féminines, ainsi que le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme avec ses avancées en la matière, surtout l’établissement du quota des 30%, sans oublier les dispositions des lois électorales qui essayent de reconfigurer la participation féminine. Aujourd’hui, pour former un cartel de dirigeants locaux, il faut au moins une femme sur les trois membres», explique-t-il.

L’identité nationale et l’exclusion

L’histoire et son enseignement ont pour objectif de créer un lien entre les individus au sein d’une société, en leur faisant prendre conscience d’un passé commun. Pour le sociologue, l’enseignement de l’histoire a été galvaudé dans le passé suite à de mauvaises décisions des gouvernements passés, et aujourd’hui, le sentiment d’appartenance disparaît dans la société. « Un autre problème très grave qui renforce l’exclusion dans la vie politique haïtienne a à voir avec l’identité nationale. Avec le Concordat de 1860, l’État haïtien a remis l’éducation aux mains de l’Église catholique. Avec cette décision, l’histoire du pays a été banalisée et aujourd’hui, l’identité nationale est corrompue, ainsi que l’appréciation de nos valeurs et de notre culture »,affirme M. JEAN FRANÇOIS.

Pour lui, les femmes ont été également exclues tout au long de l’histoire haïtienne, et aujourd’hui, les jeunes Haïtiennes n’ont presque pas de figures historiques  dans lesquelles elles puissent se reconnaître. Pour le sociologue, l’inclusion en Haïti doit également passer par une réaffirmation de l’identité nationale.« Pour réaffirmer notre identité nationale, dit-il,  il faut nous réconcilier avec l’histoire, une histoire qui retrace effectivement ce qui se passe dans le pays depuis la colonisation. Il faut donner aux plus jeunes la possibilité de connaître l’histoire de leur pays, une histoire dans laquelle ils pourront se reconnaître ».

«  Aujourd’hui, poursuit-il,  dans l’histoire qu’on enseigne à l’école, on ne parle que des hommes en tant que héros de l’indépendance. Mais il n’y a pas eu que les hommes à avoir pris position et à avoir combattu. Les femmes également ont lutté et des héroïnes comme Cécile Fatima, Sanite Bélair, Grann Dédé, etc. ont grandement contribué à faire avancer la lutte. Il n’y a pas eu que Dessalines, Christophe ou Pétion à avoir lutté pour l’indépendance et aujourd’hui, il nous faut un enseignement d’histoire où toutes les catégories sociales pourront se reconnaître, et c’est de là que partira l’inclusion ».

L’inclusion, un processus complexe

L’inclusion ne semble pas pouvoir se faire du jour au lendemain, d’après le sociologue. L’exclusion est un construit social dans le pays, et elle doit être déconstruite. « Pour inclure les catégories préalablement exclues de la vie politique du pays, l’État haïtien et même la société civile doivent redéfinir leurs rapports avec elles. Les rapports entre les gouvernants et les gouvernés doivent être redéfinis. Si l’on prend par exemple le cas des paysans, pour paraphraser Gérard Barthélémy, les paysans de l’en-dehors ne se sont pas mis eux-mêmes en dehors, c’est le système qui ne les inclue pas, qui les laisse en dehors. Et si on souhaite les inclure aujourd’hui, il faut commencer par la mise en œuvre de certaines politiques publiques. Par exemple des politiques publiques liées à l’agriculture, à l’environnement, à la santé, à l’éducation, à la justice, etc. Donc pour les inclure dans la vie politique du pays, dans la construction d’une démocratie forte, il faut d’abord les inclure dans la vie sociale et économique du pays », précise-t-il.

Par ailleurs, d’après le sociologue, le pays est encore loin de la maturité démocratique. « Tant que nous n’aurons pas redéfini les rapports entre l’État et la société, nous ne pourrons pas commencer la construction d’une démocratie moderne. Celle-ci ne se résume pas à un simple régime politique. Nous avons certes rompu les liens avec le régime dictatorial en 1986, mais nous n’avons pas pu atteindre une maturité démocratique jusqu’à ce moment présent ».

Clovesky André-Gérald PIERRE

Cloveskypierre1@cloveskypierre

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